Jacques le Fataliste texte int gral
Journée 1,1 : les voyageurs Jacques et son maître chevauchent dans le brouillard. Diderot à son écritoire. A Pavant-scène, Maître Tu as donc été amoureux ? page Jacques Si je l’ai été ! Maitre Et cela par un coup d Par un coup de feu. 2 e. Tu ne m’en as jamais rien dit. Je le crois bien. Pourquoi donc ? C’est qu’il était écrit là-haut que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard. Celui-là était apparemment écrit là-haut, celui-là était apparemment écrit làhaut…
Diderot Vous voyez que je suis en beau chemin, et qu’il ne tiendrait qu’? mol de vous aire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques. Qu’estce qui m’empêcherait de marier le maître, et de le faire cocu ; d’embarquer Jacques pour les îles, d’y conduire le maitre, de les ramener tous deux en France sur le même vaisseau ? Qu’il est facile de faire des contes Mais ils en seront quittes l’un et l’autre pour un mauvais moment, et vous pour ce délai. Jacques et son maître remontent à cheval. Voilà donc Jacques et son maître remontés à cheval qul poursuivent leur chemin.
Ils vont quelque temps en silence, et lorsque chacun est un peu remis de son chagrin… Eh bien ! Jacques, où en étions-nous de tes amours ? Chaque balle qui part d’un fusil a son billet, disait mon capitaine. II était donc écrit que devant Fontenoy, Jacques aurait le genou fracassé par une balle. Ah ! essure plus cruelle que Monsieur, je ne crois pas 2 OF croupe. Docteur Monsieur a raison. (En colère 🙂 De quoi te mèles-tu ? Je me mêle de mon métier : je suis chirurgien à votre service, et je vals vous démontrer..
Fille-en-croupe Monsieur le chirurgien, passons notre chemin et laissons ces messieurs qui n’aiment pas qu’on leur démontre. Je veux leur démontrer et je leur démontrerai… Tout en se détournant pour démontrer, le docteur pousse sa compagne et lui fait perdre l’équilibre. La voici qui tombe, un pied pris dans l’étrivière, les cotillons renversés sur sa tête. Ah ! ah ! ah Voilà ce que c’est que démontrer. Voilà ce que c’est que de n 3 OF qu’on démontre ! voyageurs. Cennemi est en déroute, moi sur une charrette pour être conduit à l’un de nos hôpitaux.
Je perds tout mon sang, je suis presque un homme mort ; notre charrette s’arrête devant une chaumière. Je demande ? descendre ; on me met ? terre. Une jeune femme debout à la porte de la chaumière me donne à boire. On se dispose à me rejeter parmi mes camarades lorsque, m’attachant fortement aux vêtements de cette femme, je proteste que, mourir pour mourir, J’aime autant que ce soit ici. En achevant ces derniers mots, je tombe en défaillance… Au sortir de cet état, je me trouve déshabillé et couché dans un lit. Autour de moi un paysan, sa femme – la même qui m’a secouru – et quelques petits enfants.
Ah ! malheureux, coquin, infâme, je te vois arriver… Mon maitre, je crois que vous ne voyez rien. N’est-ce pas de cette femme que tu vas tomber amoureux ? Et quand cela serait ? Est-on maître de tomber ou de ne pas omber amoureux ? Si cela eût été écrit là-haut ous vous disposez à me 4 2 « Tout ce qui nous arrive de bien ou de mal ici bas est écrit là-haut. » z-vous quelque moyen d’effacer cette écriture ? Prêchez tant qu’il vous plaira, vos raisons seront peut- être bonnes, mais s’il est écrit là-haut que je les trouverai mauvaises, que voulez-vous que j’y fasse ?
Ils poursuivent leur chemin. 4 Jacques ne connaissait ni le nom de vice, ni le nom de vertu. Il prétendait qu’on était heureusement ou malheureusement né. Quand il entendait prononcer les mots récompense ou châtiment, il haussait les épaules… Qu’est-ce que cela, s’il n’y a pas de liberté et que notre destinée est écrite làhaut ? Le capitaine de Jacques lui avait fourré toutes ces opinions dans la tête : il les avait trouvées lui-même dans son Spinoza. On pourrait imaginer d’après ce système que Jacques ne se réjouissait, ne s’affligeait de rien.
