David Thackeray Liberalisme Et Conservatisme
FAIRE DE LA POLITIQUE À L’HEURE DE LA DÉMOCRA IE Libéralisme et conservatisme populaire en Grande-Bretagne (1906-1924) David Thackeray et Pierre Purseigle Presses de Sciences Po I Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2013/4 – NO 120 pages 57 à 69 Document téléchargé depuis www. cairn. info – université de Genève – – 129. 194. 8. 73 – 12/01/2015 17h26. C presses de Sciences po orq2 Article disponible en Sni* to View -htt -revue-d-histoire-2013-4-page-57. tm -vingtieme-siecle —-Pour citer cet article : David et Purseigle Pierre, « Faire de la politique à l’heure de la démocratie » Libéralisme et onservatisme populaire en Grande-Bretagne (1906-1924), Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2013/4 NO 120, p. 57-69. DOI : IO. 3917/ving. 120. 0057 quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www. cairn. info – Université de Genève 129. 194. 8. 73 12/01/2015 17h26. C Presses de Sciences Po ISSN 0294-1759 Faire de la politique à l’heure e la démocratie Libéralisme et conservatisme populaire en Grande-Bretagne (1906-1924) Genève -129. 194. 8. 73 – 12/01/2015 17h26. C Presses de L’histoire politique britannique envisage traditionnellement le déclin du Parti libéral dans ses rapports aux deux autres grands partis conservateur et travailliste.
L’article de David Thackeray s’inscrit dans le courant historiographique renouvelé d’une histoire culturelle du politique et insiste au contraire sur les transformations politiques et culturelles qui affectent la vie politique après la Grande Guerre (extension inédite du suffrage, éminisation de l’électorat, nouveaux répertoires d’actions et nouvelles formes de mobilisation déployés par les partis à l’âge de la démocratie de masse) pour expliquer ce renversement des fronts politiques. PAGF 9 sein du Parlement avant la Première Guerre mondiale, jusqu’à former, en 1924, un gouvernement minoritaire.
Il doit cette première experience gouvernementale ? VINGTIÈME SIÈCLE. REVUE D’HISTOIRE, 120, OCTOBRE-DÉCEMBRE 2013, p. 57-69 une popularité nouvelle due, en partie, à l’expansion du syndicalisme britannique pendant et à la suite du premier conflit mondial. La ériode édouardienne a été souvent réduite ? la « crise du conservatisme 1 Pourtant, si le parti conservateur a connu l’échec électoral ? trois reprises avant la Première Guerre mondiale, il est parvenu ? se maintenir au pouvoir de 1918 à 1938, seul ou à la tête d’une coalition, à l’exception cependant de trois années.
Par ailleurs, le Parti libéral, qui avait bénéficié d’un raz-de-marée électoral en 1906 avec l’obtention de 397 sièges, se vit réduit, en 1924, ? n’en occuper qu’une quarantaine. Mals cette période fut aussi celle où la société britannique saisit les opportunités offertes par es avancées de la démocratie. Au début de la période qui nous occupe, près d’un million de femmes pouvaient ainsi prendre part aux élections locales.
Les militantes jouaient de fait un rôle important dans les principales controverses politiques, par exemple lors des débats autour du libre-échange (défendu par les libéraux) et de l’imposition de tarifs douaniers (préférée par un nombre croissant de conservateurs 2). Avant (1 ) Ewen H. H. Green, The Crisis of ConseNatism : The Politics, Economics and Ideology of the British Conservative Party, 1880-1914, Londres, Routled e Iggs. (2) Frank Trentmann, Free PAGF 3 9 : Commerce, 2008, chap. et 2 ; 57 David Thackeray, Genève -129. 194. 8. 73 – 12/01/2015 17h26. @ Presses de DavidThackeray Genève – – 129. 194. 8. 73 – 12/01/2015 17h26. C Presses de 1918, date à laquelle elles obtinrent le droit de vote, les femmes ne pouvaient cependant peser que de manière indirecte sur la vie politique Le Representation of the People Act adopté en 1918 permit en effet la plus large extension du corps électoral de toute l’histoire britannique. D’un seul coup, le corps électoral passa de sept milllons à près de vingt mlllions.
Tous les hommes de vingt et un ns et plus, comme la plupart des femmes de plus de trente ans, avaient désormais le droit de désigner leur représentant aux Communes. Devant une telle transformation de la composition de l’électorat britannique au début du 20e siecle, l’historien se doit de considérer la manière dont les hommes politiques envisagèrent de nouvelles manières de séduire des électeurs et des électrices qui, pour la plupart, n’étaient pas affiliés de longue date à un parti politique.
