LIllusion Comique
Le Guelte 1 Johann Le Guelte Ohio University La vertu du mensonge dans L’Illusion comique « L’Homme est de glace aux vérités,’ Il est de feu pour les mensonges. ‘ Jean de la Fontaine L’Illusion Comique est peut-être l’une des pièces les plus étranges du XVIIème siècle. Hors des normes, hors du temps, jouant sans cesse avec les ‘Vipe next page perceptions de ses s pièce a suscité l’intér 4 plusieurs siècles. Cor ille , ton de son oeuvre, d pourra jamais être cl ritiques depuis moiselle qui ne identifiée, lorsqu’il annonce: « Voici un étrange monstre que je vous dédie. (11).
La qualification de monstre n’est pas le fruit du hasard; elle décrit bien la nature- même de cette pièce: volontairement déformée par le génie cornélien et portant les traits du fantastique à travers la magiei. Si le dramaturge a souvent été attaqué pour la supposée trangression aux règles établies qu’il aurait effectué dans cette oeuvre, celui-ci pourrait très bien répondre: « Ce n’est qu’une illusion ». En effet, il respecte bien les unités qui régissent le théâtre de l’epoque (temps, lieu, action) et ceci grâce à l’outil de mise en abyme qu’il utilise ?normément tout au long de la pièce.
Ce que voit le spectateur n’est qu’une illusion et, en ce sens, son Mais comment, par le mensonge, peut on atteindre la vérité et l’harmonie? Sil est vrai que le théâtre est le lieu illusoire par prédilection où réel et fictif se rencontrent et s’entremêlent, Corneille, dans cette pièce, floute un peu plus cette délimitation et Francis Assaf le comprend bien lorsqu’il Le Guelte 2 avance que » la pièce principale est autant une illusion que la pièce secondaire » (64).
Dans un premier temps, nous allons nous intéresser, dans cet article, aux écanismes du mensonge et de l’illusion et de la façon dont Corneille transmet sa fausse vérité. Quels sont les outils scéniques et théâtraux utilisés par le dramaturge? Pourquoi cette double mise en abyme qui fascine les critiques et les spectateurs depuis des siècles? Nous nous intéresserons ensuite, dans un second temps, aux occurrences illusoires et mensongères chez les différents personnages de cette oeuvre. Que représentent-ils?
En quoi le mensonge et l’illusion leur apporte une toute autre dimension? Y-a-t’il des bons et des mauvais menteurs? ? travers cette analyse, ous essaierons de définir les valeurs et le message transmis par ce « caprice » (Corneille 107) cornélien. Le premier mécanisme annonciateur de l’illusion et du mensonge dans l’oeuvre de Corneille est, sans aucun doute, le choix de l’espace dramatique du premier plan de la pièce: la grotte d’Alcancre. Cette « grotte obscure » qui n’ouvre « son voile épais qu’aux rayons d’un faux jour »ii (1. 1. -4) est le lieu parfait our ce spectacle illusoire qu’Alcandre s’apprête à n 4 qu’Alcandre s’apprête à nous donner. Tout y est faux, les images à venir comme la lumière du jour, et Alcandre ne s’en cache pas: Sous une illusion, vous pourriez voir sa vie » (1. 2. 150). Ce lieu est idéal car dans l’obscurité, il est difficile de distinguer le réel, donc la vérité de ce qui nous entoure, et en ce sens, l’imaginaire mensonger prend toute son importance. De plus, l’endoit est teinté d’une valeur angoissante. En plus de l’obscurité, Dorante décrit ce lieu à Pridamant comme un « affreux séjour » (1. . 3) ou se pratique « le commerce des ombres » (1. 1. 6). Ceci rend indubitablement le potentiel visiteur, en la personne de Pridamant, enclin à se laisser influencer et tromper par le magicien dont la puissance ous est décrite comme sans limite par Dorante. Cette absence de limite est d’autant plus claire Le Guelte 3 lorsque l’on prend en compte l’unanimité des critiques qui voient Alcandre comme une représentation de Corneille lui-même, le grand maître de cérémonie qui cache et dévoile, mèle le vrai au mensonge et la réalité à l’illusioniii.
