Manon des souces
Chapitre 5: Manon des Sources La communauté villageoise pagnolienne est au complet dans La Femme du boulanger où Pagnol est au sommet de son art cinématographique. Plusieurs années après la deuxième guerre mondiale, en 1952, Marcel Pagnol, devenu membre de l’Académie Française, écrit et réalise un film de quatre heures qu’il appelle Manon des Sources. L’histoire rappelle vaguement celle de Colline, le roman par Jean Giono auquel Pagnol avait acheté les droits en 1932.
Il s’agit donc d’un village privé d’eau; c’est le seul exemple d’une communauté négative, peuplé de gens nuisibles, Sni* to ans toute l’œuvre pagnolienne. l Manon des Sources établie par Pagnol, ca co orss ces soliloques, le dial ue – pendant qu’un perso montrant la Provenc ec l’esthétique onologues. Pendant t complètement les scènes visuelles village, et les commentaires des paysans sont plus nombreux que dans les films précédents, ce qui a mené André Bazin à dire (en 1952) que l’accent de Provence n’est pas un accessoire pittoresque, mais « consubstantiel au texte et par-là, aux personnages »2.
Le paysage joue un rôle important dans ce film, et la communauté humaine des Bastides Blanches, silencieuse au sujet de la source bouchée ar la famllle Soubeyran, devient aussl méchante et aussi menaçante que les collines sans eau. Les membres de la coll Swipe to View next page collectivité n’ont pas beaucoup changé depuis La Femme du boulanger; chaque personnage représente un métier utile au village. Ici, pourtant, il y a aussi un notaire à la retraite, autrement dit, un personnage superfétatoire.
Au commencement du film, on voit les hommes du groupe qui se réunissent devant le café de Pamphile,’ l’ambiance rappelle le début de Marius. L’individu qui s’oppose à la collectivité est, comme toujours, celui mentionné dans le titre du film: Manon es Sources. Celle-ci est la fille de Jean de Florette dont l’histoire sera racontée brièvement pendant le film. Jean de Florette était un habitant de la ville qui est venu s’installer avec sa femme et ses deux enfants à la campagne dans la ferme qu’il a héritée. Il n’est pas paysan et il a tout appris dans les livres.
Les gens de la commune ne l’aiment pas et lui aussi, il les évite. César Soubeyran veut acheter ses terres pour son neveu, Ugolin. Celui-ci fait semblant d’être l’ami de Jean de Horette, mais Ugolin ne lui dit pas que sa ferme contient une source–et pire encore, César et son neveu bouchent cette source our obliger l’ancien citadin à vendre ses terres. À cause d’Ugolin et de son oncle, Jean de Florette et son fils meurent, sa femme devient folle et sa fille, Manon, habite dans une grotte mangeant les produits de la Provence.
La famille de Jean de Florette a donc tout perdu. Après la mort de Jean, Ugolin a acheté la ferme à un prix dérisoire et en secret, il a débouché la source. Il a désormais une plantation fle OF SS un prix dérisoire et en secret, il a débouché la source. Il a désormais une plantation fleurissante d’oeillets. Les habitants des Bastides Blanches l’ont vu faire, mais personne n’est ntervenu pour parler de cette source à Jean de Florette. Manon a grandi et en tant qu’adulte, elle est devenue sauvageonne.
Pourtant, Ugolin tombe amoureux d’elle et veut l’épouser; elle est dégoûtée par lui parce qu’elle comprend que son père est mort par les actions d’Ugolin Au début du film, la jeune femme est poursuivie dans les collines par les gendarmes parce qu’un jeune homme du village l’accuse de l’avoir battu. Quand Manon est capturée, les villageois décident de mener un procès contre elle. La scène la plus importante de la première partie du film sera ce procès où ‘instituteur défendra la jeune femme contre les témoins qui sont surtout les vieilles femmes de la communauté.
La tension sexuelle éclate une fois de plus dans la collectivité pagnolienne, car ce sont la beauté, la jeunesse, la sexualité et la liberté de Manon qui menacent les femmes de la commune et risquent de dissoudre l’unité du groupe. Le procès qui s’ensuit montre l’opposition exemplaire entre un individu lié à la nature et la collectivité coupeé de ses sources. La source devient donc un symbole des origines de la clvilisation humaine. Le lendemain du procès, l’eau de la fontaine du village ne coule lus. Les femmes accusent Manon d’y avoir jeté un sort, et bientôt tous les habitants s’inquiètent.
Sans eau, personne ne peut plus y vivre et le S sort, et bientôt tous les habitants s’inquiètent. Sans eau, personne ne peut plus y vivre et le village deviendra désert et vide. 3 L’ingénieur du génie rural vient expliquer aux villageois ce qu’ils savent déjà, c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’eau et qu’il ne sait pas quand elle reviendra ni même si elle reviendra. Pendant cette scène, Pagnol saute sur l’occasion pour parodier le langage administratif. Et, comme dans La Femme du boulanger, le curé t l’instituteur organisent, chacun sa part, la solution à la crise.
