la protestation virile de Thérèse Desqueyroux

essay B

PSYCHANLYSE ET LITERATURE. Partie’: La protestation virile de Thérése Desqueyroux. Pour une lecture adlérienne du roman de François Mauriac. e hasard nous a déparé une trés agréable surprise. La citation de Baudelaire insérée comme épigraphe au début du roman par Mauriac: «Seigneur, ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles! O Créateur! peut-il exister des monstres aux yeux de celui-l ü seul qui sait pourquoi ils existent, comment ils se sont faits, et comment ils est tout é fait de coul n’est pas assujetti ü 0 r adlé tre main est libre et il déterminisme quelconque.

La vie de chaque individu est le résultat d’un choix, d’un projet personnel. L’homme, que ce soit un monstre, un névrotique ou un étre normal, planifie sa vie, fait le choix de la ligne directrice de sa propre vie en tant que maitre absolu. Adler —face au déterminisme foncier de la psychanalyse freudienne— est fier de l’anti-déterminisme qu’il prône3. Pour Adler, les instincts ou les traumatismes constituent des relations causales seulement dans le mesure où cela convient au style de vie que l’individu a choisi. Bemard Grasset, 1927. 3.

Dans la ligne de notre auteur, on trouve aussi: Victor Frankel El hornbre incondicionado) ou Erich Fromm (El rniedo a la libertad). 172 PSYCHANALYSE ET LITTERATURE. 11ePARTIE forces inconnnues et mystérieuses pour expliquer le sens ou le non-sens de son comportement, l’on peut se demander si, en vérité, ce n’est qu’une manoeuvre, une espéce dalibi qu’elle se donne é elle-méme pour ne pas prendre sur soi la responsabilité de ses actes: «cette puissance forcenée en moi et hors de moi’A dira-t-elle; et le narrateur parlera du demi-sommeil, de l’engourdissement d’un «reptile dans son sein»5.

Omniscience, Providence et Prédestination mises part, Baudelaire, Adler et Mauriac pensent que tout un chacun est libre et responsable de sa propre vie. Le psychologue et l’écrivain, pour leur part et chacun é sa façon, essaient de savoir un peu comment les étres humains use sont faits» et comment «ils auraient pu ne pas se faire».

Les points de vue et le point de vue Les critiques ittéraires aiment bien s’arré’ter sur l’un des mécanismes de fonctionnement de la fiction qui contribue é créer l’illusion référentielle et qui est celui des points de vue que l’ont peut énumérer: celui de Thérése, celui du narrateur, et celui, parfois, des autres personnages, auraient ontribué, parait-il, é l’élaboration d’une composition assez complexe de la narration qui toumerait au profit de la vraisemblance. de Mauriac semble semble étre, pour une grande partie, un soliloque. Le processus de communication serait axé sur «je-je», une autocommunication. Ce qui nous permettrait de pénétrer dans l’interieur du personnage, vu par lui-méme. On aurait, donc, accés direct é la représentation d’une image du monde d’aprés la conscience de l’héro’ine. L’auteur, trés généreux, prétend ainsi octroyer au lecteur la possibilité de s’introduire, sans Intermédiaires, dans la conscience de la rotagoniste.

Cest Thérése qui voit, qui entend, qui songe, qui réve, qui prépare sa confession et sa défense. Cela se passe é la premiére persorme —chapitre IV— et trés souvent é la troisiéme personne, au style indirect. Mais parfois, la façon de l’analyste-thérapeute qui résume, tire des conclusions et éclaire le lecteur, le romancier-narrateur fait des réflexions et des commentaires. Tant mieux. Et si ce n’était pas suffisant, parce que deux avis valent mieux qu’un, le point de vue du romancier est complété par les points de vue des autres personnages.

Le montage est parfait our une lecture qui voudrait étre psychologique. Mais n’importe quel point de vue n’est que de la fiction. T. Todorov définit le récit comme «un texte référentiel â déroulement temporel» 6; le terme référentiel se rapporte é une entité extra-linguistique, â un univers réel ou imaginaire. Les points de vue ne seraient que quelques-uns des agencements scripturaux en référence é des événements réels ou imaginaires.

En réalité vaudrait mieux dire, en fiction— les points de vue émanant de la textualité, et qui peuv 30 réalité vaudrait mieux dire, en fiction— les points de vue émanant de la extualité, et qui peuvent étre multiples, se réduisent un seul —celui du romanciernarrateur— du point de vue du référent. La représentation de l’image du monde, présentée textuellement sous diverses perspectives, n’est, en vérité, que la vision d’un homme, d’un mile, dans ce cas: le romancier-narrateur. 4. Fr. Mauriac, Thérése Desqueyroux, p. 22. 5. Ibid. ,p. 42. 6. Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil 1972, p. 78. RAMIRO MARTIN HERNANI 5EZ 173 Or, que le romancier-narrateur soit un homme ou nne femme, cela ne change rien; le discours référentiel sur la condicion masculine ou féminine — uelle que soit son origine: un homme ou une femme— ne sera que la transcription plus ou moins nuancée d’une vision du monde instaurée dans une société —la nétre—, qui véhicule et la structure d’un mode de perception et la structure d’un modéle idéologique déterminé. e discours sur le corps et le désir féminins, fait par une femme, méme si elle y investissait d’autres mots, ne porterait-il pas aussi la référentialité aux memes maux?

