Le Sorcier D Hiva Oa
« Le sorcier d’Hiva Oa » identifié? Lorsque qu’en octobre 1995 s’est ouverte à Liège – dont le Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain abrite le célèbre tableau appelé communément « le sorcier d’Hiva Oa» – une exposltion portant sur « Gauguin, les XX et la Libre Esthétique Pierre Somville a donné ce conseil : « pour bien voir le tableau, il faut faire trois pas en arrière, puis deux latéralement vers la droite, afin d’être dans l’axe que parcourrait le sorcier immobile, s’il se mettait en mouvement.
C’est dans cette post mentalement tout ce avons pu lire, voir et magnifique durant le e notre essai sur « c or 12 ten Sni* to View é de récapituler e oeuvre sme. Rencontre avec des hommes et… des emmes »1 LJne question continue à faire débat : sur quel modèle Gauguin s’est-il appuyé pour réaliser son chef-d’oeuvre ? Avec prudence la notice du musée de Liège dit « qu’il a été identifié par certains auteurs comme étant Haapuanl b.
Dans l’un des plus récents livres consacrés à Gauguin, Jean-François Staszac reprend cette hypothèse et parle d’un « personnage aux jambes nues et aux épaules recouvertes d’une cape rouge tenant dans sa main une plante ou une fleur robablement un initié, un ‘sorcier, sans doute Haapuani ». 2 Qui était Haapuani? Cest dans un bref article, malheureusement peu connu et Bayle-Ottenheim3, que se trouve, à notre avis, le meilleur condensé des renseignements connus sur ce personnage. Aussi, ne pouvons-nous, dans ces lignes, qu’apporter quelques compléments rapides à la biographie d’Haapuani.
Haapuani, le « sorcier d’Hiva Oa » En plus de son identité marquisienne, Haapuani portait le nom d’Isaac Puhete. 4 Le port de deux prénoms, l’un ancré dans la tradition ancienne, l’autre judéo- chrétien, est une pratique ? ettre en rapport avec la particularité de l’évangélisation des iles Marquises. Après quelques tentatives, plutôt infructueuses, effectuées par des missionnaires protestants anglais et tahitiens, ce sont des pasteurs originaires des îles Hawai qui ont pris la relève. L’histoire de leur venue mérite d’être comptée.
Un navire américain, ayant à son bord un insulaire des iles Hawaï s’arrêta aux Marquises. Ce matelot hawaïen, donc polynésien, parlant une langue proche de celles des Marquises, avait obtenu le drolt d’épouser la fille d’un chef marquisien et de rester ur [‘archipel. Le beau-père, frappé par l’intelligence de son gendre, voulut absolument visiter la patrie de ce dernier. Il réussit à concrétiser son rêve. En arrivant en 1853 à Honolulu, il entra en contact avec une association évangelique hawaïenne et demanda derechef un missionnaire protestant pour les Marquises.
La société répondit positivement à son désir en envoyant deux prédlcateurs hawaïens. En 1865 un troisième Othon Printz, Gauguin et I PAGF me, Rencontre avec des Printz, Gauguin et le Protestantisme, Rencontre avec des hommes et… des femmes, Jérôme Do Bentzinger Editeur, Colmar, 2008. Jean-François Staszak, Gauguin voyageur, Geo Solar, 2006, p. 173 et 177. Jacques Bayle-Ottenheim, Tohotaua et Haapuani : deux amis marquisiens de Gauguin, 5ème salon international du livre insulaire, île d’Ouessant-Bretagne du jeudi 21 août au dimanche 24 août 2003, l’archipel des lettres.
Aux iles Marquises : sur les traces de Paul Gauguin pp. 25-29. 4 E. S. C. Handy, Marquesan legends, Bishop Museum, Honolulu, 1930. 2 pasteur, également hawaïen, leur fut adjoint. 5 Au départ, le travail de ces missionnaires polynésiens fut couronné de succès. En 1875, ils aisaient état de 2000 protestants. Le plus connu des trois misslonnalres, James Kekela (1824-1904), a travaillé longtemps dans la région de Puamau, à l’endroit même où Haapuani a passé ses années de jeunesse.
Cest là, en effet, qu’a commencé son initiation à la culture marquisienne parallèlement à sa formation chrétienne protestante. Handy, un ethnologue américain qui travaillait en 1920 aux Marquises, a recueilli ce témoignage concernant Haapuani : « … dans sa jeunesse, [on] le voyait fréquemment assis au milieu d’un groupe d’hommes plus âgés qui contaient les xplo•ts de héros tels que Kae ou Tana-oa ; les oreilles et l’esprit en éveil, il s’appliquait alors ? retenir les mots qui, plus tard (… lui permettraient de sa li, une part au moins, du 12 part au moins, du fabuleux savoir qui avait été celui de tous les Marquisiens cultivés des temps anciens… »6 Quant aux missionnaires protestants hawaïens, eux-mêmes, rappelons-le, polynésiens de race et de langue, ils ne cherchaient pas tant la rupture avec les traditions anciennes qu’une évolution de celles-ci vers le christianisme. À cet élément, à nos yeux essentiel, il faut ajouter qu’en 1834 les issionnaires catholiques sont venus faire concurrence aux protestants. Les conflits entre les deux confessions furent souvent rudes.
