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BACCALAURÉAT GÉNÉRAL session 2006 ÉPREUVE DE FRANÇAIS SÉRIE L 1 p g Durée de l’épreuve : 4 heures Coefficient : 3 L’usage des calculatrices est interdit. Objets d’étude : Théâtre : texte et représentation. Convaincre, persuader, délibérer. distribué. Qu’est-ce que tu veux que nous y fassions ? ISMÈNE -Je ne veux pas mourir. ANTIGONE, doucement – Moi aussi j’aurais bien voulu ne pas mourir. ISMÈNE – Écoute, j’ai bien réfléchi toute la nuit. Je suis l’ainée. Je réfléchis plus que toi. Toi, c’est ce qui te passe par la tête tout de suite, et tant pis si c’est une bêtise.
Moi, je suis plus pondérée. Je réfléchis. ANTIGONE – Ily a des fois où il ne faut pas trop réfléchir. ISMÈNE Si, Antigone. D’abord c’est horrible, bien sûr, et j’ai pitié moi aussi de mon frère, mais je comprends un peu notre oncle. ANTIGONE – Moi je ne veux pas comprendre un peu. ISMÈNE – Il est le roi, il faut qu’il donne l’exemple. ANTIGONE – Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas que je donne l’exemple, moi… Ce qui lui passe par la tête, la petite Antigone, la sale bête, l’entêtée, la mauvaise, et puis on la met dans un coin ou dans un trou.
Et c’est bien fait pour elle. Elle n’avait qu’à ne pas désobéir ! ISMÈNE – Allez ! Allez Tes sourcils joints, ton regard droit devant toi et te voilà lancée sans écouter personne. Écoute-moi. J’ai raison plus souvent que toi. ANTIGONE – Je ne veux pas avoir raison. ISMÈNE – Essaie de comprendre au moins ! ANTIGONE – Comprendre… Vous n’avez que ce mot-là dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. II fallait comprendre qu’on ne peut pas toucher à l’eau, à la belle eau fuyante et froide parce que cela mouille les dalles, à la terre parce que cela tache les robes.
Il fallait comprendre qu’on ne doit pas manger tout à la fois, d Il terre parce que cela tache les robes. II fallait comprendre qu’on e doit pas manger tout à la fois, donner tout ce qu’on a dans ses poches au mendiant qu’on rencontre, courir, courir dans le vent jusqu’à ce qu’on tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas Juste quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai vieille. (Elle achève doucement. ) Si je deviens vieille. Pas maintenant. 1. Créon.
Texte A — Marivaux (1688-1763), L’île des esclaves (1725) 5 10 jeter dans l’esclavage. ARLEQUIN. Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, ? a bonne heure, je l’ai entendu dire aussi, mais on dit qu’ils ne font rien aux esclaves comme moi. IPHICRATE. cela est vrai. ARLEQUIN. Eh ! encore vit-on. IPHICRATE. Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut- être la vie ; Arlequin, cela ne te suffit-il pas pour me plaindre ? ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire. Ah! je vous plains de tout mon cœur, cela est juste. IPHICRATE. Suis-moi donc. ARLEQUIN siffle.
Hu, hu, hu. IPHICRATE. Comment donc, que veux-tu dire ? ARLEQUIN, distrait, chante. Tala ta lara. IPHICRATE. Parle donc, as-tu perdu l’esprit, à quoi penses-tu ? ARLEQUIN, riant. Ah ! ah ! h ! Monsieur Iphicrate, la drôle daventure ; je vous plains, par ma foi, mais je ne saurais m’empêcher den rire. 35 40 45 50 4 OF Il avec eux. ARLEQUIN, en badinant. Badin2, comme vous tournez cela ! Il chante. ’embarquement est divin. Quand on vogue, vogue, vogue, L’embarquement est divin. Quand on vogue avec Catin3. IPHICRATE, retenant sa colère. Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin.
