Texte Thérèse desqueyroux
Séquence 2 : Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, 1927 Texte 1 : L’incipit L’avocat ouvrit une porte. Thérèse Desqueyroux, dans ce couloir dérobé du palais de justice, sentit sur sa face la brume et, profondément, l’aspira. Elle avait peur d’être attendue, hésitait à sortir. Un homme, dont le col était relevé, se détacha d’un platane, elle reconnut son père. L’avocat cria : «Non-Iieu » et, se retournant vers Thérèse : « Vous pouvez sortir, Elle descendit des m semblait déserte.
So même un regard ; il voix, comme s’ils eus leurs propos : om Sni* to etite place , ne lui donna pas s qui répondait à mi- ndait confusément « Je recevrai demain l’avis officiel du non-lieu. – Il ne peut plus y avoir de surprise ? Non . les carottes sont cuites, comme on dit. – Après la déposition de mon gendre, c’était couru. – Couru… couru… On ne sait jamais. – Du moment que, de son propre aveu il ne comptait jamais les gouttes. – Vous savez, Larroque, dans ces sortes d’affaires, le témoignage de la victime… ? La voix de Thérèse s’éleva : « Il n’y a pas eu de victime. – J’ai voulu dire : victime de son imprudence, madame. » Les deux hommes, un instant, observèrent la jeune femme immobile, serrée dans son manteau, et ce blême visage, qui n’ex n’exprimait rien. Elle demanda où était la voiture ; son père l’avait fait attendre sur la route de Budos, en dehors de la ville, pour ne pas attirer l’attention. Ils traversèrent la place : des feuilles de platane étaient collées aux bancs trempés de pluie. Heureusement, les jours avaient bien diminué.
D’ailleurs, pour rejoindre la route de Budos, on peut suivre les rues les plus désertes de la sous-préfecture. Thérèse marchait entre les deux hommes qu’elle dominait u front et qui de nouveau discutaient comme si elle n’eût pas été présente ; mais, gênés par ce corps de femme qui les séparait, ils le poussaient du coude. Alors elle demeura un peu en arrière, déganta sa main gauche pour arracher de la mousse aux vieilles pierres qu’elle longeait. parfois un ouvrier ? bicyclette la dépassait, ou une carriole ; la boue jaillie l’obligeait à se tapir contre le mur.
Mais le crépuscule recouvrait Thérèse, empêchait que les hommes la reconnussent. Codeur de fournil et de brouillard n’était plus seulement pour elle l’odeur du soir ans une petite ville : elle y retrouvait le parfum de la vie qui lui était rendue enfin ; elle fermait les yeux au souffle de la terre endormie, herbeuse et mouillée ; s’efforçait de ne pas entendre les propos du petit homme aux courtes jambes arquées qui, pas une fois, ne se retourna vers sa fille ; elle aurait pu choir au bord de ce chemin : ni lui, ni Duros ne s’en fussent aperçus.
Ils n’avaient plus peur d’élever la voix. PAG » rif 7 chemin : ni lui, ni Duros ne s’en fussent aperçus. Ils n’avaient plus peur d’élever la voix. « La déposition de M. Desqueyroux était excellente, oui. Mais il y avait cette ordonnance : en somme, il s’agissait d’un faux… Et c’était le docteur Pédemay qui avait porté plainte… – Il a retiré sa plainte. Tout de même, l’explication qu’elle a donnée… cet inconnu qui lui remet une ordonnance..
Thérèse, moins par lassitude que pour échapper à ces paroles dont on l’étourdissait depuis des semaines, ralentit en vain sa marche ; impossible de ne pas entendre le fausset de son père : « Je le lui ai assez dit : « Mais, malheureuse, trouve autre chose… trouve autre chose… » » François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, 1927, chapitre 1 Texte 2 : La confrontation à Argelouse. Thérèse murmure : « A Argelouse… jusqu’à la mort… » Elle s’approcha de la fenêtre, l’ouvrit. Bernard, à cet instant, connut une vraie joie ; cette femme qui toujours l’avait intimidé et humilie, comme il la domine, ce soir ! omme elle doit se sentir méprisée! II éprouvait l’orgueil de sa modération. Mme de la Trave lui répétait qu’il était un saint ; toute la famille le louait de sa grandeur d’âme : il avait, pour la première fois, le sentiment de cette grandeur. Lorsque, avec mille précautions, à la maison de santé, rattentat de Thérèse lui avait été découvert, son sang-froid, qui lui attira tant de louanges, n PAGF3C,F7 l’attentat de Thérèse lui avait été découvert, son sang-froid, qui lui attira tant de louanges, ne lui avait guère coûté d’efforts.
