Guy Môquet, Nicolas Sarkozy et le roman national
Freie Universitat Berlin Fachbereich Geschichts• und Kulturwissenschaften Friedrich-Meinecke-lnstitut Hauptseminar „Les usages publics de l’histoire » Dr. habil. Corine Defrance Wintersemester 201112012 2 p g Guy Môquet, Sarkozy et le roman national particulier. Elle a encore suscité des réflexions critiques de nombreux enseignants et historiens5. Entre autres, Nicolas Sarkozy a été accusé de récupérer la personne de Guy Môquet pour ses propos.
Par la suite il sera question de montrer comment et pourquoi Nicolas Sarkozy instrumentalise la lettre et la personne de Guy Môquet et quel en est l’effet. our cela, l’approche de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Guy Môquet sera exposée. Ensuite, l’instrumentalisation sera analysée et placée dans le contexte de son usage de l’histoire. Il. L’affaire Guy Môquet Guy Môquet, fils du député communiste Prosper Môquet, était un jeune militant communiste, engagé dans la clandestinité au sein du PCF.
Il est arrêté en octobre 1 940 par la police française pour avoir distribué de la propagande communiste. En octobre 1941, en représailles à Passassinat d’un officier allemand à Nantes par de jeunes communistes, il est désigné comme otage par les Allemands avec ‘aval du ministre de l’Intérieur. Le 22 octobre, Guy Môquet est fusillé avec 48 autres otages, dont il est le plus jeune avec 17 ans. Avant son exécution, il rédige une dernière lettre à sa famille. Nicolas Sarkozy a mentionné Guy Môquet dans plusieurs discours pendant la campagne présidentielle, probablement sur une idée d’Henri Guain07, conseillé spécial 20F 12 par Xavier Darcos, le Ministre de l’éducation nationale, comprenant la lecture en classe ou en groupe par des témoins de l’époque, suivit par une réflexion collective dans le cadre de la classe. Il est alors nvisagé que le Président participe à la commémoration9, mais cela ne sera finalement pas possible à cause d’autres obligations. 0 De nombreux enseignants ont été inquiet pour l’isolement de la lettre, invoquant la nécessité de la placer dans son contexte pendant les cours traitant la Seconde guerre mondiale et la résistance prévus dans les programmes des collèges et des lycées, et ont vu dans cette initiative une atteinte à la liberté pédagogique. Le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, réagit dans une prise de position publiée dans Le Monde le 18 ctobre 2007, affirmant que la lettre de Guy Môquet doit effectivement être comprise dans son contexte élargi et soulignant la liberté des équipes pedagogiques. 1 Ill. Instrumentation et usage de l’histoire 1. La mobilisation de l’école Le fait que Nicolas Sarkozy veuille faire lire la lettre de Guy Môquet aux lycées dans le cadre d’une cérémonie nationale pour donner aux jeunes un exemple, leur expliquer « ce qu’est un jeune Français »12 et leur représenter les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité « qui font la force et la grandeur de notre pays »13 renvoi au 0F 12 République, l’école est pour lui liée ? l’unité nationale, qui doity être consolidée par la transmission de l’histoire de la France, de l’identité et de la fierté nationale. 5 L’école est un lieu de rassemblement autour d’une culture commune où « la cohésion nationale autour dune histoire, de valeurs et d’aspiration commune »16 doit être renforcée. L’unité, l’identité et la fierté nationale, dont la base serait l’histoire commune, sont en effet souvent évoquées par Sarkozy. 7 La lecture de la lettre de Guy Môquet doit donc servir à consolider la mémoire lorieuse de la Résistance faisant partie de cette histoire commune, qui est établie par le gouvernement et définie l’identité nationale, dans l’espace de l’école pour engendrer la fierté nationale et le patriotisme et produire de l’adhésion à la nation. 2. Le recours à l’émotionnel Lors de la cérémonie au bois de Boulogne, Nicolas Sarkozy déclare que la dernière lettre de Guy Môquet le bouleverse profondément, ce qui est la raison pour son projet de la faire lire au lycée. 8 Il souligne surtout la jeunesse de Môquet, son amour pour sa famille et son sacrifice pour la patrie19: « la lettre si émouvante ue Guy Môquet écrivit à ses parents à la veille d’être fusillé: ‘ma petite maman chérie, mon petit papa adoré’ »20, « il avait 17 ans et il a donné sa vie pour notre pays »21 . Ainsi en accentuant le tragique, il suscite un sentiment de compassion et de sympathie pour le 4 2 sont ici plus important que l’analyse critique et la mise en perspective.
