Bachelard, la poétique de l’espace,
De nombreuses personnes m’ont aidée dans la constitution de mes archives et de ma documentation mais également dans l’approche et la ompréhension de l’art brut et des environnements d’art brut. Je tiens exprimer ici toute ma reconnaissance à l’équipe de la Collection de l’Art Brut Lausanne, et plus particulièrement à M. Michel Thévoz pour son accueil et pour les entretiens éclairants qu’il a bien voulu m’accorder, à Mme Lucienne Peiry, Savine Faupin, conservatrice du Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq, John Maizels, directeur de Raw Vision, Bruno Montpied.
Mes recherches m’ont amenée nécessairement à solliciter les fonds d’archives des Directions Régionales des Affaires Culturelles. Que soient ici emerciés pour leur aide précieuse les personnels des DRAC Basse-Normandie, Centre, Champagne-Ardennes, Ile-de-France et Rhône-Alpes. J’ai eu le bonheur de pouvoir rencontrer certains bâtisseurs et leurs proches. Je les remercie tous pour leur sincérité, leur confiance et leurs précieux témoignages, en particulier feu Louis Auffret, feu Joël Auffret, Danielle Jacqui, feu Bodan Litnianski, Michel Natier, Jeanine Pruvost, Claude Vasseur.
Je voudrais ici exprimer toute ma gratitude et mon affection à ma famille et à mes amis qui ont toujours fait preuve de confiance, de patience et de éconfort tout au long de ces années et plus particulièrement Christophe, mon compagnon, à ma mère Nicole et à ma sœur Marion, à Ju et Yann, à Marianne, Laeti et Isa, Boris, Marie, Pépé Olive. Enfin, je tiens à remercier Jérôme Martin des Editions PHarmattan qula cru avec ferveur et enthousiasme à ce projet et m’a permis de prolonger cette aventure de la façon la plus extraordinaire qui puisse être. 20F 13 architecturales marginales, singulières, les environnements dart brut, et par celle d’une activité créatrice dont je ne soupçonnais pas la portée, le bricolage. De lus, l’étude des environnements d’art brut comme du bricolage était rare notamment dans le domaine de l’histoire de l’art. Ces domaines de recherches, véritables territoires Inconnus se soustrayant à toute classification, se sont révélés d’une richesse féconde, complexe et insoupçonnée.
Ils ont permis d’apporter non seulement un nouveau regard sur des créations méconnues, parfois méprisées, mais également de donner un nouvel éclairage sur la création artistique toute entière. Ainsi, constituer rhistoire du bricolage et des environnements d’art brut, montrer combien leur mise en relation est essentielle ‘est révélé une aventure fascinante. Le travail sur le terrain, le recensement et la prospection de sites ont occupé en effet une part essentielle de recherches.
La rencontre des acteurs de cette histoire, des bâtisseurs euxmêmes, des amateurs passionnés, des spécialistes m’a non seulement permis d’enrichir les sources dont je dsposais mais également de participer en quelque sorte à révolution de cette histoire en marche. Je voudrais ici évoquer ma rencontre avec Geneviève Roulin et Félix Rodriguez à la collection de l’Art Brut de Lausanne et à Marseille. Leur ide toujours bienveillante, discrète leur soutien dans des moments 30F 13 environnements d’art brut d’une manière indélébile. Tous deux ont disparu prématurément.
Je voudrais leur rendre ici hommage. J’espère que cette étude enthousiasmera le lecteur et que celui-ci éprouvera la même curiosité, la même fascination et le même ravissement que j’ai pu éprouver et que j’éprouve encore face ces œuvres à la puissance extraordinaire. Je souhaite que le fruit de investigations puisse donner lieu à d’autres désirs de travaux et d’études sur le chemin du bricolage et de ces aventures humaines et rtistiques qui défient toutes nos certitudes et soufflent avec candeur et audace incroyable vent de liberté. Introduction « Avec la chaleur les mouches sont revenues et j’ai dû d’urgence rafistoler le garde-manger qui était tout crevé tout démantibulé. Avec du fil j’ai même fait de magnifiques reprises à la toile métallique et plusieurs endroits j’y ai mis de la bordure en tissu, si bien que maintenant ça va. Surtout que j’ai recloué les charnières » 1 écrit Gaston Chaissac en 1948 dans l’une de ses foisonnantes correspondances. Cette fausse aiVeté dans la narration de son quotidien est éclairée lorsqu’il poursuit : « Je suis assez fort comme bricoleur pour des réparations de ce genre.