I. LE MAL D’ÉTRE FEMME OU LE BESOIN D’AFFIRMATION, DE SECURITE a) Un corps de femme noyé dans un monde d’hommes Le chapitre qui ouvre le roman de Mauriac est trés significatif du oit de vue de la 4 30 affaire d’hommes. Dés sa sortie elle va étre encadrée par son pére (Larroque), l’avocat (Duros) et un peu plus tard par le cocher. On s’aperçoit vite que hérése est porteuse d’un corps de femme étrange et étranger dans un univers oü c’est l’homme qui parle, qui agit, qui décide, qui pose des questions, qui regarde et qui juge.

L’antithése masculin-féminin est manifeste dés ce premier moment du récit: «Thérése marchait entre les deux hommes» (p. 8), son pére et l’avocat, «qui discutaient conune si elle n’e üt pas été présente» (p. 9) et qui «génés par ce corps de emme qui les séparait le poussaient du coude» (p. 9); alors «elle demeura un peu en arriére». Ils ne lui prétent aucune attention, au point qu’elle «aurait pu choir au bord de ce chemin» (p. 9). Gardére, le cocher «la contemple avec une attention goulue» (p. . «l’homme la dévorait toujours des yeux» (p. 2), et la page 23: «Gardére se retouma une fois pour dévisager la fille de son maitre». «Toute sa vie devrait-elle étre ainsi dévisagée? » (p. 12), songe Thérése. Son pére «ne l’écoute pas; ne la voit plus. Que lui importe ce que Thérése éprouve? Cela seul compte: son ascenslon vers e sénat interrompue, compromise cause de cette fille (toutes des hystériques, quand elles ne sont pas des idiotes)» (pp. 12-13). Cest son pére qui donne les ordres, les plus insignifiants: «monte vite, il est temps» 13) et ceux qui mettent en jeu toute une vie: «Tu deviens tout é fait folle?

Quitter ton mari en ce moment? 1 1 faut que vous soyez comme les deux doi s de la main, entends- s 0 Quitter ton mari en ce moment? 11 faut que vous soyez comme les deux doigts de la main, entends-tu? Jusqu’à la mort…  » (p. 16). On pourrait déjé établir un schéma comme le suivant qui montre le statut de Thérése face au monde de l’homme: Le statut de l’homme Autorité (pére, juge, avocat, mari). Détenteur de la parole, il pose des questions, donne les ordres. Détenteur du regard, il regarde ou ne regarde pas, s’il regarde, il dévore, dévisage ou contemple goulûment.

Détenteur de l’avenir: il aspire â triompher… Activité Corporalié actante le statut de Thérése Soumission Th. doit répondre ou se taire. Th. est l’objet du regard et de la curiosité. Th. est utilisée (pour ne pas souiller le nom de la famille). Passivité Corporalité patiente. 174 b) 6 0 non, non, non, ma petite». Désir de retourner é la maison de l’enfance où elle a peut étre goûté d’un certain bonheur et de l’amour d’une mére qui est morte peu de temps aprés la naissance de Thérése. Thérése, on le saura par la suite, a grandi sans amour.

Elle a trés ten perdu sa mére et son pére confia son éducation é une institution laique. Pendant les vacances ce sera tante Clara qui prendra Thérése en charge. Thérése se considére un étre délaissé et en manque d’amour. Amour et tendresse qu’elle attend peut-‘étre de son mariage. Mais Bemard s’avére étre un mari qui a d’autres chats é fouetter et pas trop intéressé par es détails. Le monde des choses apparaft, dans ce premier chapitre, axé sur un sémantisme révélateur et en accord parfait avec l’âme de Thérése: les «mes désertes» (p. ), les «marches mouillées» (p. 7) et «les feuilles des platanes collées aux bancs trempés de pluie» (p. 8); «le crépuscule recouvrait Thérése» (p. 9), «elle fermait les yeux au souffle de terre endormie» (p. 9) et «le ciel, au-dessus d’elle, se faisait un lit encombré de branches» (p. 12). Enfin, elle est impatiente «d’achever ce voyage noctume dont elle souhaite é présent de ne pas voir la fin» (p. 14). La mort ans l’ ùme éprouvée par Thérése envahit l’univers qui l’entoure; crépuscule, feuilles mortes, terre endormie, ciel sans lumiére, voyage noctume…

Le désespoir, l’angoisse et la solitude partout, comme chez elle. Une femme qui cherche partout un a ul appui On a déjà vu Thérése «serrée contre son manteau» et tapie «contre le mur». Cette récurrence devient trés significative: «elle se rencogna» (p. 24); «la téte contre la vitre du wagon» (p. 33); «aucun visage sur qul reposer ses yeux» (p. 43); «si elle pouvait apuyer sa téte sur une poitrine humaine» (p. 121 Thérése «appuyait au dossier a nuque» (p. 166).