ARLEQUIN. Mon cher patron, vos compliments me charment ; vous avez coutume de m’en faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux-là, et le gourdin est dans la chaloupe. IPHICRATE. Eh ! ne sais-tu pas que je t’aime ? ARLEQUIN. Oui, mais les marques de votre amitié tombent toujours sur mes épaules, et cela est mal placé. Ainsi tenez, pour ce qui est de nos gens, que le ciel les bénisse ; s’ils sont morts, en voilà pour longtemps ; s’ils sont en vie, cela se passera, et je m’en goberge4. IPHICRATE, un peu ému. Mais j’ai besoin d’eux, moi. ARLEQUIN, indifféremment.
Oh! cela se peut bien, chacun a ses affaires , que je ne vous dérange pas ! IPHICRATE. Esclave insolent ! 75 80 : eh bien, Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste, et ous verrons ce que tu penseras de cette justice-là, tu m’en diras ton sentiment, je t’attends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable, tu sauras mieux ce qu’il est permis de faire souffrir aux autres. Tout en irait mieux dans le monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi.
Adieu, mon ami, je vais trouver mes camarades et tes maîtres. (Il s’éloigne. ) IPHICRATE, au désespoir, courant après lui l’épée à la main. Juste ciel ! peut-on être plus malheureux et plus outragé que je le suis ? Misérable, tu ne mérites pas de vivre. ARLEQUIN. Doucement ; tes forces sont bien diminuées, car je ne t’obéis plus, prends-y garde. Scène 2 TRIVELIN avec cinq ou six insulaires arrive conduisant une Dame et la Suivante, et ils accourent à IPHICRATE qu’ils voient l’épée à la main. TRIVELIN. Arrêtez, que voulez-vous faire ?
IPHICRATE. Punir l’insolence de mon esclave. TRIVELIN. Votre esclave ? vous vous trompez, et l’on vous apprendra à corriger vos termes. (Il prend l’épée d’Iphicrate et la donne à Arlequin. ) Prenez cette épée, mon camarade, elle est à vous. Texte C : Jean-Paul sartre (1905-1980), ces Mains sales (1947) Hugo, jeune communiste idéaliste, est devenu secrétaire de Hoederer, dirigeant du parti considéré par certains comme trop modéré. Hugo a pour mission de le tuer et Hoederer l’a compris. ] HŒDERER – De toute façon, tu ne ourrais pas faire un tueur.
C de le tuer et Hoederer l’a compris. ] HŒDERER – De toute façon, tu ne pourrais pas faire un tueur. C’est une affaire de vocation. HUGO – N’importe qui peut tuer si le Parti le commande. HŒDERER. — Si le parti te commandait de danser sur une corde raide, tu crois que tu pourrais y arriver ? On est tueur de naissance. Toi, tu réfléchis trop : tu ne pourrais pas. HUGO – Je pourrais si je l’avais décidé. HŒDERER – Tu pourrais me descendre froidement dune balle entre les deux yeux parce que je ne suis pas de ton avis sur la politique ?
HUGO – Oui, si je l’avais décidé ou si le Parti me l’avait commandé. HŒDERER – Tu m’étonnes. (Hugo va pour plonger la main dans sa poche mais Hœderer la lui saisit et l’élève légèrement au-dessus de la table. ) Suppose que cette main tienne une arme et que ce doigt-là soit posé sur la gâchette. HUGO — Lâchez ma main. HŒDERER, sans le lâcher. – Suppose que je sois devant toi, exactement comme je suis et que tu me vises… HUGO — Lâchez-moi et travaillons.
HŒDERER – Tu me regardes et au moment de tirer, voilà que tu penses : « Si c’était lui qui avait raison ? » Tu te rends compte ? HUGO – Je n’y penserais pas. Je ne penserais à rien d’autre qu’? tuer. HŒDERER – Tu y penserais : un intellectuel, il faut que ça pense. Avant même de presser sur la gâchette tu aurais déjà vu toutes les conséquences possibles de ton acte : tout le travail d’une vie en ruine, une politique flanquée par terre, personne pour me remplacer, le Parti condamné peut-être à ne jamais prendre le pouvoir… HUGO – Je vous dis