Rien n’est vraiment grave pour les êtres incapables d’aimer ; parce qu’il était sans amour, Bernard n’avait éprouvé que cette sorte de joie tremblante, après un grand péril écarté : ce que peut ressentir un homme à qui l’on révèle qu’il a vécu, durant des années, et à son nsu, dans l’intimité d’un fou furieux. Mais, ce soir, Bernard avait le sentiment de sa force ; il dominait la vie. Il admirait qu’aucune difficulté ne résiste à un esprit droit et qui raisonne juste ; même au lendemain d’une telle tourmente, il était prêt à soutenir que l’on n’est jamais malheureux, sinon par sa faute.
Le pire des drames, voilà qu’il l’avait réglé comme n’importe quelle autre affaire. Ça ne se saurait presque pas ; il sauverait la face ; on ne le plaindrait plus ; il ne voulait pas être plaint. Qu’y a-t-il d’humiliant à avoir épousé un monstre… orsque l’on a le dernier mot ? La vie de garçon a du bon, d’ailleurs, et l’approche de la mort avait accru mepu’eilleusement le goût qu’il avait des propriétés, de la chasse, de l’automobile, de ce qui se mange et de ce qui se boit : la vie, enfin !
Thérèse demeurait debout devant la fenêtre ; elle voyait un peu de gravier blanc, sentait les chrysanthèmes qu’un grillage défend contre les troupeaux. Au-delà, une masse noire de chênes cachait les pins ; mais leur odeur résineuse emplissait la une masse noire de chênes cachait les pins ; mais leur odeur ésineuse emplissait la nuit ; pareils à l’armée ennemie, invisible mais toute proche, Thérèse savait qu’ils cernaient la maison. Ces gardiens, dont elle écoute la plainte sourde, la verraient languir au long des hivers, haleter durant les jours torrides ; ils seraient les témoins de cet étouffement lent.
Elle referme la fenêtre et s’approche de Bernard : « Croyez-vous donc que vous me retiendrez de force ? – A votre aise… mais sachez-le bien : vous ne sortirez d’ici que les poings liés. François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, 1927, chapitre 9. Texte 3 : L’explicit. ous ayons eu une fille ; à cause du nom qui va finir. Il est vrai que, même si nous étions demeurés ensemble, nous n’aurions pas voulu d’autre enfant… alors, en somme, tout va bien… Ne vous dérangez pas ; restez là. ? Il fit signe à un taxi, revint sur ses pas pour rappeler à Thérèse que les consommations étaient payées. Elle regarda longtemps la goutte de porto au fond du verre de Bernard ; puis de nouveau dévisagea les passants. Certains semblaient attendre, allaient et venaient. Une femme se retourna deux fois, sourit à Thérèse (ouvriere, ou déguisée en ouvrière ? Cétait l’heure où se vident les ateliers de couture. Thérèse ne songeait pas à quitter la place ; elle ne s’ennuyait ni n’éprouvait de tristesse.
Elle décida de ne pas aller vor, cet après-midi, Jean Azévedo et poussa un soupir de délivrance : elle n’avait pas envie de le voir : causer encore ! chercher des formules ! Elle connaissaitJean Azévédo ; mais les êtres dont elle souhaitait l’approche, elle ne les connaissait pas ; elle savait d’eux seulement qu’ils n’exigeraient guère de paroles. Thérèse ne redoutait plus la solitude. II suffisait qu’elle demeurât mmobile : comme son corps, étendu dans la lande du Midi, eût attiré les fourmis, les chiens, ici elle pressentait déjà autour de sa chair une agitation obscure, un remous.
Elle eut faim, se leva, vit dans une glace d’Old England la jeune femme qu’elle étalt : ce costume de voyage très ajusté lui allait bien. Mais de son tem jeune femme qu’elle était : ce costume de voyage très ajusté lui allait bien. Mais de son temps d’Argelouse, elle gardait une figure comme rongée : ses pommettes trop saillantes, ce nez court. Elle songea . « Je n’ai pas d’âge. » Elle déjeuna (comme souvent dans ses rêves) rue Royale. Pourquoi rentrer à l’hôtel puisqu’elle n’en avait pas envie ? n chaud contentement lui venait, grâce à cette demi-bouteille de Pouilly. Elle demanda les cigarettes. Un jeune homme, d’une table voisine, lui tendit son briquet allumé, et elle sourit. La route de Villandraut, le soir, entre ces pins sinistres, dire qu’il y a une heure à peine, elle souhaitait de s’y enfoncer aux côtés de Bernard ! Qu’importe d’aimer tel pays ou tel autre, les pins ou les érables, l’Ocean ou la plaine ? Rien ne l’intéressalt de ce qui vit, que les ?tres de sang et de chair. ? Ce n’est pas la ville de pierres que je chéris, ni les conférences, ni les musées, c’est la forêt vivante qui s’y agite, et que creusent des passions plus forcenées qu’aucune tempête. Le gémissement des pins d’Argelouse, la nuit, n’était émouvant que parce qu’on l’eût dit humain. » Thérèse avait un peu bu et beaucoup fumé. Elle riait seule comme une bienheureuse. Elle farda ses joues et ses lèvres, avec minutie ; puis, ayant gagné la rue, marcha au hasard. François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, 1927, chapitre 13.