Cela est ostensible dans le choix de la lettre: Guy Môquet fait ses adieux à sa famille, ce qui est évidemment très triste, et il ne mentionne pas son engagement politique ni les circonstances et raison de son exécution. Sarkozy choisit d’ailleurs de ne pas évoquer le rôle du régime de Vichy dans l’histoire de Guy Môquet. 22 Celui-ci avait été arrêté par la police française, interné par le gouvernement français et désigné comme otages par les Allemands avec l’aval du ministre de l’Intérieur, Pucheu, à cause de son engagement communiste et celui de son père. 3 Sarkozy évite donc d’examiner les fautes commises par État français ? l’époque, dont on a « abusé »24. Cest ainsi qu’il esquive les remords, menant à la repentance, qu’il déclare détester25. Cette repentance « qu exprime la détestation de la France et de son Histoire »26, selon Nicolas Sarkozy, menacerai la fierté nationale et ranimerai les conflits du passé en « exigeant des fils qu’ils expient les fautes supposées de leur père »27. our contrecarrer ceci, il veut conforter une image positive du pays, non seulement concernant le régime de Vichy, mais aussi les croisades et Iacolonisation. 28 Cest pour cela qu’il présente Guy Môquet uniquement comme résistant patriotique, luttant contre l’occupant allemand et omet le jeune militant communiste persécuté par les autorités françaises. 3. Effacer les clivages 2 Môquet au ébut, mais après des protestations dune partie de la gauche, il l’évoque à partir de mars 2007. 9 Il continue néanmoins de minimiser son engagement politique et met plutôt en avant le patriotisme du jeune homme en affirmant qu’il se soit sacrifié pour la France et que son appartenance au communisme soit secondaire: « Il est mort pour la France, pas pour le communisme. ». 30 Il va même au-delà en jugeant plus important la patrie que l’engagement et les convictions politique individuelles: « J’accorde à l’amour pour la patrie plus d’importance qu’au patriotisme de parti. ?31 Cette issimulation se trouve encore dans l’intitulé de la journée d’hommage, ou le terme de camarades, communiste et employé par Guy Môquet, est remplacé par celui de compagnons, gaulliste. 32 Il est vrai que le communisme n’est pas mentionné par Guy Môquet dans sa dernière lettre, il n’y a aucun rapport direct ni à des enjeux politique, ni à son orientation personnel. Mais en regardant de plus près, on y trouve un indice escamoté par Sarkozy. Il s’agit de la phrase « Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée. »33, adressée à son père.
Celui-ci, député communiste, vait été arrêté en 1939 pour avoir suivit la ligne du parti communiste malgré son interdiction. On peut donc supposer que Guy, qui a d’avantage milité au sein des jeunesses communistes après cet événement34, fait ici entre autre allusion à son engagement communiste. Par contre, il n’y a pas de patrie, ou le patriotisme, 6 2 cette lettre. 35 Il est d’ailleurs impossible de comprendre l’engagement politique ou le patriotisme de Guy Môquet sans considérer le contexte de l’engagement communiste à l’époque, qui n’est pas évoqué par Sarkozy. 6 En négligeant l’engagement politique de Guy Môquet et son ontexte et en accentuant seulement son patriotisme, Sarkozy le dépolitise et disjoint le rapport au communisme pour le rendre accessible à tous les Français, quelle que soit leur orientation politique. En affirmant de plus qu’il « n’appartient pas au communisme »37 Sarkozy détache Guy Môquet de la mémoire communautaire communiste et tente de l’intégrer dans la mémoire consensuelle, la seule histoire de France, affichée fréquemment dans ses discours. 38 Il efface ainsi le clivage entre la droite et la gauche. 9 De cette manière Nicolas Sarkozy veut lutter contre le communautarisme, les ommunautés portantes des mémoires souvent douloureuses. Ces communautés seraient souvent revendicatrices et particularistes et abuseraient de leurs memoires par le lobbyisme. par leur rappel de passé de souffrance ou de dissensus, elles animeraient la repentance. Les mémoires communautaires seraient donc dangereux pour l’unité nationale, parce qu’elles divisent: « Je refuse le communautarisme qui rendrait ce qui nous sépare plus fort que ce qui nous unit. ?40 En transformant et réduisant Cuy Môquet en icône accessible à tous les Français, portante des valeurs choisies par le ouvernement (exposées 1. La mobilisation de 2 son orientation politique et ses convictions, Sarkozy tente de raffermir l’unité nationale. Comme l’unité nationale est attachée à l’identité nationale, il faut expliquer ce qu’est cette Identité pour éviter que « chacun se tournera vers sa communauté d’origine »41, selon Sarkozy. L’identité étant définie par l’histoire commune42, c’est celle-ci qui doit être mise en avant. IV.
