Manon Lescaut incipit

essay A+

Cet extrait de Manon Lescaut, de l’abbé Prévost, constitue une scène attendue du roman : la rencontre amoureuse. Dans cette scène inaugurale, le lecteur peut déjà imaginer la destinée de ceux qui ne sont pas encore amants. Le hasard d’un évènement (la flânerie désœuvrée de Des Grieux qui, en compagnie de son ami Tiberge, attend son départ fixé au lendemain) met en présence Des Grieux et Manon qui débarque du coche d’Arras. C’est le coup de foudre immédiatement.

Ce récit du premier souvenir est placé tout entier sous l’éclairage des suites fatales de l’aventure. Deux regards se superposent : celui du jeune chevalier, charmé par Manon et celui d’un narrateur mûri par l’expérience douloureuse de la passion : récit et confession se conjuguent pour pos l’une des questions fondamentales du ro n Sni* to View l. Le coup de foudre : A) Un portrait allusif Seuls quelques mots esquissent la silhouette de Manon.

Le narrateur déjoue l’attente en ne donnant aucun portrait de Manon : « Charmante » ; « Fille » ; « Moins âgée » ; « Plus expérimentée Aussi ténue que soit révocation de Manon, sa présence n’en est pas mons forte. L’emploi de l’intensif « Si charmante » donne un arac Swipe to View next page caractère hyperbolique à cette apparition. L’adjectif « Charmante », qui qualifie Manon, peut se lire de deux façons : jolie ou ensorceleuse. Manon semble jeter un sort au narrateur.

Les mots « charmant » et « charme » sont utilisés trois fois dans le passage. Le texte repose sur un balancement avant/après la rencontre. On passe ainsi d’un champ lexical de la timidité à un vocabulaire de la passion : « sagesse » ; « retenue » ; « excessivement timide » s’opposent à « enflammé » ; « transport » ; « amour » : « cœur » ; « désirs L’apparition de Manon dessine une fracture dans l’existence de Des Grieux : le pronom « moi » répété en incise dans la phrase ligne 12 à 16 le souligne.

Cette rencontre est aussi la première étape d’un apprentissage amoureux (semblable au roman picaresque) où la femme séductrice mène le jeu alors que le jeune héros, passif, subit le charme. Noter la longueur inhabituelle de la phrase qui permet de décrire le processus de métamorphose du candide en amant passionné (« Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu ‘attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport.

Un seul instant modifie immédiatement et pour toujours d’un coup jusqu’au transport. D). Un seul instant modifie immédiatement et pour toujours Pordre des choses : la reprise de l’adverbe « déjà » le souligne L’amour me rendait déjà si éclalré » et « qui s’était déjà déclaré B) La rencontre : Elle appartient au domaine de l’instant, du coup de foudre : l’adverbe « tout d’un coup » et l’emploi du passé simple « je me trouvais » le confirment.

Phénomène d’isolement exprimé par le parallélisme « Il en sortit » / « Il en resta une Le connecteur d’opposition « Mais » soullgne le caractère exceptionnel de cette rencontre. Manon est désignée comme unique par la comparaison avec d’autres femmes. Le récit inscrit d’emblée un amour fondé sur la sensualité comme le montre la comparaison, l’hyperbole « Coup mortel » et l’emploi du mot « désirs ». La communication établie entre les deux personnages passe par le regard mais aussi par la parole : verbes de parole « demandait » ; « répondit » L’échange se fait d’autant plus facilement que Des

Grieux a perdu sa timidité. Un jeu de proximité dans la passion et de recul ironique s’établit entre le narrateur et cet autre lui-même qui appartient au passé. Ainsi, le vocabulaire de la passion avec la périphrase « Maîtresse de mon cœur et le vocabulaire de la préciosité avec « enflammé « transport » témoignent Maîtresse de mon cœur », et le vocabulaire de la préciosité avec « enflammé « transport » témoignent d’une connaissance de l’amour qui est celle du narrateur plus âgé, et non celle du jeune Des Grieux.

La métamorphose due à cette rencontre nous est d’ailleurs résentée comme le fruit d’une puissance capable « d’éclairer ». On note la métaphore 1. 25. Cet amour fait basculer le jeune Des Grieux dans page adulte, l’âge de la connaissance, en ne lui inspirant que des intentions élevées. Il. le travail du souvenir : A) Une apologie personnelle • L’homme qui parle au début commente son expérience dans le sens du remords et de l’apologie personnelle.

Le « Hélas » de la première ligne indique assez bien le jugement qu’il porte sur son aveuglement passé ; et le sentiment qu’il a d’avoir commis une faute s’exprime avec solennité, voire grandiloquence « Que ne le arquais-je un jour plus tôt Sans relâche, il amoncelle les excuses en insistant sur la pureté de sa vie antérieure et de ses intentions : « Nous n’avions d’autre motif que la curloslté » ; « J’avais marqué le temps de mon départ » ; « Moi dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue Le ton est sans contexte celui du plaidoyer.

Le texte est donc manifestement ambigu dans la mesure où le narrateur porte un regard émerveillé sur la PAGF donc manifestement ambigu dans la mesure où le narrateur porte un regard émerveillé sur la catastrophe providentielle qui l’a rendu malheureux. Le jeune homme qui nous est présenté dans son élan chevaleresque a quelque chose de sublime : nulle prudence, nulle crainte des parents ne l’arrêtent. C’est avec l’admirable noblesse dun héros qu’il tombe dans le piège.

B) L’annonce d’une passion fatale Beaucoup d’éléments ont pour fonction, dans le texte, d’annoncer que la rencontre a produit des effets catastrophiques : ainsi est mentionné « Le penchant au plaisir » de Manon, qui « a causé tous ses malheurs et les miens », « l’ascendant » de la destiné de Des Grieux qui l’a conduit « à sa perte Il n’y a rien de tel pour viver le désir du lecteur d’entrer dans la fiction.

L’inexpérience sentimentale de Des Grieux est tout de suite vaincue par la fatalité de la passion qui efface toute autre réaction : Des Grieux ne se pose aucune question, il n’a aucune lucidité, ne se livre à aucune réflexion. La dimension tragique est également mise en avant. Il n’y a pas de véritable émotion tragique sans anticipation : un évènement présent, s’il n’est chargé de son poids d’avenir catastrophique, est nettement mons pognant. Voilà pourquoi, par exemple, le portrait moral de Manon est beaucoup plus fourni que son p

Voilà pourquoi, par exemple, le portrait moral de Manon est beaucoup plus fourni que son portrait physique : nous apprenons en effet qu’ « elle était bien plus expérimentée » que Des Grieux et que « son penchant s’était déjà déclaré Elle est aussi présentée comme une femme habile : elle répond « ingénument elle mesure déjà tout ce qu’elle pourra obtenir. Sa maturité contraste avec le naturel de Des Grieux, sa naiVeté et cela inquiète le lecteur. Étant averti, le lecteur est mieux à même d’apprécier la situation dans tout ses implications, il est placé aux premières loges psychologiques.

Le lecteur assiste, dès lors, délicieusement impuissant et supérieur, au déclenchement du drame. CONCLUSION Les premières rencontres sont les passages obligés et constituent souvent les morceaux de bravoure des romans d’amour. Celle- ci est paradoxale : elle mène le bonheur du coup de foudre, le ravissement amoureux et le malheur qui va lui succéder. La passion amoureuse est ainsi présentée à la fois comme une ivresse et un danger. Mais le narrateur, ranimé par son propre réclt, oublie en effet qu’il a entamé une confession pour se livrer à une apologie de l’amour. Le lecteur est conquis, subtile habileté de l’auteur.