Les tenants d’une « nouvelle histoire politique » britannique ont, ces dernières années, souligné l’importance des a els aux otions « d’identité » et « importe notamment de s’intéresser aux outils de communication visuelle, comme les affiches de propagande électorale, et de s’attacher aux manières dont le jeu politique se déploie au sein de l’espace public. Les « Home and Politics : Women and Conservative Activism in Early Twentieth Century Britain », Journal of British Studies, 49, 2010, p. 826-848, p. 30-831 (1) Pour une introduction à ce type d’approches et à leur rapport aux autres types d’histoire politique, voir Jon Lawrence et Mlles Taylor, « Les historiens britanniques face à la sociologie olitique », Politix, 21, 81, 2008, p. 13-39 ; Susan Pedersen, « What is political History Now ? in David Cannadine (dir. ), What is History Now ? , Londres, Palgrave Macmillan, 2002, p. 36-56. 58 formes de la militance, tout comme les rituels électoraux et les grands meetings, jouèrent un rôle crucial dans la construction des rapports entre dirigeants et dirigés.
On rejoint donc ici la démarche des historiens de la Troisième République qui s’intéressent tout particulièrement aux cultures politiques ? l’instar de Maurice Agulhon, Karine Varley et Jessica Wardaugh 2. Cet article analyse l’évolution profonde de a culture politique britannique au début du 20e siècle et en particulier l’adaptation des partis politiques aux changements de la réglementation électorale. Il souligne ainsi l’importance d’une forme inédite d’organisation de masses inconnue avant 1918.
Ainsi, plutôt que d’envisager le déclin du Parti libéral à travers son rapport au Parti travaillist souvent le cas, l’article PAGF s 9 Tandis que le Parti conservateur se montra particulièrement apte à répondre aux défis posés par l’expansion du corps électoral et par les transformatlons du paysage politlque, les libéraux ne parvinrent pas à construire, après 918, une organisation de masse en mesure de mobiliser le nouvel électorat.
Le libéralisme et la culture politique britannique Colin Matthew affirmait en 1976 que les difficultés que rencontra le Parti libéral à s’adapter ? la vie politique du 20e siècle « résidaient en partie dans son attitude à l’égard du corps politique et procédaient de la nature de son organisation (2) Maurice Agulhon, Marianne au Pouvoir : l’imagerie et la symbolique républicaine de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989 ; id. Les Métamorphoses de Marianne : l’imagerie et la symbolique républicaine de 1914 à nos jours, Paris, Flammarion, 001 ; Karine Varley, Under the Shadow of Defeat : The War of 1870-71 in French Memory, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009 ; Jesslca Wardhaugh, ln pursuit of the people : political Culture in France, 1934-39, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009. DAVID THACKERAY politique 1 Ces difficultés tiendraient notamment à l’attention limitée et réticente qu’il p anisation électorale. Le PAGF 6 9 Cette vision s’accorde pourtant difficilement avec l’historiographie actuelle du Parti libéral édouardien.
Pour Peter Clarke, le succès du Parti proviendrait de sa capacité à élaborer un programme populiste articulé autour de éformes sociales. Nombre des principaux responsables politiques libéraux tels que Winston Churchill et David Lloyd George étaient tout aussi habiles que leurs rivaux lorsqu’il s’agissait de jouer le jeu populiste de la « politique de rue 3 Des travaux plus récents ont montré, de même, que les libéraux avaient su adopter des méthodes spectaculaires pour promouvoir tour à tour, avant 1914, des causes aussi variées que le libre-échange ou le rejet des servitudes imposées aux travailleurs chinois 4.
Qu’en est-il, cependant, de l’autre problème soulevé par Colin Matthew, celui de l’organisation populaire ? Les ravaux consacrés au libéralisme populaire au début du 20e siècle se sont pour l’essentiel intéressés à l’organisation officielle du Parti. À l’exception de quelques études importantes consacrées à la Primrose League ou au mouvement protectionniste de réforme (1 ) Ross McKibbin, Colin Matthew et John Kay, « The Franchise Factor in the Rise of the Labour Party », English Historical Review, 91, 1976, p. 723-752, notamment p. 742. 2) Ibid. ; voir aussi Colin Matthew, « Rhetoric and Politics in Great Britain, 1860-1950 in Philip J. waller (dir. ), Politics and Social Change in Modern Britain : Essays Presented to A. F. Thompson, Brighton, Haruester, 1987, p. 34-58, notamment p. 50. (3) Peter Clarke, Lancashire and the New Liberalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1971, chap. 6. (4) Jon Lawrence, Electing Our Masters : The Hustings in British Politics from Hoga ford, Oxford Universitv PAGF 7 9 British Politics from Hogarth to Blair, Oxford, Oxford University Press, 2009, chap. ; James Thompson, « Pictorial Lies ? Posters and Politics in Britain, c. 1880-1914 Past and Present, 197, 2007, p. 177-210. douanière (tariff reform), nous pourrions dire la même chose des études sur le Parti conservateur 5. Pourtant, ans la Grande-Bretagne édouardienne, le militantisme politique se déployait principalement sous les auspices de ligues indépendantes, telles que la Free Trade Union ou la Tariff Reform League, et non au sein de structures partisanes officielles.
