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RSI 94 BAT 1108/08 9:59 page 42 ARTICLES L’HUMANITUDE DANS LES SOINS Yves GINESTE, Directeur de formati l’humanitude et de la Gineste-Marescotti. édition – Armand Coli Rosette MARESCOTTI c aut, ore ophie de nltude (Nouvelle Directrice CEC-lGM•France, co-auteur de la philosophie de l’humanitude et de la méthodologie des soins Jérôme PELLISSIER, Écrivain, chercheur en psycho-gérontologie.
Co-auteur du livre Humanitude. Dernier ouvrage paru : La guerre des âges (Armand Cohn, 2007) Mots clés : humanitude, prendre-soin, respect de l’homme, soignant, autonomie, institution Habituellement, lorsque nous souhaitons illustrer les liens qui relient les aspects les plus concrets du prendre-soin gérontologique aux principes éthiques qui les guident, nous commençons par présenter la à un prendre-soin humaniste.
LES COMPORTEMENTS D’AGITATION PATHOLOGIQUE (CAP) Les personnes atteintes de syndromes démentiels, qui forment aujourd’hui la majorité des personnes vivant dans des institutions (services hospitaliers de long séjour et EHPAD notamment), présentent souvent, lors des soins, certains types de «troubles du 42 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS NO 94 – SEPTEMBRE 2008 omportement » réunis sous l’appellation de CAP . Comportements d’Agitation Pathologique. Ils consistent en une très vive opposition, verbale (cris, insultes… ) et/ou physique (coups, morsures, griffures… au soin. Ces comportements, régulièrement perçus comme agressifs par l’entourage, familial ou professionnel, sont le plus souvent défensifs: la personne dont les facultés cognitives sont affaiblies ne parvient plus à reconnaître et à comprendre la situation de soin, le soignant, ni ? gérer mentalement les aspects sensoriellement ou psychiquement désagréables de ce qu’elle vit. Il existe en effet, dans des situations de soin, de nombreux éléments (nudité; toucher invasif; mouvements rapides ; petites douleurs ; etc. qui sont loin d’être agréables. Ces éléments, nous les supportons, quand nous sommes en situation de les recevolr, parce que nous nous savons malades, nous savons qu’ils sont nécessaires, nous reconnaissons le lieu de soin et le soignant, nous comprenons la nécessité du soin, etc. Bref, ce sont nos facultés ca nitives en bon état de marche qui nous permett ressentir le PAGF 3 comme un étranger voulant nous faire ou nous faisant du mal.
Avec l’altération de ces facultés de compréhension, de réflexion, de reconnalssance des personnes, des lieux et des objets, etc. , des actes ou gestes naturels page 43 (la saisie «en pince», par exemple, consistant à prendre la personne par le bras, en entourant son poignet de notre main), des actes ou gestes habituels (rester debout quand la personne est assise, donc la regarder «de haut»), des actes ou gestes de soin classiques (une piqûre, une toilette intime, etc. , seront donc très souvent, faute d’être analysés et compris, ressentis comme des agressions par es personnes présentant des syndromes démentielsl. Ces situations sont dramatiques: elles donnent aux personnes soignées la sensation d’être brutalisées, elles donnent aux soignants, sensibles à ces cris, à ces coups, le sentiment de «maltraiter» ces personnes – ces personnes auxquelles de surcroît, par leur métier même, ils veulent du bien (ressenti psychiquement douloureux jouant un rôle non négligeable dans les facteurs de burn-out).
Nous avons là un premier aspect du phénomène : des troubles des facultés cognitives qui conduisent la personne à ressentir la situation de soin comme une agression. La question des Comporte tion Patholoeique PAGF 3 3 directement nos représentations des personnes atteintes de syndromes démentiels, nos perceptions de leur ressenti, nos conceptions de l’autonomie psychique. Actuellement, en France, un adulte psychiquement autonome ne peut être soigné contre son gré. S’il refuse un soin, son refus sera entendu et, dans la quasi totalité des situations, respecté.
Prenons maintenant un adulte âgé atteint d’une maladie d’Alzheimer, maladie qui, peu à peu, porte atteinte à ses facultés d’autonomie psychique, l’empêche peu à peu de comprendre la situation de soin. Cet adulte, donc, au moment où nous commençons à faire le son, le ressent comme une agression et se défend: il crie, se débat, nous repousse, voire nous frappe. Alors? Alors, dans un grand nombre de cas, nous faisons le soin quand même. En développant un impressionnant jeu de jambes et d’esquive, en sy mettant à plusieurs, en immobilisant la personne… Soulignons en passant que, ce faisant, nous créons ou renforçons, dans la mémoire émotionnelle de la personne, l’empreinte émotionnelle négative qui la conduira à ressentir encore plus aisément et rapidement ce soin-là, avec e soignant-là, le lendemain, comme une agression… ) Nous avons donc, régulièrement, les situations suivantes: Un adulte psychiquement autonome, qui comprend que c’est un soin mais le refuse quand même: le soignant respecte son refus.