Ce besoin dappui physique est révélateur du besoin d’appui moral éprouvé par Thérése et recherché tout au long de sa vie auprés des étres qu’elle côtoie. Tout d’abord auprés de Bemard —dont on parlera ensuite ; mais aussi elle cherche la sécurité auprés d’Anne —avec qui elle n’a aucun goen en commun—. Au fond, Thérése est éblouie par l’insouciant et frivole bonheur d’Anne. La réaction ultérieure de Thérése, en connivence avec ses beaux-parents, ne peut étre expliquée que par la jalousie (cf. p. 50). Thérése ne peut supporter qu’un autre posséde ce qu’elle ne eut pas posséder.

Recherche d’appui auprés de tante Clara, cette servante sourde et dévouée, femme de charge qui donne et se donne pleines mains. hérése ne pourra jamais comprendre cette générosité athée et désintéressée. Recherche diapui auprés dAzévédo qui, un moment, semble l’avoir comprise, admirée, peut-étre aimée. Re- RAMIRO MARTIN HERNANDEZ 175 cherche d’appui auprés du curé, de ses beaus-parents avec lesquels elle collabore pour faire désister Anne de son zévédo. compensé, dans le go ü’t de Thérése pour la propriété.

Le sentiment de privation trouve sa tendance compensatrice dans la écurité que donne la richesse. Le goilt pour la cigarrette peut aussi étre interprété comme une régression —et une fixation— vers une situation de sécurité enfantine —la sucette—. Fumer était autrefois une attitude éminemment masculine. Et lorsque Thérése songe â son imaginaire séjour é Paris, elle s’imagine admirée et entourée d’amis qui vonc méme publier son journal (cf. pp. 140-150). Thérése devient en songes le centre d’attentidn et le nombril du groupe.

Sa volonté de puissance la pousse méme é songer qu’elle guérit un enfant, telle une sainte guérisseuse. Ces onges sont symptomatiques et révélateurs â la fois. C’est la rébellion du faible qui ne se résigne pas é étre faible. Les désirs profonds, les manques les plus intimes trouvent leur accomplissement dans les fantaisies du réve éveillé. On en parlera. d) Le mariage, un refuge et un naufrage Personne n’a forcé Thérése é se marier. Disons plutét qu’elle a épousé Bemard en toute liberté: «elle avait été en adoration devant lui» (p. 9), dit le narrateur et la protagoniste elle-méme: «Au vrai, il était plus fin que la plupart des gargons que j’eusse pu épouser» (p. 32). Ailleurs on lit: «Bemard avait, en autre, de ‘instruction; on disait de lui qu’il était sorti de son trou; Thérése elle-méme se félicitait de ce qu’il était un homme avec lequel on peut causer: En somme, trés supérieur é son milieu. Ainsi le jugea-t-elle jusqu’au jour de sa rencontre avec Az trés supérieur é son milieu… ». Ainsi le jugea t-elle jusqu’au jour de sa rencontre avec Azévédo» (p. 1). Narrateur et protagoniste se partagent le travail d’approfondir les véritables raisons du mariage: «Les deux mille hectares de Bemard ne l’avaient pas laissée indifférente. Elle avait toujours eu la propriété dans le sang, 1… 1 . Les évaluations de ropriétés la passionnaient. Nul doute que cette domination sur une grande étendue de forét l’ait séduite» (p. 40). Les désirs de possession et de domination composent l’une des dominantes dun style de vie é la base duquel se trouve le sentiment d’infériorité, détre en bas.

Thérése élabore sa tendance compensatrice vers la sécurité par le biais du triomphe social, de la richesse. Mais Thérése a peut-étre obéi é «un sentiment plus obscur»: Elle se marie surtout parce qu’elle cherche un «refuge». Comme quoi les besoins dappui et de sécurité, éprouvés par Thérése et dont on parlait lus haut, sont une fois de plus confirmés «elle avait hâte d’avoir pris son rang, uouvé sa place définitive; elle voulait étre rassurée contre elle ne savait quel péril elle s’incrustait dans le bloc familial, elle se casait, elle entrait dans un ordre.

Elle se sauvait » (p. 40). Mais le mariage deviendra le pire des esclavages, la pire des catastrophes, la pire des prisons. A tel point insupportable, que le mariage est, dans la vie de Thérése, la chamiére de deux époques: avant la mariage et aprés le mariage. 11 existe méme dans les images-souvenir de Thérése un antagonisme bonheur- malheur transposé pa 0 0