Art Et Politique

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Les relations entre art et politique apparaissent comme un objet d’étude à la fois classique et encore peu exploré par les sciences sociales.

Classique parce que, d’une part, l’artiste engagé a été une figure majeure de la vie politique du vingtième siècle ; et que, d’autre part, les politiques culturelles, dont l’institutionnalisation remonte au mons à plusieurs décennies (en particulier en France – Dubois, 1999 ; Urfalino, 2004 [1 996]), sont depuis longtemps étudiées par la science politique et par l’analyse des politiques publiques, comme toutes les politiques sectorielles[l] Ainsi, les olitiques culturelles font l’objet d’un… 1] 2 Pourtant, l’interaction entre art et politique est un champ encore Swipe to page largement en friche. évoquées sont traité c p travaux se concentre gé.. artistes, soit sur lesp est précisément de iennent d’être nière isolée : les ±’it r l’engagement des ari de ce numéro x dimensions : penser à la fois les mobilisations artistiques et les usages politiques de l’art et de la culture. Cet objet paraît également peu exploré au sens où demeurent de nombreux stéréotypes, obstacles à la mise au Jour des évolutions en cours.

Ainsi, la figure médiatique de l’artiste engagé masque une transformation fondamentale : l’engagement politique des artistes se dissocie de plus en plus de leur travail artistique proprement dit (Roussel, 2006). Quant aux politiques culturelles, leur institutionnalisation et leur « banalisation » dissimulent leur Inscri inscription croissante dans des logiques d’image, notamment pour les collectivités locales. L’objet « art et politique » renvoie enfin à la questlon de la différenciation des sphères, grande question des sciences sociales chère à Max Weber (1995 [19211). Cela vaut tant pour les activités des artistes (articulation entre le politique et l’artistique) que pour les politiques publiques : bien plus qu’un secteur, la culture tend à devenir une dimension transversale de l’action publique, comme en témoigne ses liens croissants avec les politiques urbaines, les politiques de communication, voire les politiques de logement et d’intégration.

Les artistes dans la mobilisation : entre intérêts professionnels et militantisme Parallèlement au nouvel intérêt de la sociologie des mobilisations pour l’étude de l’engagement politique des artistes (Balasinski et Mathieu, 2006 ; Eyerman et Jarnison, 1998 ; Reed, 2005), plusieurs contributions de ce numéro s’attachent à mettre au jour les interactions entre Part et les mouvements sociaux, et les tensions qui en résultent.

Il convient alors de distinguer les mobilisations catégorielles, qui visent la défense d’intérêts professionnels particuliers – comme les manifestations des professionnels du spectacle analysées par Chloé Langeard et Émilie Sauguet – des situations où les artistes s’engagent pour soutenir une cause qui dépasse largement des revendications de type corporatiste c’est ce qu’analysent Violaine Roussel à propos de l’opposition à la guerre en Irak, et Romain Lecler à propos de la lutte pour la légalisation de l’avortement.

Pour ces deux configurations, les contributions tentent de cerner dans quelle mesure le OF Pour ces deux configurations, les contributions tentent de cerner dans quelle mesure les artistes mettent leurs compétences professionnelles au service de la cause qu’ils défendent. 6 Le texte de Chloé Langeard s’inscrit nettement dans une perspective de sociologie des mobilisations et s’appuie sur la notion de « répertoire d’action collective ».

L’auteure propose d’étudier le mouvement des intermittents du spectacle en mettant l’accent sur le rôle des émotions dans la mobilisation. Son approche souligne la spécificité de ces mobilisations contestataires d’artistes qui s’apparentent à ce que Champagne (1984) désigne comme des manifestations « du second degré » des « mises en scène privilégiant « Yeffet de démonstration soucieuses du spectacle et des effets qu’elles produisent.