Celui-là fait un sermon de vingt minutes4 dans l’église où il parle des mauvaises actions de certains membres du groupe et du silence de tout le monde. Celui-ci invite Manon et Ugolin chez lui avec d’autres villageois après le sermon et finalement, à cause du bon sens de l’instltuteur ajouté au sermon du curé, le dialogue est rétabli dans la communauté. A la fin, Ugolin se tue parce qu’il n’aura jamais le pardon et l’amour de Manon. Elle choisit l’instituteur, l’homme de la parole, comme mari et elle sera intégrée à la collectivité.
Le mauvais ?lément est donc exclu (Ugolin) du nouvel ordre, et le Papet comprend combien il avait tort d’exclure la fille parce qu’il apprend que Jean de Florette était son propre fils et que Manon est donc sa petite-fille. Cest la seule fois où Pagnol mette en questlon toute la bonne foi de la communauté et accuse tous les membres du groupe d’avoir exclu un étranger par méchanceté et par bêtise. La communauté du film (1952) La communauté contient, selon la d OF méchanceté et par bêtise. La communauté contient, selon la distribution du film, vingt-sept personnages. La commune a un maire (qui est en même temps e propriétaire du bistrot campagnard contenant le téléphone– source de dialogue dans le monde moderne), un boulanger, un boucher, un menuisier, un fontainier, un instituteur, un curé, un forgeron, et des paysans avec leurs femmes. Un notaire à la retraite participe, lui aussi, aux discussions des villageois. Ce groupe est le plus grand de toutes les collectivités pagnoliennes. Cette communauté est entier et c’est un microcosme du village mondial. Tous les métiers sont représentés aussi bien que le pouvoir religieux et les institutions laïques.
Les femmes du groupe, étant des personnages secondaires, se essemblent toutes, mais les hommes ont des points de vue qui s’opposent les uns aux autres, et c’est leur échange d’opinions qui est nécessaire pour entamer les discussions; celles-ci mettent en contact policé les membres de la societé. La première scène montre le groupe masculin divisé sur la question du jour: les gendarmes attraperont-ils oui ou non Manon? Le Papet, philoxène et le boulanger pensent que oul; le boucher, le menuisier et Pétugue croient que non.
Le village, comme dans La Femme du boulanger, est un lieu fermé, mais ceux qui ont travaillé en ville après leur service militaire, comme le boucher,6 nt des idées plus ouvertes, car les débats et les échanges avec d’autres aident les gens à accepter des opinions dif PAGF s OF SS ouvertes, car les débats et les échanges avec d’autres aident les gens à accepter des opinions différentes et à s’exprimer sans violence. Cette discussion est donc le précurseur du procès, la scène essentielle de la première partie du film. La polémique en litige sera au sujet de Manon, celle qui risque de dissoudre la communauté. Comme le brigadier explique: « L’accusé n’est jamais d’accord avec le plaignant. Cest ce que fait l’intérêt de tous les procès »8. C’est donc un moment dramatique où les personnages s’opposent: l’instituteur défendra Manon parce qu’elle est « toute seule »9, tandis que le maire, en tant que représentant civique, jouera le rôle du procureur de la République. Le dialogue a ici une structure formelle d’opposition. Chaque personnage pagnolien a sa façon de voir les faits.
Parlant du coup de bâton donné par Manon à polyte (un jeune villageois épris d’elle), la question se pose à savoir si Polyte a vu l’action faite par Manon. La mère du garçon conclut: « Comme il était baissé, essayant de casser une branche sur un arbre abattu ar la foudre, il reçut un coup… « IO. Mais, comme le brigadier- juge explique plus tard: « En racontant l’histoire à sa façon… elle n’a fait que son devoir de mère » 11. Par contre, Manon s’oppose au blessé et affirme, littéralement et figu ativement: « Je l’ai vu venir de loin » 12.
La synthèse de ces deux assertions est la phrase de polyte: « Je l’avais pas bien vue. Mais quand même un peu »13. La mère défend son fils et Manon l’accuse. La vérité semble être 6 OF SS vue. Mais quand même un peu » 13. La mère défend son fils et Manon l’accuse. La vérité semble être un mélange de tous les points de vue. La vérité n’est pas une valeur essentielle dans la collectivité pagnolienne. C’est plutôt l’échange d’idées qui compte avant tout, car la parole empêche la violence toujours menaçante. maire annonce après l’événement: « Ce petit procès a eu lieu à la demande et dans l’intérêt de la commune… » 14. Dans la communauté de Marcel Pagnol, les partis opposants ont besoin d’avoir recours à la parole pour éviter la violence. Les gens du groupe n’aiment pas le Papet parce qu’il « n’a jamais manqué une occasion de dire une parole méchante… « 15. Et dans la collectivité de Pagnol, le parler remplace l’action. Souvent, comme nous avons vu dans d’autres œuvres pagnoliennes, le discours cache les sentiments authentiques et la véritable sauvagerie des gens.