Et c’est aussi en tant que bricoleur que je peins. Si j’étais un peintre professionnel ce serait ridicule que je dessine comme 4 3 luimëme, et c’est ce qui l’exclut d’emblée de l’art professionnel. pas plus qu’il ne se dit artiste, il ne revendique quelque reconnaissance que ce soit. Au contraire, par ce simple constat, « c’est aussi en tant que bricoleur que je peins Gaston Chaissac formule une nouvelle identité : être bricoleur, ‘est ne pas être artiste professionnel, c’est trouver un chemin « autre » qui conduit à la création.
Une dizaine d’années plus tard, Claude Lévi-Strauss confère à la notion de bricolage un éclairage tout nouveau. II écrit en 1962 : « une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, pût être une science que nous préférons appeler « première » plutôt que primitive : c’est celle communément désignée par le terme de bricolage. » 3 1 Gaston CHAISSAC, « Lettre à R.
G. 25 mai 1948 », Hippobosque u Bocage, [1951], Gallimard, Collection L’Imaginaire, Paris, 1995, p. 114. 2 Ibid. 3 Claude LEVI-STRAIJSS, La pensée sauvage, [1962], Plon, Presses Pocket, Paris, 1985, in « La science du concret p. 30. 11 Alors que le terme de bricolage appartient au langage courant et désigne de menus travaux effectués à la maison sans réelles préoccupations esthétiques, l’analyse de l’anthropologue va considérablement enrichir cette notion.
Elle va permettre de conférer au 3 l’art dit « primitif » ou dans l’art brut. En effet, l’analyse du bricolage dans les sociétés dites « primitives ermet à Claude Lévi-Strauss d’étendre sa réflexion intellectuelle à l’art occidental et de faire plus particulièrement entrer en résonance bricolage avec des créations artistiques rassemblées sous le terme d’art brut. Il participe de la sorte non seulement à la révélation d’un terme mais à la reconnaissance de ces créations et de leurs auteurs.
Lévi-Strauss montre combien c’est à travers rart brut que le bricolage se révèle et prend tout son sens dans nos sociétés occidentales. Les liens ténus qui unissent l’art brut et le bricolage ne peuvent être dès ors ignorés. Gilbert Lascault écrit en 1967. « l’Art Brut se définit, non pas par l’absence de réflexion et de méthode, mais par une logique et des techniques autres ; partir de coquillages, de morceaux de bois ou de tissus, mêlant des rêves le souvenir de formes souvent hâtivement perçues dans un dictionnaire, le « créateur fait alors du « bricolage ». 1 Ces réflexions ne peuvent se faire que dans le contexte particulier des premières décennies de la seconde moitié du XXème siècle. En effet, les nouvelles aspirations artistiques du début du siècle ont permis de évéler des expressions créatrices jusque-là ignorées ou mésestimées. C’est ainsi qu’en 1948 Jean Dubuffet publie Le Manifeste de la compagnie de l’art brut.
L’art brut, expre 6 3 marginale, est à ses va définir ces œuvres non comme des manifestations d’une pathologie, mais comme des expressions artistiques « autres » et « vraies Ces recherches s’étendent rapidement créations artistiques de personnes étrangères au domaine de l’art officiel, créateurs laissés pour compte car relevant du commun, de l’ordinaire : Gilbert LASCAIJLT, « Situation de l’Art Brut Les Temps odernes, mai 1967, cité in ucienne PEIRY, op. Cit. , p. 169. 2 « J’aspire à un art qui soit directement branché sur notre vie courante, un art qui prenne départ dans cette vie courante, qui soit de notre vraie vie et de nos vraies humeurs une émanation immédiate » 1 écrira Jean Dubuffet en 1973. Utilisant la plupart du temps une sous-production de la culture officielle, empruntant des chemins peu fréquentés, infréquentables, utilisant les déchets de la société de consommation, ces créateurs font preuve d’une démarche singulière, parallèle à celle du monde de l’art fficiel.
