Barrouillet Camos
Le développement de la mémoire de travail Pierre Barrouillet Université de Genève Valérie Carnos Université de Bourgogne & Institut Universitaire de France Count = 109577 caractères (espaces compris) ora Sni* to View Remerciements Les auteurs tiennent à remercier Evie Vergauwe pour son aide. Ce chapitre a été écrit alors que le second auteur bénéficiait d’un fellowship du Leverhulme Trust à l’University of Bristol (Grande- Bretagne). 1. Introduction Depuis les travaux princeps de Baddeley et Hitch (1974), la notion de mémoire de travail n’a cessé d’occuper une place toujours plus importante en psychologie.
Concevant la pensée comme un processus de formation, de stockage et de manipulation de représentations symboliques, l’approche cognitiviste rendait Engle, 1997). En tant que centre exécutif du système cognitif, la psychologie contemporaine considère que la mémoire de travail joue un rôle essentiel dans les activités dites contrôlées, par opposition aux activités réputées automatiques, son contenu recouvrant celui de notre conscience et constituant la toile de fond de notre activité mentale.
Ainsi, les limitations manifestes de la pensée humaine dans les activités de raisonnement, de résolution de problème, ou e compréhension ont été attribuées aux capacités limitées de la memoire de travail, les variations individuelles de cette capacité sous-tendant un part importante des variations observées entre les individus dans ces activités. La notion de mémoire de travail s’est alors substituée au concept jugé trop flou d’intelligence comme facteur explicatif des performances cognitives (Kyllonen & Christal, 1990).
Le rôle accordé à la mémoire de travail dans la mise en œuvre des activités cognitives a naturellement conduit les psychologues du développement à faire de l’accroissement avec l’âge de ses apacités un des facteurs essentiels du développement cognitif. Ainsi, de nombreuses théories ont supposé que les différences développementales dans le niveau maximal de complexité que peut atteindre la pensée étaient directement liées à la quantité d’information pouvant être maintenue active et traitée.
Bien que diverses métaphores soient utilisées, évoquant tour à tour un espace de traitement, des ressources cognitives ou encore une énergie ou pouvoir mental, l’idée est communément partagée que développement intellectuel et mémoire de travail sont intimement liés. Ainsi, le développement de la mémoire de travail, de son fonctionnement et de sa capaci OF de son fonctionnement et de sa capacité constitue un aspect essentiel du développement cognitif qui a donné lieu dans ces dernières décennies à de nombreuses élaborations théoriques et recherches empiriques.
Ce chapitre présente donc un panorama des connaissances actuelles sur le développement de la mémoire de travail, les déterminants de ce développement, sa nature, son impact sur les apprentissages et principalement les apprentissages scolaires, et plus généralement ses liens avec le développement cognitif au sens large. Evoquer le développement de la mémoire de travail rend nécessaire une présentation préalable de ce que l’on entend aujourd’hu par mémoire de travail.
Le lecteur pourra constater que les théories ont évolué depuis 1974 et que a mémoire de travail ne se résume pas au célèbre modèle de Baddeley et Hitch avec son central executive et ses systèmes esclaves, même s’il reste une référence pour beaucoup et qu’il n’a cessé d’évoluer depuis sa première formulation. 2. Les modèles de mémoire de travail Le modèle proposé initialement par Baddeley et Hitch (1974) est le plus ancien modèle de mémoire de travail. Il est également celui auquel il est fait le plus classiquement référence.
Son succès tient en sa capacité à rendre compte d’une multitude de faits relatifs au fonctionnement cognitif normal ou pathologique, dans des domaines variés chez l’adulte et l’enfant. Néanmoins, au cours de ces 15 dernières années, de nombreux autres modèles ont émergé se démarquant de la conception en composants multiples proposée par gaddeley et Hitch (1974) pour proposer une conception plus unitaire (voir pour une synthèse Miyak 3 OF (1974) pour proposer une conception plus unitaire (voir pour une synthèse Miyake et Shah, 1999).
Ces nouveaux modèles se démarquent également du modèle de Baddeley et Hitch par les relations qu’Ils entrevoient entre la mémoire de travail et la mémoire à court-terme, ainsi que par le rôle accordé à l’attention et aux fonctions executives dans la mémoire de travail. 2. 1.
La conception en « composants multiples » : le modèle de Baddeley Le modèle de mémoire de travail de Baddeley et Hitch (1974) a été développe à partir du concept plus ancien de mémoire à court-terme, système de stockage temporaire unitaire de capacité limitée que l’on retrouve dans le modèle de Broadbent 1958) ou dans celui d’Atkinson et Shiffrin (1968). Cependant, et contrairement à ces modèles, le modèle proposé par Baddeley et Hitch (1974) propose un système comportant de multiples composants.
En effet, dès sa version initiale, le modèle comporte un système attentionnel de contrôle, le central executive, et deux systèmes esclaves, la boucle phonologique et le calepin visuo- spatial. Le central executive est responsable de la coordination des systèmes esclaves, du contrôle des stratégies d’encodage et de récupération, et de la gestion de l’attention. Il serait fractionnable n plusieurs sous-composantes exécutives. Néanmoins, son architecture reste encore à ce jour mal connue.