Un adulte dont l’autonomie psychique est altérée, qui ne comprend pas que c’est un soin, se croit agressé, violenté, voire torturé et rexprime: le soignant ne respecte pas sa réaction. Certes, ce n’est pas un refus verbalisé. Certes, ce n’est pas un refus cognitif. Mais c’est plus qu’un refus: 3 n’est pas un refus verbalisé. Certes, ce n’est pas un refus cognitif. Mais c’est plus qu’un refus: ce sont généralement des expressions corporelles très virulentes (cris, gestes… indiquant que la personne se sent violentée et se défend. Et on ne le respecte pas. Notamment parce que notre héritage culturel, qui a donné au cognitif une importance considérable (qu’en est-il des personnes atteintes de démence dans une culture du «je pense donc je suis»? ), nous conduit à être aisément dominé par la pensée que « le patient ne sait pas ce qu’il fait» – puisqu’il est dément – et que, ne sachant pas ce qu’il fait, ne connaissant pas son bien, nous devons aire le soin – «son bien» – quand même.
Notamment parce que nous avons également développé une conception très cognitive de l’autonomie psychique – centrée sur le «je sais ce qui est bon pour moi» – aux dépens d’une conception plus globale – «je sais et je sens ce qui est bon pour moi» – qui, elle, nous impose de respecter cette autonomie psychique même s’il ne reste que l’un de ses deux composants (ici, le ressenti). Parce que le respect de l’autonomie, nous y reviendrons, est l’un des principes éthiques fondamentaux du prendresoin, nous devons tout mettre en œuvre pour parvenir ? ?viter ces soins de force.
Cette volonté conduit en premier lieu à travailler sur la prévention de ces situations, en particulier à partir de ce que nous savons des éléments qui multiplient les risques de CAP : réveil pour soin ; horaire inadapté ; soignant refusé; désir non entendu; etc. La prévention des CAP passe donc notamment (liste non exhaustive) par: – le respect du refus (quel qu’en soit l’expression; m PAGF s 3 notamment (liste non – le respect du refus (quel qu’en soit l’expression; moins on respecte le refus, plus on favorise les CAP et les futurs CAP);
Rappelons que la fréquence des comportements défensifs lors des situations de soins ne doit surtout pas faire croire que ces «traubles du comportement» ne proviendraient que d’éléments touchant à l’attitude du soignant. un élément de l’environnement général de la personne, une souffrance psychologique, une douleur physique, une modification neurologique, un inconfort corporel, une frustration, etc. , constituent autant de facteurs, parmi d’autres, qui peuvent être à l’origine du comportement.
Un «trouble du comportement» doit toujours faire l’objet d’une évaluation en ?quipe, attentive à ne laisser de côté aucune des questions indispensables: sur les circonstances d’apparition du comportement, sur ce que ressent ou signifie la personne, sur ce qui a pu advenir dans ses relations, sur révolution de sa maladie et les traitements suivis, etc. 43 Page 44 le respect du sommeil (p 3 pour faire faim, à dormir si elle n’a pas sommeil, etc. )…
On constate rapidement à quel point ces éléments de prévention sont précisément à la jonction de la philosophie de soin, du projet d’établissement et de la méthodologie de soin. Ils illustrent les liens qui elient en permanence les principes éthiques, l’organisation d’ensemble de la vie dans l’institution et la manière dont le prendre-soin est pensé et réalisé. On constate également que certains éléments (autonomie ; désirs ; rythmes individuels ; etc. vont se retrouver au cœur : – de la philosophie de soin, à travers la réflexion sur le sens du soin : que favorisons-nous comme objectif quand, pour qu’une personne soit propre, par exemple, nous faisons un soin de force, qui lui donne donc le sentiment que nous, soignants, la violentons ; de la philosophie de soin, à travers la réflexion sur a notion de personne : ces éléments sont des éléments essentiels, constitutifs de notre humanitude, de notre sentiment d’être (et d’être respecté comme) un être humain unique, une personne ; – du travail sur le « milieu de vie » : travail mené dans de nombreux établissements pour que l’ensemble de l’organisation concoure à favoriser le bien-être, le sentiment d’être « chez soi », le sentiment d’être respecté en tant que personne ; – de la méthodologie de soin : nécessité de travailler des manieres concrètes d’entrer en relation et d’accomplir les soins respectueuses de ces éléments… De la prévention à la paclfication des CAP Minimiser les risques de CAP impose en effet de travailler sur nos entrées en relation, sur la communication non-verbale, sur nos manières de toucher (a-tona ris à se ser PAGF 7 3 relation, sur la communication non-verbale, sur nos manières de toucher (a-ton appris à se servir de nos mains de regarder (a-t-on appris à regarder? , de parler (a-t-on appris ? communiquer verbalement avec des personnes qui ne le peuvent plus? )… 2 Précisons, pour éviter tout malentendu, que l’exemple des situations à risque de CAP des personnes présentant des yndromes démentiels ne doit pas faire croire que ce travail n’est à réaliser que pour le prendre-soin de ces personnes là. Ce que la personne atteinte de démence ressent, sensoriellement, émotionnellement, la personne non atteinte le ressent aussi. La personne atteinte de démence possède simplement un risque important d’être totalement envahie par ce ressenti, au point, nous l’avons vu, de transformer le vécu du soin en vécu d’agression.