S’appuyant sur les débuts de la colonisation française, les catholiques ont ouvert des écoles où le français fut enseigné, alors que les missionnaires protestants donnaient leur formation en marquisien. Lorsque Haapuani était enfant les autorités coloniales françaises ont poussé à la fermeture des écoles protestantes et encouragé l’ouverture d’écoles catholiques. C’est dans ce contexte qu’Haapuani fréquentait ces dernières d’où sa bonne onnaissance de notre langue. C’est ce qui lui permettra plus tard d’avoir des conversations suivies avec Gauguin. Concluons.
Solidement initié à la culture marquisienne ancienne, Haapuani devint « taua », une fonction qui s’apparente à celle de « prêtre » ou de « sorcier Tant que les pasteurs hawaïens étaient à l’œuvre, il pouvait, dans certaines limites, cumuler ce rôle avec son appartenance chrétienne. La possibilité, en ces temps lointains, d’un tel cumul a été recemment rappelée par Jean-Marc Pambrun. je mien suis allé à Maupiti consulter un utr 2 été récemment rappelée par Jean-Marc Pambrun. je m’en suis autre de mes aïeux, Mahuru, décédé à l’orée finissante du XIXème siècle.
Premier pasteur, et donc plus haute autorité de l’ile à cette époque, il était aussi un tahu’a hi’ohi’o, un voyant qui n’avait pas craint de refuser de se couper les cheveux pour les missionnaires, ni de se raser la tête en signe de deuil lors du décès de la reine Pomare IV et qui avait pris le parti du mouvement de rébellion mené par Teraupo contre le protectorat et l’annexion des îles Sous-le-Vent. 7 Lorsque le christianisme marquisien Sest occidentalisé par la venue de missionnaires français, catholiques ou protestants, il y eut une rupture entre les deux cultures : le cumul n’était plus possible.
Aussi, les souvenirs de Guillaume le Bronnec, qui a bien connu Haapuani vers 1910, sont-ils quelque peu inexactes lorsqu’il dit que «Haapuani avait le rang de tau’a ou prêtre avant l’arrivée des missionnaires »8. Il faut préciser : c’est l’arrivée d’un missionnaire français qul Sur l’évangélisation des Marquises on peut consulter Henri Vernier, Au vent des cyclones, Les Bergers et les Mages, pans, 1986. 6 Traduit par Bayle-Ottenheim, article cité p. 27. Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun, ethnologue, écrivain et artiste polynésien in, Héritage et confrontations, Actes d’un colloque qui s’est tenu à Tahiti en 2003, Edition Le Motu, p. 59. PAGF s 2 passage que Gauguin a bien connu ce mouvement de rébellion évoqué par Pambrun. 8 Rappelons-nous que les missionnalres hawaïens sont arrivés en 1853 et les anglais dès 1797. l’a conduit à « renoncer à sa prêtrise pour devenir organisateur et maitre de cérémonie des festivals et célébrations d’Hiva Oa »9. Haapuani, un « Hercule » Le Bronnec décrit Haapuani comme un homme d’années, pur marquisien, taillé en hercule… ?IO Voici deux photos de lui. « d’une trentaine Celle de gauche le montre vers 1930, âgé d’environ 50 ans, à côté d’un Tiki marquisienl 1. La photo de droite, inédite à notre avis, nous a été confiée par le petit-fils du pasteur Vernier. Ce dernier a été missionnaire protestant à Hiva Oa à l’époque de Gauguin. Il a bien connu le peintre et c’est lui qui l’a soigné, faute de médecin présent sur I file à cette époquel 2. Cette reproduction se trouvait dans un album comprenant d’autres photographies, réalisées par Grelet, photographe amateur et ami commun de Gauguin et du pasteur Vernier.
Elle date probablement de 1902 et montre Haapuani âgé d’une vingtaine d’années. Assis sur sa chaise, il apparait, ici aussi, comme un homme massf, à l’allure de chef, loin de la figure fine et énigmatique du « sorcier Haapuani, gendre de ioka. un peu plus haut nous avons mentionné l’étonnement de Handy quant aux exceptionnelles PAGF 19 confié, « qu’en plus de ce qu’il a appris dans sa jeunesse à Puamau, c’est e père de Tohotaua, son épouse, un homme de haute culture, qui a largement contribué ? enrichir l’apport initial h.
Guillaume Le Bronnec dans Gauguin, sa vie, son œuvre : réunion de textes, d’études, de documents sous la direction et avec la collaboration de Georges Wildenstein, Paris, PUE 1958 pp 193-200. Guillaume Le Bronnec, opus cité p. 207. La photographie se trouve dans rouvrage de Handy, cité plus haut. Sur les liens entre Gauguin et le pasteur Vernier, voir Printz, opus Cité, pp. 95-110. Or le « père de Tohotaua » n’est autre que Tioka 13, le diacre de la paroisse protestante, ami t « frère » de Gauguin par l’échange de leur sang14 Deux sources soulignent les grandes connaissances de Tioka en matière de traditions marquisiennes.
D’une part, le pasteur Vernier, dans ses souvenirs, rapporte que « Gauguin aimait beaucoup Tioka, son voisin. En effet, Tioka renseignait Gauguin, qui savait un peu le tahitien, sur les traditions du pays D’autre part nous connaissons les témoignages de Victor Segalen, très élogieux au sujet des connaissances de Tioka. Écoutons ces quelques extraits d’un écrit de Segalen. Chez le pasteur V in de la maison où est PAGF 7 9