En se concentrant sur les émotions et leurs conséquences pour l’action collective (Aminzade et McAdam, 2001 ; Polletta et Jasper, 2001), ‘auteure montre qu’elles doivent être considérées comme des « ressources » et des « répertoires d’action » pour le groupe qui manifeste, dans le cadre de stratégies visant à acquérir le soutien des spectateurs, tout autant que dans une logique de production identitaire.

Toutefois, si l’expression artistique peut se révéler particulierement efficace dans les stratégies de contestation et de présentation de soi, il semble qu’elle ne va pas sans ambiguités lorsqu’il s’agit de revendications catégorielles. C’est tout le paradoxe des mouvements de professionnels du spectacle qui, obilisant un « art contestataire » (Sommier, 2003), mettent aux prises des compétences professionnelles et des actions militantes.

Le texte révèle bien ici les ambiguités de 3 OF compétences professionnelles et des actions militantes. Le texte révèle bien ici les ambiguïtés de la mobilisation des répertoires « artistiques » d’action collective quand elle veut servir des intérêts professionnels. 7 Émilie Sauguet adopte une démarche différente qui consiste non pas à observer des stratégies d’action collective, mais ? saisir les répercussions de la mobilisation des professionnels du ocumentaire sur les pratiques d’un « monde de l’art » (Becker, 1988 [1982]).

En partant de la mobilisation pour l’élargissement des circuits de diffusion du film documentaire, l’auteure montre comment une mobilisation à caractère strictement professionnel tente de modifier la définition même du genre documentaire. Pour les réalisateurs et producteurs concernés, il s’agit d’abord de s’affranchir de la tutelle de la télévision. Cela implique, pour la création, la promotion de nouvelles normes esthétiques permettant de rattacher le documentaire au genre cinématographique et de faire exister des films documentaires orteurs de discours militants en les diffusant au-delà des réseaux de diffusion traditionnels.

En outre, l’auteure révèle ? quel point cette modification des conditions de création, non seulement opère une redéfinition du documentaire sur les plans esthétique et politique, mais aussi se traduit par une nécessaire évolution des dispositifs juridiques et des supports techniques de diffusion, qui impliquent alors d’autres acteurs que les seuls professionnels du documentaire. ? cet égard, la notion de « monde de l’art » apparait aujourd’hui toujours aussi opératoire uisqu’elle permet de considérer ensemble les différents acteurs concernés par ces évolution opératoire puisqu’elle permet de considérer ensemble les différents acteurs concernés par ces évolutions (professionnels du documentaire, directeurs de salles de projection, institutions… ). Dans cette perspective, l’objectif de la mobilisation – créer de nouvelles règles – devient un enjeu pour les différents professionnels.

L’auteure montre ainsi combien des évolutions en termes de système de diffusion, tout en modifiant les conceptions d’un genre artistique, reflètent des choix de nature olitique. 8 À partir du cas d’un film sur l’avortement, Histoire d’Ar, Romain Lecler propose une analyse symétrique de l’influence des mouvements en faveur de l’avortement sur l’esthétique du film, et de la contribution de cette œuvre cinématographique au débat social et politique durant les quelques mois qui précédèrent le vote de la loi Veil par le Parlement.

Analysant les raisons d’un succès inattendu pour un film militant, l’auteur met en évidence la participation conjointe de logiques cinématographiques et politiques. Il met ainsi l’accent sur l’étroite interpénétration des eux univers, militant et cinématographique, rompant avec l’idée d’une simple instrumentalisation de l’art au service d’une cause militante. 9 Enfin, rétude des mobilisations des femmes artistes américaines contre la guerre en Irak est l’occasion pour Violaine Roussel d’ajouter la dimension du genre à l’analyse des relations entre art et politique.

Malgré la volonté de celles qui s’engagent, la mobilisation fait apparaître des hiérarchies de genre qu orientent, façonnent, voire contraignent les formes d’actions de ces artistes – dont le répertoire fait alors appel à l’usage des ouleurs, de PAGF s OF de ces artistes – dont le répertoire fait alors appel à l’usage des couleurs, de la provocation pacifique, de la surprise et du divertissement.