Cela n’était pourtant pas vrai : il remerciait son bienfaiteur, se mettait en colère contre l’homme injuste. Il était inconséquent, comme vous et moi, et sujet à oublier ses principes… s 2 ils allaient, quoiqu’ils sussent à peu près où ils voulaient aller, trompant l’ennui et la fatigue par le ilence et le bavardage, comme c’est l’usage de ceux qui marchent, et quelquefois de ceux qui sont assis. Eh bien ! Jacques, l’histoire de tes amours ? Je ne sais où j’en étais. Je ferais tout aussi bien de recommencer. Non, non ! evenu de ta défaillance à la porte de la chaumière, tu te trouves dans un lit, entouré de gens qui l’habitent.. J’y suis. On fit venir un chirurgien. Ah ! monsieur, c’est une terrible affaire que de f arranger un genou fracassé. 5 Allons donc ! Jacques, tu te moques. A peine le maitre de Jacques lui eut-il fait pour la seconde fois cette impertinente réponse que son cheval bronche et s’abat. Son genou va s’appuyer rudement sur un caillou pointu, et le voilà criant à tue- tête : 6 2 Eh bien ! Monsieur, qu’en pensez-vous ? De quoi ?
De la douleur au genou, Je suis de ton avis : c’est l’une des plus cruelles. Ah ! mon maitre, mon maitre, nous ne plaignons jamais que nous… Le maitre se remit en selle ; il appuya cinq ou six coups d’éperon ? son cheval, qui partit comme un éclair. Autant en fit la monture de Jacques, car il y avait entre ces deux animaux la même intimité qu’entre leurs cavaliers : c’étaient deux paires d’amis. Exeunt Jacques et son maitre. Intermède. 6 Journée 1, 2 : la femme à l’oreille Jacques et son maître reparaissent. Le maître descend de cheval. Il boitille douloureusement.
Tous deux s’asseoient au bord du chemin. Voulez-vous que nous revenions à la douleur au genou qui est devenue vôtre 2 conviens que tu nous a mis dans l’embarras. L’année est mauvaise, à peine pouvons-nous suffire à nos besoins, et voilà le moment que tu prends pour retirer ici un inconnu, un étranger, qui n’a pas le sou, et qui doublera, triplera notre dépense. Femme C’est bien le moment que vous choisissez pour me faire un enfant ! Mari Tu me dis cela toutes les fois. 7 Cela n’a jamais manqué quand l’oreille me démange, et j’y sens émangeaison comme jamais.
Ton oreille ne sait ce qu’elle dit. Laisse donc, rhomme ! Est-ce que tu es fou ? Tu feras si bien que dans neuf mois tu me bouderas comme si c’était ma faute.. Non, non… C’est toi qui l’aura voulu… 8 2 pas ma femme, ne suis-Je pas ton mari ? Ah ! ah ! Qu’est-ce ? L’oreille ! Cela se passera. Coreille ! l’oreille Co-reil-le Fo-reil-le L’oreille, l’oreille… Je ne vous dirai point ce qui se passait entre eux, mais la femme, après avoir répété : « L’oreille ! l’oreille ! » plusieurs fois de suite à voix basse précipitée, finit par balbutier à syllabes interrompues :
Et à la suite de cette « o-reil-le je ne sais quoi qui joint au silence succéda, me fit imaginer que son mal d’oreille s’était apaisé dune ou d’autre façon, et cela me fit grand 72 vous êtes un fripon, car tous les Jours vous changez de gaine. » « Gaine, ce n’est pas là ce que vous m’aviez promis ! » « Coutelet, vous m’avez trompé le premier. » Ce débat s’était élevé à table. Cil qui était assis entre la Gaine et le Coutelet prit la parole, et dit : « Vous Gaine et vous Coutelet, vous fites bien de changer puisque changement vous duisait ; mais vous eûtes tort de vous promettre que vous ne changeriez pas.
Coutelet, ne voyais-tu pas que Dieu te fit pour aller ? plusieurs gaines ? Et toi, Gaine, pour recevoir plus d’un coutelet ? Vous regardiez pour fous certains coutelets qui faisaient vœu de se passer à forfait de gaine, et comme folles certaines gaines qui faisaient vœu de se fermer pour tout coutelet ; et vous ne pensiez pas que vous étiez presque aussi fous lorsque vous faisiez vœux toi, Gaine, de t’en tenir à un seul coutelet et toi, Coutelet, de t’en tenir à une seule gaine ? Votre fable n’est pas trop morale. Mais elle est gaie. Is piquent des deux. Intermède. 10 Journée 1,3 : l’auberge 0 2