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Benoit LESAGE LE CORPS EN PLACE ET LA PLACE DU CORPS DANS LA RELATION AVEC LA PERSONNE POLYHANDICAPEE On raconte qu’un petit garçon observa un matin très attentivement la livraison d’un bloc de marbre brut chez RODIN. Quelques mois plus tard, il découvrit le beau cheval blanc que le sculpteur en avait tiré. « Comment as-tu su qu’il y avait un cheval à l’intérieur ? » Nous sommes des êtres corporels, incarnés, ce qui ne signifie nullement que nous difficile de concevoir 1 d’habitation corporell Swape ta View nextp g les êtres dépourvus humain : fantômes, a .

Il est toutefois apport étroit s, à tel point que e facto au non- ns la structuration dun être, le corps assume un rôle d’écrin, et non d’écran. L’identité se structure concrètement, dans l’entrelacement sensorimoteur avec le monde, avec les figures maternelles en particulier dans les débuts de la vie. C’est bien par l’expérience sensible et motrice que le bébé s’éprouve un, limité, se dote d’un point de vue, de sentir, d’entendre, qu’il instaure sa tonicité, c’est à dire qu’il apprend à répondre à la pression environnante.

Le dialogue avec le monde, avec les proches, est fait d’engagement onique, de modulation dans la tension, d’orientations posturales, d’ouvertures et fermetures, daller-vers, de retraits, avec des nuances d’intensité qui font que le bébé apprend vite à être présent, à se présenter, se retirer, se soustraire ou s’exposer. Nous retrouvons-là les dimensions fondamentales de l’émotion. L’affectivité se joue joue au travers déchanges corporels -toniques, posturaux, sensoriels, moteurs- qui conduisent le bébé à se rassembler, s’organiser, à devenir un être-là sensible.

Encore faut-il pour que ce processus s’opère disposer des outils qui le conditionnent, erme à prendre au double sens d’un bagage minimum indispensable et d’une mise en forme, comme on conditionne un produit. Or c’est là que la personne polyhandicapée nous questionne. Par sa restriction motrice, sa difficulté d’intégration sensorielle, elle est en grande difficulté dans ce travail de structuration.

Dans cette perspective, la question de la place du corps dans l’éducation ou la relation d’aide se pose de façon spécifique. L’édification corporelle n’est pas un objectif parmi d’autres, une option dans un programme de prise en charge. Nous ne pouvons en faire l’économie en choisissant par exemple de évelopper d’abord un travail cognitif ou éducatif. Il nous faut répondre à des problématiques fondamentales, affectives, permettre à nos partenaires de se construire.

Et cela requiert notre implication, notre propre corporéité, tant il est vrai que nous nous identifions les uns par rapport aux autres, que notre subjectivité est forcément inter-subjectivité. Le corps en soi n’existe pas, il apparaît dans la relation, ce que les notions de holding et hangling, ou encore le concept de moi-peau, les études éthologiques sur l’attachement, sur l’importance de la sensorialité qui est toujours rencontre de l’autre-, ne cessent de mettre en évidence. n nourrisson naît à lui-même et au monde par cette intersubjectivité qui prend les figures concrètes du dialogue tonique, sensoriel, moteur, lesquels soutiennent l’investiss Il figures concrètes du dialogue tonique, sensoriel, moteur, lesquels soutiennent l’investissement imaginaire de l’entourage, qui ne fait d’ailleurs pas qu’entourer, mais qui porte, supporte, densifie, contient. Ce processus ne disparaît pas lorsque se met en place le langage. II demeure en arrière-plan, de même que le ruit de fond du corps, cette fonction proprioceptive qui nous assure en permanence de notre réalité, qui nous rassure.

De nombreux compte-rendus cliniques attestent de cette fonction détayage fondamental assumée par l’ensemble des perceptions corporelles, dont l’absence conduit à des tableaux dramatiques qui se manifestent tant au niveau des fonctions motrices qu’au plan affectif et même cognitif. Lorsque le corps disparait, c’est tout l’être qui est remis en questionl. A partir de là, on peut poser que dans l’abord de la personne polyhandicapée, il est impératif de se soucier de cette édification orporelle, et d’autre part que celles-ci ne se conçoit que dans un dialogue, ce qui requiert notre implication, qui convoque notre engagement corporel.

Dans la relation à la personne polyhandicapée, qui n’est pas seulement relation d’aide, le corps sera constamment impliqué. Comment communiquer avec quelqu’un qui n’a pas accès au langage, ce qui est souvent le cas avec les polyhandicapés? Nos systèmes habituels sont mis à mal, et il nous faut nous centrer sur cette part souvent obscure de notre relation, développer un dialogue corporel structurant.