La thèse de la structuration des espaces militants à travers une dimension de genre – aujourd’hui bien connue comme le note l’auteure – est finement présentée par l’analyse de la façon dont les organisations de femmes s’inscrivent au sein du mouvement anti-guerre, et par la mise au jour d’une division sexuelle du travail qui s’accompagne d’inégalités de politisation parmi les membres des organisations mixtes.

Cependant, et ‘est ici toute l’originalité de cette contribution, le terrain étudié, par les représentations profondément genrées liées à l’islam et véhiculées également par les catégories de guerre et de paix, catalyse les tensions préexistantes issues de la rencontre du féminisme, du militantisme et du travail artistique. Deux cas détudes montrent la difficulté des tentatives de subversion de ces images.

Que les artistes s’attachent à distinguer ou non leur prise de position publique de leur production artistique, le contrôle de leur image et de leur engagement de femmes artistes a un coût professionnel élevé. Le politique dans les politiques culturelles 10 De manière paradoxale, le politique demeure souvent un impensé des recherches qui portent sur les politiques culturelles.

La focalisation excessive sur les jeux d’acteurs, travers classique de la science politique, et sur les questions de mise en œuvre ou encore de gouvernance, conduit fréquemment à négliger la dimension proprement politique des politiques culturelles, c’est-à- dire d’une part le rôle des clivages idéologiques dans l’orientation des décisions, culturelles, c’est-à-dire d’une part le rôle des clivages idéologiques ans l’orientation des décisions, et d’autre part les effets des politiques culturelles sur le rapport au politique des publics de la culture.

Concernant l’idéologie, on peut noter que le clivage droite/gauche apparaît relativement peu marqué dans les politiques culturelles de rÉtat en France : si le ministère des Affaires culturelles est créé sous un gouvernement de droite en 1959, l’action de Jack Lang à la tête du ministère de la Culture dans les années 1980, qui peut être considérée comme une deuxième fondation à bien des égards (doublement du budget du ministère, élargissement de la notion de culture… , ne marque-t- elle pas autant de continuité que de rupture avec ce qui précède ?

De plus, l’évaluation des politiques publiques de la culture menée très tôt au sein du ministère via les enquêtes statistiques sur les pratiques culturelles des Français (Donnat, Cogneau, 1990) a une visée essentiellement « interne » : on s’interroge sur le rapport à l’art et à la culture, pas sur le rapport au politique pourtant susceptible d’être modifié par ces mêmes « pratiques culturelles Plusieurs auteures de ce numéro, d’une manière ou d’une autre, placent au contraire le politique au cœur de leur réflexion sur es politiques culturelles.

Christel Sniter revient sur un aspect relativement méconnu de l’Occupation allemande pendant la deuxième guerre mondiale : au nom d’une volonté de récupérer un maximum de métal, les autorités nazies ont exigé la fonte des statues de grands hommes » présents sur tout le territoire français. L’auteure, qui a mené un important travail d’archives, montre cepe 7 OF territoire français. L’auteure, qui a mené un important travail d’archives, montre cependant que l’argument matériel avancé est purement rhétorique, car la quantité de métal récupéré est dérisoire.

C’est bien une motivation idéologique qui est à l’origine de cette opération : il s’agit de faire pression sur les autorités françaises et de remettre en cause le patrimoine national. L’auteure met en évidence le rôle de la commission chargée de sélectionner les statues à fondre (ou à préserver), qui tente de retarder l’application de la décision de l’occupant. 12 Dans une perspective qui mêle analyse sociologique et références philosophiques, Nathalie Montoya interroge la fonction politique de la médiation culturelle, qui ressemble à bien des égards ? l’action culturelle des années 1960 et 1970.