Lorsque Claude Lévi-Strauss découvre les activités du Foyer de l’art brut en 1948, il écrit à Jean Dubuffet : « Comme je le disais hier André Breton, votre effort m’apparaît comme le seul valable devant la faillite de l’art qu’on peut a sionnel, et fen suivrai le quand bien même modernes. Si la découverte de l’art brut s’est faite en dehors des bienséances et des normes officielles, l’histoire du bricolage a suivi le même chemin.
Car l’histoire de l’art brut et celle du bricolage sont liées également à une Histoire du goût et à une réévaluation des codes rigoureux éfinissant la valeur esthétique d’une œuvre d’art. Celle-ci pourrait se résumer dans la notion de beauté codifiée, souvent ramenée à des stéréotypes. Le goût, en effet, désigne, d’une part, un « don » personnel, d’autre part un phénomène collectif, l’orientation d’une société ou d’un milieu vers certaines formes d’art nettement déterminées ; c’est la faculté d’éliminer, de choisir, de créer des associations heureuses, qui naît d’une certaine intuition de la qualité, de la « saveur des choses » 3 . Le goût est ainsi souvent déterminé par l’adhésion aux onsidérations de certaines personnalités marquantes d’un milieu, comme ce fut le cas de certains monarques sur l’art.
De ce fait, le goût, en tant que phénomène collectif, est déterminé par des circonstances Jean DUBUFFET, « Positions anticulturelles », [1973], in Lhomme du commun l’ouvrage, collection Folio/essai, Gallimard, Paris, 1991, p. 68. 2 Claude LEVI-STAUSS, Lettre à Jean Dubuffet Y, paris, 15 novembre 1948, Lausanne, archives de la Collection de l’Art Brut, cité in Lucienne PEIRY, L’Art Brut, Flammarion, pans, 2001 p B3 ont des répercussions sur le plan esthétique.
Le rôle des artistes, peintres, sculpteurs, architectes est en l’occurrence capital et leurs œuvres peuvent exercer une influence déterminante sur le goût : « les artistes s’imposent d’eux- mêmes et imposent leur propre conception de la beauté Adoptée d’abord par un cercle restreint, propagée peu à peu, une certaine esthétique s’impose ; le goût de quelques-uns devient le « goût nouveau », puis le « bon goût », et les créateurs élaborent, en divers domaines, les éléments d’un style propre à satisfaire ces aspirations. 1 ‘art brut apparaît alors tel un phénomène étrange et inclassable ont les œuvres ne correspondent aux canons de beauté communément admis. Cest un autre regard, neuf et libre, qui doit être porté sur création artistique : « l’Art Brut présente une variété, une richesse n’étonneront que ceux qui veulent nier la subtilité d’une pensée non cultivée, non apprivoisée. » 2 Jean Dubuffet écrit à ce sujet en 1 946 : « Il est d’usage de regarder cette foi dans l’existence de la beauté, et le culte rendu à cette beauté, comme la justification capitale de la civilisation d’Occident.
Le principe même de toute civilisation est inséparable de cette notion de eauté » 3 ; et il poursuit : « Cette idée que notre monde serait constitué pour la plus grande partie d’objets laid laids, tandis que les Jean Dubuffet explore ces territoires inconnus, entreprend une considérable collection d’œuvres, certains lui emboîtent le pas. C’est dans ce riche contexte que l’on s’intéresse de plus en plus à l’existence d’un certain nombre de créations architecturales marginales dont les créateurs ne sont ni architectes, ni artistes, ni érudits ou intellectuels, dont les procédés sont souvent étrangers au domaine de Fart.