Le contact sera donc le lot uotidien du soignant ou de l’éducateur, et doit être précis et ajusté, sans être instrumentalisé et désaffectivé, ce qui reviendrait à lui ôter son essence. Certes, la sensorialité n’est pas instrumentalisé et désaffectivé, ce qui reviendrait à lui ôter son essence. Certes, la sensorialité n’est pas qu’émotionnelle. Elle conduit à un travail de représentation et d’instrumentation, mais ce niveau cognitif s’ancre dans la dimension affective de l’expérience.

Bullinger a particulièrement développé ce point, en spécifiant notamment l’importance de l’équilibre sensori-tonique, a tonicité étant à la fois une fonction affective liée à la vigilance, à l’expressivité et au ressenti émotionnel, et en même temps le sous-bassement des activités motrices orientées et maitrisées. pour exécuter un geste, il faut en effet mettre en œuvre un jeu postural et tonique, ce que Sherrington avait nommé la toile de fond du mouvement, qui soutient la mélodie cinétique, laquelle représente la part généralement consciente et visible du geste.

Ainsi, pour lever le bras, il faut stabiliser le bassin, chercher les ancrages au sol, pouvoir s’appuyer sur la cage thoracique, ce qui ignifie recruter un tonus d’action et un tonus de posture. Cette part interne du processus constitue l’ombre du geste, et c’est elle qui fait l’objet d’un travail de fond dans nombre de techniques corporelles, qu’il s’agisse de danse, de sport, ou d’activités dites psychocorporelles. Ce que Bullinger pointe, c’est que ce sous- bassement tonico-postural répond à une intégration sensorielle, orientée vers les flux. ar flux sensoriels, il faut entendre la part non discriminative des sensations, qui sont traitées par le système perceptif archaïque, qui influencent directement les voies de régulation tonique. La vision périphérique en est l’exemple le plus connu, en opposition à la vision fovéale, discrimi 4 OF Il périphérique en est l’exemple le plus connu, en opposition ? la vision fovéale, discriminative, dont le traitement fait appel à des voies corticales, qui soutient donc une possibilité de représentation.

Les autres sens s’organisent également selon cette dichotomie, et il existe une audition périphérique, de même qu’un tact et une olfaction périphériques. Cest ce qui justifie de travailler avec les personnes polyhandicapées très spastiques -mais aussi avec les autistes qui présentent une rganisation perceptive bien particulière- en utilisant des dispositifs pourvoyeurs de flux : panneaux quadrillés noir/blanc, ou mieux bleu/blanc, fond sonore, fond olfactif ou tactile… Le bombardement de la formation réticulée2 permet alors une meilleure modulation posturale et tonique.

Cest ce qui fait dire à cet auteur, qu’habiter son corps suppose que lion maîtrise les sensations qui arrivent aux frontières de l’organisme. Savoir cela, c’est, à travers les sensations, délimiter une « zone habitable »3. La modulation sensori-tonique s’avère donc être une axe rioritaire de travail, et ce tant dans une visée instrumentale que pour la mise en place des structures fondamentales du corps. Cela nous conduit à envisager d’autres aspects de cette structuration. J’insisterai ici sur les notions de limite et de point d’appui.

Le travail des limites rejoint celui du rassemblement. On sait que le bébé doit affronter une situation initiale de morcellement sensori-moteur, qui se résout avec la maturation neuromatrice, qu’il faut là encore considérer dans le cadre d’une relation. Le bébé s’unifie, se rassemble, définit un axe, se patialise en différenciant un dedans et un dehors. Cette définit un axe, se spatialise en différenciant un dedans et un dehors. Cette délimitation est aussi mise en place dune enveloppe, c’est à dire un processus qui contient, filtre les excitations.

Or, nous voyons très souvent nos partenaires polyhandicapés décontenancés, incapables de contenir leurs émotions, désorganisés souvent par des perceptions, ce qui se manifeste par des réactions d’excitation et des gestes incontrôlés. Quant aux points d’appui, ils sont une nécessité pour stabiliser une posture et engager un geste efficace. Mais en deçà de cette visée instrumentale, il faut bien comprendre qu’ils engagent l’unité tonique, et le rapport au sol, qui renvoie au holding vécu dans les premiers temps de la vie, c’est à dire la façon dont le bébé s’est senti soutenu, contenu.

SI j’insiste sur ces aspects déjà développés ailleurs4, c’est pour poser les enjeux d’un dialogue corps-à-corps généralement inévitable avec la personne polyhandicapée. Nous sommes de toute façon amenés à gérer une proximité, voire une intimité corporelle avec eux. Au vu de ce qui précède, il est clair que nous ouvons tirer parti de cette nécessité et en faire l’occasion d’un accompagnement actif, bref de transformer cette implication corporelle de la relation en dialogue structurant.

Cela amène à préciser deux points essentiels : pour échapper à un toucher manipulatoire, instrumentalisant, il importe d’être dans une relation d’accordage, ce qui présuppose un travail de notre côté. D’autre part, cela pose la question de la qualité du toucher, de ses règles. Les deux questions se rejoignent, tant il est vrai que ce sont presque immanquablement les personnes en difficulté avec leur propre corporéité