Par ses ‘charmes’, mot qu’il prononce plusieurs fois et qui appuie l’aspect illusoire de l’intrigue à venir, il prendra le contrôle de Pridamant et jouera avec ses perceptions tout comme la pièce en elle-même joue avec celles du public. Pridamant oit assister à cette fausse vérité en image que lui donne le mage et n’a pas d’autres options: « De ma grotte surtout ne sortez qu’après moi / Sinon vous êtes mort » (2. 1. 216-217).
Il est donc vital pour le père de Clindor d’assister à ce ‘spectacle’ et Alcandre a les pleins pouvoirs sur lui. 30F 14 vital pleins pouvoirs sur lui. Cette tournure n’est pas surprenante étant donné que dés le premier vers de cette pièce, nous sommes informés du fait qu’Alcandre est un Mage et qu’est-ce qu’un Mage sinon un homme ayant les plein pouvoirs sur la perception du réel? Et la magie n’est-elle pas a science du mensonge et de la déformation du réel par excellence?
Ce choix de donner le rôle de metteur en scène au Mage Alcandre, maître du mensonge et des apparences, montre clairement le poids du faux-semblant, du feint et du mensonge comme thèmes omniprésents dans cette oeuvre cornélienne. Mais au delà du mensonge illusoire ? travers les images qu’Alcandre montre à Pridamant, il contrôle aussi sa perception du réel ? travers le langage. En effet, dans ses discours, Alcandre mélange vérité et mensonge, réalité et faux-semblant.
Sil explique clairement à Pridamant que ce qu’il st sur le point de voir n’est pas réel et ne sera interprété que par des ‘spectres’ et des ‘fantômes’, il prend également le soin de se jouer des perceptions du père en annonçant, par exemple, la mort de Clindor dans le cinquième acte avant de révéler la vérité « Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles, / Et, pour les redoubler, voyez ses funérailles. » (5. 5. 1745-46). Bien entendu, Clindor n’est pas mort et le e Guelte 4 rideau ne s’ouvre que sur la troupe des acteurs partageant les gains mais ce mensonge du Mage a une valeur éducative.
En maintenant •usqu’au bout le suspense et n étalant cette prétendu 4 4 éducative. En maintenant jusqu’au bout le suspense et en étalant cette prétendue mort du son fils, il donne à Pridamant le choc nécessaire pour comprendre la vérité, la ‘vraie’ vérité, non pas celle de la société du XVIIème siècle pour qui, le théâtre était sujet à discorde. Comme le note avec justesse Francis Assaf, « la fausse mort constitue l’étape indispensable qui mène au savoir, car l’illusion est la condition nécessaire à la mse en place d’un ordre _ définitif? _ qul succédera au désordre initial » (49).
Cest donc par le mensonge u’Alcandre parvient à ancrer la vérité dans l’esprit de Pridamant et que Corneille parvient ? l’ancrer dans l’esprit du public. Car si Alcandre est une métaphore du dramaturge, Pridamant peut être vu comme une métaphore du spectateur qui assiste et se fait tromper par le génie du spectacle et du discours. Un autre mécanisme du mensonge et de l’illusion utilisé par Corneille dans cette pièce est l’utilisation de la mise en abyme. Cet outil trompe le spectateur dans son interprétation des évènements et trouble ses perceptions.
On trouve plusieurs occurrences de cette technique dans L’Illusion comique. La première pièce est l’Acte qui met en scène Alcandre et Pridamant dans la grotte du magicien. Ensuite apparait une pièce dans la pièce: les aventures de Clindor et des autres personnages dans les trois actes suivants. Puis, l’acte V représente une troisième pièce car, et cela ne se comprend qu’en lisant les notes scéniques, il s’agit cette fois de la troupe d’acteurs jouant une tragédie et se partageant les gains à la fin de la représent d’acteurs représentation.