Résumé et Conclusion L’analyse précédente a montré que l’instrumentalisation de Guy Môquet et de sa lettre effectuée par Nicolas Sarkozy se concentre sur trois points. Premièrement, la lecture de la lettre au lycée doit consolider l’histoire commune, établie par le gouvernement, pour renforcer l’identité et la fierté de la nation. Ainsi, l’école est conçu comme lieu de rassemblement autour d’une culture commune, où ces valeurs son transmis par un récit national. Ensuite, par le recours à l’émotionnel, surtout en suscitant de la compassion, l’attachement à la nation est confortée.
De même, en omettant le rôle du régime de Vichy pour éviter la repentance, et en présentant Guy Môquet comme héros de la Résistance, Nicolas Sarkozy impose un seul récit de l’histoire de la France et consolide la fierté nationale. Enfin, en négligeant l’engagement politique de Guy Môquet et le détachant de la mémoire communautaire des communistes, il l’intègre dans ce récit national, pour lutter l’histoire commune, le récit national homogène qui est engendré par Sarkozy pour contrarier l’affaiblissement de l’unité et de la fierté nationale par les mémoires communautaires et le mode de repentance. 3 Certes, il est normal que le président ou un candidat se sert abondamment de références historiques dans ses discours et c’est sa tâche d’organiser des ommémorations et d’y participer et d’assurer la continuité de la nation44. Cependant le roman national que Sarkozy forge est partiellement factice. Premièrement, il veut donner une histoire officielle comme mémoire consensuelle: « Je veux dire à tous les Français que nous sommes les héritiers d’une seule et même histoire dont nous devons être fiers. ?45 pour cela, il efface les clivages et évoque des personnages de toutes les orientations politiques, affirmant qu’ils appartiennent à l’histoire de la France et que « la France appartient à tous les Français Jaurès, Blum, Ferry, de Gaulle46, Jeanne d’Arc47 t Guy Môquet. 48 Puis, il souligne la continuité de « la France éternelle »49: « Notre patrimoine inscrit notre pays dans le temps longs d’une histoire multiséculaire. »50. 51 Le roman national rétabli par Sarkozy était très important dans la Ille République.
Il constitue un méta récit: un récit qui arrange, sélectionne, évalue et juge d’autres récits, cela avec une perspective, de manière cohérente et revendiquant l’objectivité. 52 Nous l’avons vue à l’exemple de son instrumentalisation de Guy Môquet. L’usage de l’histoire de Nicolas Sarkozy est con pas unique en Europe53 as unique en Europe53 et ses effets sur le regard des Français sur leur histoire doivent encore être étudiés. A. Sources Agenda de M. e Président de la République du 22 au 26 octobre 2007, URL: http://www. elysee. fr/president/les-actualites/agenda/2007 /agenda-de-m-le-presldent-dela- republique-du-22. 1209. html? octobre (dernière consultation le 15. 03. 2012) Nicolas Sarkozy, discours du 2 février 2007 à Maisons-Alfort, Jean Véronis (éd. ) http://sites. univ-provence. fr/veronis/Discours2007/transcript. php 02-02 (dernière consultation le 30. 03. 2012) Nicolas Sarkozy, discours 7 au Zénith, Jean Véronis 0 2