Philoxène demande à Monsieur Belloiseau, l’ancien clerc du notaire, de faire un discours pour « insister sur [notre] reconnaissance, [notre] émotion, pour [leur] en foutre plein la gueule » des gens des Accates, des Camoins, et de la Buzinel 6 parce que ceux-ci trouvent les gens des Bastides Blanches commes des brutes « un peu sauvages.. .’17. Toute l’ironie de la phrase est soulignée dans la didascalie par la bagarre entre Anglade et son frère « qui soudain roulent sur le sol, avec es halètements de bêtes féroces’i18.
Voilà l’exemple qui prouve que les personnages qui n’ont pas accès au dialogue termineront par utiliser la force pour 7 OF SS prouve que les personnages qui n’ont pas accès au dialogue termineront par utiliser la force pour résoudre les conflits. La parole La parole prononcée en public—et surtout pendant le procès—est importante, mais une absence de mots est également importante dans cette communauté. Les hommes de ce village connaissent des sources mais n’en parlent pas parce « qu’une source des collines, ça ne se dit pas »19.
Le secret de ces sources passe de ère en fils, mais le père du Papet, ayant voulu attendre la dernière minute, est mort avant de confier le secret à son fils. 20 Cette rupture de la parole est un défaut évident chez les Soubeyran et ils finissent par boucher la source pour qu’elle se taise aussi. C’est ainsi que l’essentiel n’est pas toujours énoncé, et la parole sert à lier les gens sans forcément révéler les vérités qui sont parfois nécessaires pour la survie du groupe.
Dans Manon des Sources, les Bastides Blanches vont fêter les cinquante ans de la fontaine, source de vie pour la commune; elle été payee par un bienfaiteur portant le nom Ernest Colombe, la colombe étant le symbole universel de la paix, et « ernest » voulant dire « honnête » en anglais. 21 Puisque les noms et prénoms choisis par Pagnol apportent généralement ou du sens ou de l’ironie à l’œuvre, nous comprenons que celui qui a payé la fontaine avait une mission à accomplir: la paix sincère et honnête entre les gens de la commune.
Cette fontaine unit les gens du village car ils viennent chercher l’eau dont ils ont besoin pour vivre. Dev 8 OF SS unit les gens du village car ils viennent chercher l’eau dont ils ont esoin pour vivre. Devant elle, les conversations sont entamées. Sans cette source, la communauté mourrait, privée d’eau et de conversation. Nous voyons dans Manon des Sources que l’absence du langage n’est pas toujours quelque chose de négatif chez Pagnol. Parfois, quand les gens de la communauté se taisent, c’est pour garder la paix et aussi pour ne pas être méchant.
Par exemple, tout le monde (Amélie, le boucher, Philoxène, le Papet, le boulanger, Sidonie et le menuisier) sait que la femme d’Ange le cocufie en couchant avec le Frisé des Accates, le facteur, le cantonnier et elui des pylônes électriques; personne ne lui en parle. Voil? donc un cas où le manque de paroles est un signe positif pour l’ordre de la communauté. Les hommes avec qui la femme d’Ange couche sont des gens qui circulent et lient la commune à d’autres collectivités.
Cette considération est intéressante à noter parce qu’aux Bastides Blanches on n’adresse pas la parole aux étrangers. Le boucher explique à l’instituteur que: « Cest pas de la méchanceté, c’est de la bêtise… « 22. On n’est pas mauvais, mais on est méfiant. orsque l’instituteur parle de dénoncer les braconniers aux gendarmes, philoxène répond. Non, ça ce sont des choses qul ne se font pas, même entre ennemis »23. Il y a donc un code de conduite à suivre, et les hommes dune communauté ne parlent pas aux hommes des autres groupes.
La parole reste enfermée dans son propre village La parole ci PAGF g OF SS aux hommes des autres groupes. La parole reste enfermée dans son propre village. La parole circule donc parmi les membres de la même communauté; c’est une façon d’identifier ceux qui appartiennent au groupe et leur permettre d’échanger des opinions différentes sans la possibilité de confrontations violentes. Les dialogues ne évèlent pas les secrets des personnages et ils sont la forme représentative des conflits.
Dans Manon des Sources, le procès est donc l’instant de la confrontation; c’est le moment le plus conséquent du débat et l’exemple d’une résolution raisonnable et verbale des hostilités collectives. Cest pour ainsi dire l’antithèse de la deuxième guerre mondiale. Les maîtres de la parole Avant d’examiner de plus près le procès, il faut considérer le rôle de l’instituteur et celui de Monsieur Belloiseau, les deux personnages qui sont la personnificaton de la parole dans la communauté de Manon des Sources.
Le rôle de Monsieur Belloiseau ressemble à celui de Monsieur Brun dans La Trilogie marseillaise. 24 L’instituteur de Manon des Sources a les mêmes qualités que celui de La Femme du boulanger, mais il devient de plus en plus important dans le village et dans l’œuvre pagnolienne. L’instituteur: L’instituteur fait partie de la collectivité bien qu’il ne soit là que par mutation professionnelle. Comme Topaze, il transmet les connaissances d’une génération à la suivante. Il veut enseigner aux jeunes les secrets acquis par les ancêtres. Quand il entend que le père du Papet a attendu trop longtemps SS