Elle étudie tout n ensemble d’opérations de sensibilisation à l’art et à la culture menées en direction du jeune public dans le cinéma ou le spectacle vivant. La question posée peut être formulée ainsi : à quoi sert l’art ? Autrement dit : quels sont les effets de ces actions sur le public concerné, notamment en termes politiques ? L’auteure interroge en particulier ces professionnels de la médiation qui donnent, pour la plupart, un sens politique ? leur travail, sous la forme d’une éducation à la citoyenneté.

Elle rend compte également de l’observation d’ateliers destinés aux enfants ou aux adolescents qui fait apparaître, bien souvent, une orte de déception chez les médiateurs quant aux effets réels de leur action. Les politiques culturelles locales : pouvoir municipal et image des villes 13 C’est peut-être à l’échelle des politiques locales que l’ambiguité des relations 8 OF des villes des relations entre art et politique se révèle la plus salllante pour l’analyse. intervention des collectivités territoriales dans les domaines artistiques et culturels a toujours comporté des tensions ; le politique instrumentalise l’art – et réciproquement – en vue d’objectifs variables selon l’époque, les appartenances olitiques, les équilibres locaux (Poirrier, 1997) : valorisation de l’image de la ville, attente de retombées économiques, légitimation de l’équipe municipale en place, sans oublier les volontés de démocratisation ou de démocratie culturelle. 4 Rappelons cependant une donnée qui traduit une transformation majeure des deux dernières décennies : la croissance exponentielle de l’investissement des collectivités locales, et notamment des villes, dans la culture. En France, par exemple, elles sont devenues le premier financeur des politiques culturelles, loin devant le ministère de la Culture.

Parallèlement, le mouvement d’européanisation de l’économie et des sociétés conduit les grandes villes à entrer en concurrence les unes avec les autres à l’échelle de Pensemble du territoire européen. Dans cette compétition pour attirer « classes créatives » (Florida, 2002) et investisseurs, la politique culturelle – notamment dans son soutien à la création contemporaine – apparait comme une stratégie privilégiée, voire la stratégie dominante de développement urbain (Bianchini, Parkinson, 1993).

Or, un tel recours aux politiques culturelles est problématique pour l’art et es producteurs, qui se trouvent instrumentalisés à d’autres fins que purement artistiques, mais aussi p PAGF q OF producteurs, qui se trouvent instrumentalisés à d’autres fins que purement artistiques, mais aussi pour le politique : cet usage devenu conventionnel de la culture tend en effet à cacher la posslbillté de choix alternatifs en termes de développement social, économique ou urbain. 5 Dans ce numéro, trois textes nous proposent l’analyse de telles stratégies de développement urbain dans des grandes villes françaises. Leur confrontation met clairement en valeur ‘importance des jeux entre différents acteurs – politiques, artistiques, riverains, associatifs… – ainsi que la place tenue par les variables locales, politiques et économiques, dans la détermination et la mise en œuvre d’actions culturelles. 6 Laura Delavaud montre comment, à Nantes, acteurs artistiques et politiques se sont mobilisés autour d’une vision de Part contemporain dans une stratégie politique de conquête de la municipalité. Néanmoins, l’exemple de la manifestation Estuaire traduit, selon l’auteure, les impasses d’une telle collaboration : quand la municipalité en place instrumentalise a culture essentiellement en vue d’une stratégie d’image, afin d’affirmer le statut européen de Nantes, elle entre en contradiction avec les exigences de qualité artistique. 7 Gilles Suzanne décortique quant à lui le jeu entre élites politiques et avant-gardes artistiques pour la définition d’un Marseille « cosmopolite D’un Marseille de la culture élitiste à un Marseille de la démocratie culturelle, en passant par celui de la démocratisation de la culture, l’auteur analyse comment critique sociale et marketing urbain se renvoient l’un à l’autre. Il met en évidence les divergences polltiques qui demeurent