C’était en particulier le cas pour les femmes désireuses de s’impliquer en politique. Il n’existait en effet, au sein du Parti conservateur, aucune organisation féminine. Par conséquent, les militantes se retrouvaient pour la plupart au sein de la Women’s IJnionist and Tariff Reform Association (WUTRA), une organisation indépendante, finalement rattachée au arti en 1918. De même, le partl libéral, divisé sur le droit de vote des femmes, s’était montré incapable de mettre sur pied une organisation féminine centralisée.
Se livrant bataille sur les questions de libreéchange et de réformes douanières, ces organisations indépendantes semblent avoir été si bien financées que leurs ressources n’avaient rien à envier à celles des organisations partisanes officielles. On estime ainsi que les dépenses mensuelles de la Free Trade Union au début de sa campagne étaient équivalentes au budget annuel de la Fédération nationale libérale.
En 907, le secrétaire de l’ancien Premier ministre, Arthur Balfour, affirmait que les sections PAGF 8 9 libéral, étaient mieux financées et organisées que les sections locales du Parti conservateur 6. (5) Sur la primrose League, voir Martin pugh, The Tories and the People, Oxford, Blackwell, 1985 ; Philippe Vervaecke, « Dieu, la Couronne et l’Empire, la Primrose League, 1883-2000 • culture et pratiques politiques d’un mouvement conservateur thèse de doctorat, LJniversité de Lille, 2003. (6) John W.
Hancock, « he Anatomy of the British Liberal Party, 1908-1918 : A Study of ‘ts Character and Disintegration », hèse de doctorat, Université de Cambridge, 1992, p. 29 ; British Library ( ordres), Balfour Mss, Adda MSS 49765, ff. lo-1 6, Robert Sandars à Arthur Balfour, 22 janvier 1907 ; Churchill 59 Genève 129. 194. 8. 73 – 12/01/2015 17h26. C presses de FAIRE DE LA POLITIQUE À L’HEURE DE LA DÉMOCRATIE Genève -129. 194. 8. 73 12/01/2015 17h26. @ Presses de Le développement de telles organisations répondait pour l’essentiel à une question financière.
Des associations telles que la Tariff Reform League et la Free Trade Union, théoriquement indépendantes du parti, pouvaient épenser des sommes considérables durant les campagnes électorales sans que ces dernières figurent sur les comptes des candidats, au motif qu’elles promouvaient des politi ues ubliques et non des candidats parti faits, PAGF ç 9 les libéraux et les conservateurs relevaient du secret de Polichinelle 2. Malgré tout, ces ligues politiques indépendantes ont été négligées par les historiens, du fait sans doute de leurs archives lacunalres.
Pour Colin Matthew, « plus que les autres partis, les libéraux considéraient que l’électorat pouvait être mobilisé, non pas par des organisations extra- arlementaires, mais en s’attachant à ses problèmes particuliers, en faisant appel au bon sens et à une approche claire et détaillée du processus législatif 3 Avant 1914 les libéraux connaissaient néanmoins tout autant que leurs rivaux, nous Pavons vu, la valeur des structures extra- parlementaires et l’intérêt de campagnes populaires.
Matthew souligne toutefois ici un aspect important. Bien que les libéraux se fussent avérés très efficaces quand il s’est agi college (Cambridge), Chartwell Mss, 2/44/3, James caird ? Winston Churchill, 13 décembre 1909 : la campagne de onférences 1909-1910 de la Free Trade union est financée par don de dix mille livres de l’industriel James Cam. (1) Philip G.
Cambray, The Game of Politics : A Study of the Principles of British Political Strategy, Londres, John Murray, 1932, p. 155. (2) Henry C. Richards, The Candidates’ and Agents’ Guide in Contested Elections, Londres, Jordan & Sons Limited, 1893, 4e éd. 1904, p. 39, 44 et 68. (3) Ross McKibbin, Colin Matthew et John Kay, op. cit. , p. 743. 60 de courtiser l’électorat restreint de la période édouardienne, ils ne connurent as le même succès, après 1918, en m veaux