Histoire de la philosophie

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Ce sont là, dira-t-on, des accidents ; peu importe ce que la société veut faire de la philosophie ; ce qu’il y a d’important, c’est ce que celle- ci reste, au milieu des intentions différentes de ceux qui l’utilisent ; quelles que soient leurs divergences, il n’y a de philosophie que là où il y a une pensée rationnelle, c’est-à-dire une pensée capable de se critiquer et de faire effort pour se justifier par des raisons. Cette aspiration à une valeur rationnelle n’est-elle pas, peut-o permanent pour justifier cette histoire raison pure », comme dit Ka distinguer OF4 S. tp page aractéristique et cette « histoire de la ?e 1 ? Suffisant pour la philosophie de la croyance religieuse, ce trait la distinguerait aussi des sciences positives ; car l’histoire des sciences positives est complètement inséparable de l’histoire des techniques d’où elles sont issues et qu’elles perfectionnent. Il ny a pas de loi scientifique qui ne soit, sous un autre aspect, une règle d’action sur les choses ; la philosophie, elle, est pure spéculation, pur effort pour comprendre, sans autre préoccupation.

Cest sous Dioclétien et Constantin qu’enseigna Jamblique de Chalcis, dont la pensée domine toute la fin du néoplatonisme ; il était non oins connaissance de soi, en continuant par le Gorgias, qui traite des vertus politiques, en réservant pour la fin le Parménide, qui se rapporte au principe suprême. Ainsi les dialogues, lus comme il faut, ne sont qu’un vaste guide de la vie spirituelle 3. Des spéculations de Jamblique sur l’âme, nous ne connaissons guère que les fragments d’un traité, de caractère surtout historique, conservés dans les Eclogues (l, 40, 8 ; 41, 32-33) de Stobée.

Ce qui nous intéresse, c’est qu’il veut y distinguer la pure tradition historique du platonisme des additions dont elle a été l’objet. D’après un enseignement, qui ne remonte qu’? Numénius, l’âme serait une essence identique à celle de la réalité supérieure dont elle dérive ; d’après la doctrine véritable de Platon (et aussi d’Aristote et de Pythagore), l’âme est une substance distincte de cette réalité et douée de caractères propres. p. 73 On voit ici, assez nettement, l’opposition d’un platonisme inspiré du stoicisme, celui de Numénius, qui fait des âmes de simples fragments de l’intelligence divine, et d’un platonisme qui multiplie les termes de la hiérarchie des réalités, en s’efforçant de conserver ? hacun son caractère propre et original. Cette tendance à la multiplication des termes de la hiérarchie, qui apparait déjà à cette occasion, est le trait distinctif de cette période ultime du néoplatonisme inaugurée 2 ; il donne la méthode et grand nombre de ternaires, étagés les uns au-dessus des autres.

Est-ce là, comme on le répète souvent, la continuation d’un mouvement de pensée qui débute chez Plotin ? Plotin aurait intercalé, entre le premier principe et le monde, les hypostases de 1 Cf. BIDEZ, Comptes rendus de l’Académie des inscriptions, 1er octobre 1922. BOLU Sphaera, p. 7, note. 3 D’après Proclus, Commentaire de l’Alcibiade, éd. Cousin, 297, IIQO Émile BRÉHIER — Histoire de la philosophie. — I.

L’Antiquité et le Moyen âge 322 l’intelligence et de l’âme, pour rétablir la continuité, rendue impossible par la transcendance du Principe ; ses successeurs, selon le même procédé, auraient intercalé d’autres termes comme on intercale des points, pour se rapprocher d’une ligne continue. Nous voyons au contraire, dans la direction de Jamblique, une véritable réaction contre l’esprit plotinien. Lorsque Proclus, qui est tout ? fait dans ‘esprit de Jamblique, a montré, en son Commentaire du Timée (241 f. sq. , que l’Éternité était une hypostase à intercaler entre le Bien et l’Animal en soi (de même que le Temps doit être intercalé entre le monde intelligible et le monde sensible), il fait la remarque suivante à propos d’auteurs qu’il ne nomme pas et qui doivent être Plotin et ceux de son école : « Les autres confondent tout ; n’admet Ilieence entre l’âme et le 3 on le croirait à lire seulement Proclus, mais à méconnaître l’esprit Plotin, qui sans confondre du tout l’éternité et le monde intelligible, retrouve l’éternité p. 4 dans le mouvement de l’intelligence qui revient vers l’un 1, la recherchant donc dans sa genèse et son processus, loin d’en faire, comme ses successeurs, un terme figé.

C’est de la même manière que, ailleurs, Proclus critique la théorie des démons que donne Plotin ; Plotin détruit la notion même de démon en faisant, comme les Stoitiens, du démon une partie de nous-même 2 ; encore ici, Proclus néglige la subtile théorie plotinienne de l’âme, d’après laquelle la partie supérieure de nous-même (le démon), la partie contemplative, est nous sans être nous ; elle est nous- même quand nous atteignons : elle cesse d’être nous, lorsque nous descendons ? un ruveau inférieur.

La grande affaire de Jamblique (comme de Proclus) est de trouver une méthode qui participe non moins à la méthode aristotélicienne, classant les concepts des caractères les plus généraux aux plus particuliers, qu’à la dialectique platonicienne ; une méthode aussi qui permette de retrouver, dans le monde intelligible, déduites et bien à leur place, les mille formes religieuses que distingue le paganisme, dieux, démons, héros, etc. Ce vaste classement est vide de la vie spirituelle qu nnéades et qui 4 OF4