Le patient non atteint de démence qui est regardé «de haut», saisi «en pince», etc. , ne sera pas envahi par ce ressenti négatif, mais n’en ressentira pas moins ces anières de prendre-soin comme émotionnellement désagréables, voire blessantes. Rappelons également que si le soin de force (réalisé malgré la réaction d’opposition de la personne) provoque des CAP chez les personnes atteintes de démence, il peut également en provoquer chez les personnes qui ne sont pas malades. La majorité des patients psychiquement autonomes réagiraient violemment si nous faisons des soins contre leur volonté. Ces situations sont simplement très rares, car nous respectons généralement la volonté de ces personnes-là..
Le travail de prévention des CAP s’accompagne donc ‘un travail, qui s’inscrit da PAGF E 3 donc d’un travail, qui s’inscrit dans le cadre de la Méthodologie de soins Gineste-Marescotti, portant sur des manières spécifiques de regarder, toucher, parler. Avec toute personne hypersensible à [‘attitude du soignant, hypersensible à tous les éléments relationnels et sensoriels (ton de la voix, manière d’être regardé, douceur du toucher, position du corps, etc. ), il va donc falloir utiliser certaines techniques particulières, afin que ce que la personne ne comprend pas comme acte soignant soit, non pas interprété comme agressif, mais essenti comme bienveillant.
Ces techniques s’inspirent d’éléments qui sont présents en chacun de nous depuis ce que Yves Gineste et Rosette Marescotti ont appelé la «mise en humanitude2 » autre manière de nommer cette période d’interactions précoces qui, chez les humains, dure de nombreuses années, pendant laquelle le petit humain, grâce aux figures d’attachement adultes qui prennent soin de lui, va développer un certain nombre de capacités et de facultés. Le terme « humanitude » a été créé par F. Klopfenstein, popularisé par A. Jacquard, entré en gériatrie grâce à Lucien Mias uis utilisé par Y. Gineste et R. Marescotti pour nommer la philosophie de soin qu’ils élaboraient. RSI 94_BAT PAGF 3 extrêmement pauvres en sollicitations et interactions (orphelinats où les adultes donnaient à manger et à boire, mais ne parlaient pas avec les bébés, ne les caressaient pas, ne jouaient pas avec eux. etc. ), n’ont précisément pas développées.
Toutes ces facultés qui, nous y reviendrons, forment notre «humanitude », entendue comme l’ensemble des particularités qui permettent à un homme de se reconnaître dans son espèce, l’humanité; l’ensemble des particularités qui permettent ?galement à un homme de reconnaître un autre homme comme faisant partie de la même espèce que lui3. Se tenir debout, marcher, parler, s’habiller, sourire, réfléchir, interagir socialement, créer, se penser, etc. : la liste est longue de ces facu tés que nous développons ainsi particulièrement intensément durant nos premières années puis durant toute notre vie, jusqu’à notre mort, quel que soit l’âge auquel elle advient. On a longtemps opposé le naturel au culturel, l’inné à l’acquis, le biologique au social.
L’importance pour l’être humain de ce qui se joue durant cette phase ‘interactions précoces, durant cette mise en humanitude, permet de travailler sur les liens plus que sur les oppositions. Il n’y a pas un être humain naturel puis un être humain culturel et social. Ily a un animal bien particulier dont la nature est d’être un animal culturel et qui ne peut développer ses capacités qu’en étant plongé, dès sa naissance, dans le sens et dans le social. Une vie qui dès pavant-conception est inscrite dans la vie des autres humains, dans leur histoire, dans leur regard, dans leur représentation, etc. Nous y reviendrons: car de nombreuses sltuations particul