Il est donc aisé, dans cette succession et juxtaposition de pièces, décrivant le réel et l’irréel, de se perdre. Et cette perte st une étape primordiale et nécessaire pour assurer la compréhension de la vérité. Avec cette pièce hors-normes, Corneille met le spectateur dans une situation totalement innatendue où ce dernier perd ses repères et est donc en parfaite situation pour capter le message transmis, étant Le Guelte 5 éloigné de tout présupposés ou habitudes.
L’acte V est pariculièrement trompeur pour le spectateur, et pour Pridamant, ceux-ci n’ayant pas, bien entendu, accès aux notes scéniques et ne comprenant pas qu’il s’agit là dune tragédie interprétée et non pas de la continuation des trois ctes précédents. Ce n’est qu’après la levée de rideau sur la troupe qu’Alcandre dévoilera la vérité à un Pridamant totalement perdu: ‘Et depuis sa prison ce que vous avez vu / Son adultère amour, son trépas impourvu / N’est que la triste fin d’une pièce tragique » (5. 5. 1767-69).
Ainsi cette illusion sous la forme d’ « action feinte à l’apparence du vrai » (Demiri 67) renforce la puissance du mensonge comme « véhicule du vrai » (Assaf 49). Sans ce dernier mensonge, Alcandre n’aurait jamais pu atteindre son but éducatif envers Pridamant et sa considération de l’art théâtral. ? ravers toutes les fausses interprétations qui ont été formées par Pridamant et le spectateur, la magie d’Alcandre et sa maitrise de la tension réel/irréel est mise en avant et éduque ses témoins. La réussite de ce processu 6 4 maitrise de la tension réel/irréel est mise en avant et éduque ses témoins.
La réussite de ce processus est indiscutable au vu de l’intervention de Pridamant face à la fausse mort de son fils: « Hélas, il est perdu! » (Corneille 5. 5. 1700). II adhère corps et esprit au mécanisme mensonger mis en place par le Mage. Non content d’exploiter de nombreux mécanismes théatraux our tromper et induire en erreur le spectateur, le mensonge est également omniprésent au sein même des scénarii mis en abyme. Les personnages représentés, à de très rares exceptions, dissimulent, cachent, manipulent et certains vont même jusqu’à adopter le mensonge fantaisiste comme style de vie.
Nous pensons, naturellement au capitan Matamore, personnage burlesque et absurde qui se forge une vie à mille lieux de la réalité et qui, à l’aide de son, d’apparence fidèle, serviteur Clindor, ne cesse de s’enfoncer de plus en plus loin dans l’improbable. Cependant, Corneille a été clair sur le rôle e Guelte 6 e ce personnage, il n’a « d’être que pour l’imagination, inventé exprès pour faire rire » (Examen 107). Ce personnage s’avère cependant inefficace dans sa pratique du mensonge car personne ne porte attention à ses « rodomontades » (3. 3. 30), mot qu’utilise Géronte pour qualifier la fausse extravagance du capitan. Géronte sera le premier à lui montrer que son jeu ne prend pas; s’en suivra son serviteur Clindor qui, non content de l’avoir suborné, se permettra également de le menacer. Ainsi, si le messa e lobal de cette oeuvre est la glorification du théâtre, ch 7 4 oeuvre est la glorification du théâtre, chose sur aquelle beaucoup de critiques semblent s’accorder, le mensonge et l’illusion théâtrale doivent s’effectuer sous certaines règles pour atteindre leurs objectifs et Matamore représente le nonrespect de ces règles.
Il ne maitrise sa situation, encore une fois, que dans son imaginaire et même lorsqu’il fait face à la mise au jour de sa couardise, il continue de mentir. Son utilisation du mensonge n’a pas de limites et il s’applique, au grand jour, a tenter de faire croire l’incroyable à ses interlocuteurs en se mettant au même niveaux que les plus grands des dieux et en inventant es fables insensées comme cette lettre de la reine d’Islande, territoire n’ayant pas de reine. Et ceci ne représente qu’un exemple des myriades d’improbables feintes qu’il essaie de transmettre dans ses discours.