Contrairement au central executive, la boucle phonologique a fait l’objet de très nombreuses recherches et elle est sans doute le composant de la mémoire de travail le mieux décrit actuellement. Elle comprend un registre de stockage temporaire dédié aux informations verbales et acoustiques, et un mécanisme de répétition articulatoire dont le rôle est de mainte informations verbales et acoustiques, et un mécanisme de répétition articulatoire dont le rôle est de maintenir la trace honologique en mémoire.
L’existence d’un tel mécanisme a été mise en évidence grâce à 4 effets principaux : reffet de similitude phonologique (les mots similaires sont plus difficiles ? rappeler), l’effet de fécoute inattentive (le maintien en mémoire phonologique est perturbé par l’écoute même inattentive d’un discours, fut-il prononcé dans une langue étrangère), les effets de suppression articulatoire (la répétition d’une syllabe ou d’un mot lors du maintien d’informations verbales réduit leur rappel subséquent), et l’effet de longueur des mots (les mots plus longs sont plus difficiles à rappeler).
Enfin, le calepin visuo-spatial serait constitué d’un registre de stockage et d’un mécanisme de rafraîchissement de l’information visuo-spatiale (un scribe interne, inner scribe), selon une structure similaire à celle de la boucle phonologique. Il serait fractionnable en des composants distincts dédiés aux informations visuelles, spatiales, et probablement kinesthésiques. Récemment, gaddeley (2000) a proposé d’ajouter à la structure originelle de son modèle un nouveau composant, le buffer épisodique.
Le buffer épisodique est un système de stockage temporaire de capacité limitée qui est capable d’intégrer des nformations provenant de différentes sources et donc de différents types. Il permet ainsi de faire l’interface entre les différents systèmes esclaves qui impliquent des codes différents, mais également avec la mémoire à long-terme. Il est contrôlé par le central executive qui peut récupérer les informations stockées dans le buffer sous forme consciente (conscient PAGF s OF les informations stockées dans le buffer sous forme consciente (conscient awareness).
De plus, le central executive peut contrôler le contenu du buffer en focalisant l’attention sur une source d’informations. Cet ajout marque un changement dans la conception de la mémoire de travail telle qu’elle est développée par Baddeley. En effet, que ce buffer soit conçu comme une nouvelle structure distincte ou comme un partie du central executive, son introduction accentue le rôle de la coordination des informations et les liens entre la mémoire de travail et la mémoire à long-terme.
Ainsi, le modèle de Baddeley a su évoluer au cours du temps, tout en conservant une structure en composants multiples et en rejetant l’idée que la mémoire de travail ne soit que la partie activée de la mémoire à long-terme, omme le suggèrent les modèles développant une conception unitaire. 2. 2. La conception unitaire Contrairement à la conception en composants multiples, d’autres auteurs privilégient une conception unitaire de la mémoire de travail.
Deux modèles semblent plus clairement se distinguer dans cette conception, le modèle de Cowan (1988, 1995, 1999, 2005) et celui d’Engle (Conway & Engle, 1994 ; Engle, Kane & Tuholski, 1999 ; Kane & Engle, 2004). On retrouve dans le modèle de Cowan, comme dans celui de Baddeley, une composante de stockage et une composante de traitement. Cependant, et contrairement à Baddeley, ce modèle e propose pas une définition structurelle mais fonctionnelle de la mémoire de travail.
Selon cette définition, la mémoire de travail est composée de l’ensemble des informations se trouvant dans un état d’accessibilité permettant leur utilisation dans les tâches en cours (cela représente le stockage) d’accessibilité permettant leur utilisation dans les tâches en cours (cela représente le stockage) et des mécanismes permettant de maintenir cet état (le traitement). Ce modèle suggère également que les composants de la mémoire de travail forment un ensemble emboîté de processus (embedded processes).
Ainsi, a mémoire de travail ne serait pas séparée de la mémoire ? long-terme, mais en représenterait une sous-partie composée, comme nous l’avons dit, des informations activées à un moment précis. Néanmoins, au sein de ces informations, un ensemble plus restreint se trouve dans un état d’activation tres élevé constituant ainsi le contenu de ce que Cowan nomme le focus attentionnel ou le contenu de la conscience.
L’allocation attentionnelle responsable de l’état d’accessibilité des informations est contrôlée conjointement par un mécanisme de recrutement automatique de l’attention par des événements notables (comme es bruits, des flash lumineux) et par un processus volontaire et cognitivement coûteux dirigé par le central executive. On notera que, dans ce modèle, ce dernier n’est pas défini comme une structure spécifique comme dans le modèle de Baddeley mais toujours de façon opérationnelle comme une somme de processus mentaux.
Contralrement à Cowan, le modèle d’Engle propose une définition reposant sur les mécanismes en œuvre dans la mémoire de travail. La mémoire de travail est, selon ce modèle, un système composé des traces mémorielles stockées en mémoire ? long-terme et se trouvant activées au-delà d’un certain seuil ‘activation, des procédures nécessaires au maintien de cette activation, et d’attention contrôlée ou executive. Les informations sont stockées dans des codes spécifiques, comme dans la 7 OF contrôlée ou exécutive.