Selon Demiri, son manque dhabileté à manier le mensonge et l’illusion en font « un ‘mauvais acteur’, puisqu’il ne parvient à duper personne » (Demiri 77). Clindor, quant à lui, a une plus grande maitrise du mensonge et il n’hésite pas ? l’employer, en amour comme en amitié. En effet, comme nous l’avons déjà mentionné, il joue des apparences face à Matamore, qu’il est censé servir. Face à lui, il n’hésite pas à entrer dans le jeu de son imaginaire extravagant et improbable mais il utilise cette confiance que le capitan a en lui pour le doubler dans sa quête d’Isabelle.
Nous voyons également un indice de son inclination au mensonge dans sa volonté de dissimuler sa propore identité: « Il a caché son nom en battant la Le Guelte 7 campagne / Et s’ B4 dissimuler sa propore identité: « Il a caché son nom en battant la campagne / Et s’est fait, de Clindor, le sieur de la Montagne » (1. 3. 205-206). Le mensonge représente presque une valeur identitaire chez ce personnage. Cette propension au mensonge et ? la tromperie n’étonne plus personne après que le Mage ait expliqué son passé.
Clindor n’a, en effet, pas hésité à voler son père en le quittant et après avoir exercé de nombreux métiers basés sur la maitrise du mensonge: il vend des amulettes censées éradiquer la maladie, devient un charlatan confirmé et en arrive même à tricher au jeu: « Ennuyé de la plume, il la qu’tta soudain / Et dans l’académie il joua de la main » (1. 3. 176). Et même lorsque le brave Matamore le prend ? son service, il se joue toujours de lui et n’hésite pas, par le ensonge et la flatterie, à le dérober: « II sait avec adresse, avec les paroles, / De la vaillante dupe attraper les pistoles » (1. . 197-198). Cependant, s’il réussit à faire passer ses mensonges sans problèmes avec son objectif principal, Isabelle, il n’a pas toujours autant de réussite. Lorsque son rival Adraste le surprend la première fois après sa conversation avec Isabelle, il ne croit pas à sa version mensongère des faits: « Pour être son valet je vous trouve honnête homme / Vous n’avez point la mine à servir sans dessein / un fanfaron plus fou que son discours n’est vain » (27. 38-40). Lyse, non plus, ne tombera pas dans son piège lorsqu’il lui déclamera son amour malgré sa volonté dépouser Isabelle: « L’ingrat! l trouve enfin mon visage charmant /Et pour me suborner il con d’épouser Isabelle: « L’ingrat! il trouve enfin mon visage charmant /Et pour me suborner il contrefait l’amant » (3. 6. 815-16). Nous voyons donc ici que, si les mensonges de Clindor ne passent pas avec les personnages secondaires à sa propre quête, ils ont quand même de l’influence et atteignent leur objectifs avec Isabelle. En ce sens, Clindor reste un bon menteur et un ‘bon acteur’. La relation de Lyse avec le thème du mensonge est particulièrement intéressante.
Après le mensonge de Clindor qu’elle dévoilera, c’est en disant la vérité qu’elle apportera la tragédie sur son destin en faisant en sorte qu’Adraste découvre ses ambitions, ce qui mènera à son Le Guelte 8 emprisonnement et sa condamnation à mort. Or, regrettant son geste honnête et empreint de vérité, c’est par le mensonge qu’elle réparera ses erreurs. En feignant l’amour envers son geôlier, elle permettra à Clindor d’échapper à son tragique destin: « Des yeux et du discours flattant son spérance/D’un mutuel amour j’ai formé l’apparence » (4. . 1081-82). II est clair, ici, que Lyse maîtrise le mensonge mieux que quiconque et sait l’utiliser à bon escient car elle est la raison seule pour laquelle cette pièce reste une comédie et ne se transforme pas en tragédie avec la mort de Clindor. Isabelle, quant à elle, n’utilise le mensonge qu’envers le mensonger lui-même: Matamore. Sa relation avec le mensonge est plus tournée vers l’ironie et, tout comme Clindor, elle prétend aimer et se tenir fidèle à la volonté de l’extravagant face à lui mais, dés qu’il a le dos to 0 4