Les informations sont stockées dans des codes spécifiques, comme dans la boucle phonologique ou le calepin visuo-spatial, mais il existe potentiellement d’autres codes. La composante la plus importante est celle d’attention contrôlée. Elle est de capacité limitée. En effet, lorsqu’il est fait référence, dans le cadre de ce modèle, à la capacité de la mémoire de travail c’est spécifiquement à cette capacité ‘attention contrôlée que le modèle renvoie, c’est à dire à la capacité limitée d’un mécanisme attentionnel tel que le central executive comme le décrivent Baddeley et Hitch.
Ainsi, la capacité de la mémoire de travail n’est plus une capacité de stockage, s’éloignant du concept de capacité de mémoire à court-terme, mais c’est la capacité à contrôler et soutenir son attention face aux interférences ou informations distractrices afin de maintenir actifs des buts temporaires. Cette idée est très proche du Système Attentionnel Superviseur (SAS) de Norman et Shallice 1986) qui avait inspiré le central executive à Baddeley et Hitch (1974). . 3. Mémoire de travail et mémoire à court terme Comme nous l’avons dit, la mémoire de travail est historiquement issue des recherches sur la mémoire à court-terme. Néanmoins, cette filiatlon transparaît à des degrés dlvers dans les différents modèles de mémoire de travail, les modèles de Baddeley et de Cowan représentant les deux extrêmes. Ainsi, le modèle de Baddeley décrit des structures spécifiquement et exclusivement dédiées au stockage à court-terme.
Au contraire, Cowan ne fait lus aucune distinction entre mémoire à long-terme et mémoire à court-terme , le contenu de ces mémoires dépendant du niveau d’activation des informations. Une mêm 8 OF court-terme , le contenu de ces mémoires dépendant du niveau d’activation des informations. Une même Information sera dite en mémoire à court-terme si elle est à un moment précis très activée et lorsqu’elle reprendra un niveau d’activation de base on dira qu’elle est en mémoire à long-terme.
Entre ces deux positions, le modèle d’Engle est quelque peu intermédiaire. En effet, il reprend l’idée de Baddeley qu’il existe des structures pécifiques dédiées au stockage ; il suggère même qu’il y en a bien plus que les deux décrites par Baddeley. Néanmoins, ce n’est pas pour lui ce qui constitue la spécificité de la mémoire de travail mais rattention contrôlée qui est au cœur de son modèle. Ce sont les capacités d’attention contrôlée qui rendent compte des différences inter-individuelles dans les tâches cognitives complexes. . 4 Mémoire de travail et inhibition Parmi les rôles de l’attention contrôlée, l’un des plus importants (si ce n’est le plus important) est de résister à l’interférence en bloquant l’accès aux informations non pertinentes pour la âche en cours (Conway & Engle, 1994). On retrouve dans les modèles d’inspiration piagétienne comme celui de Pascual-Leone l’idée que les capacités d’inhibition sont un des déterminants des différences développementales comme elles le sont des différences inter-individuelles pour Engle.
Ainsi, Engle, Conway, Tuholski, et Shisler (1995) ont montré que l’inhibition d’informations semblait utiliser les mêmes ressources que les processus attentionnels. Cependant, d’autres modèles, comme celui de Cowan, rendent compte de phénomènes similaires sans faire l’hypothèse d’un processus spécifique d’inhibition. En effet, l’attention peut être déviée d’une information part PAGF q OF d’un processus spécifique d’inhibition.
En effet, l’attention peut être déviée d’une information particulière en étant déplacée vers une autre source d’informations. L’inhibition de l’information dans ce cas ne renvoie pas à un mécanisme actif de « répression » mais à des différences relatives dans les niveaux d’activation, une information « inhibée » ayant un niveau d’activation inférieur au niveau de base des autres informations.
Néanmoins, quelle que soit la conception de l’inhibition, tous ces modèles s’accordent sur e rôle majeur de l’attention dans la mémoire de travail. 2. 5. Mémoire de travail et attention La plus grande évolution que ce domaine de recherche ait connu au cours de ces 15 dernières années est l’importance croissante de l’attention au sein de la mémoire de travail.
Bien que dès le modèle de Baddeley (1986) le lien existant entre mémoire de travail et attention ait été clairement énoncé, le central executive étant conçu comme le SAS de Norman et Shallice (1986), la recherche s’est focalisée sur les aspects de stockage à court- terme. C’est par un intérêt croissant pour le central executive et es fonctions que la question des liens entre mémoire de travail et attention a émergé, au point qu’en 1993 Baddeley remarque qu’il eut été plus exact de décrire la mémoire de travail (working memory) comme une attention de travail (working attention).
Bien qu’il n’existe toujours pas de nos jours de consensus sur les relations que ces deux concepts entretiennent, il est clair que la mémoire de travail n’est pas une mémoire per se mais plutôt une structure ou un ensemble de processus dédiés au contrôle et à la régulation des traitements. 3. Les empans simples et leur développement Comme