Gestion D Affaire

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ARTICLE: NOUVEAU CODE CIVIL DU QUÉBEC LA GESTION D’AFFAIRES INOPPORTUNE, L’INDEMNISATION DU FAUX GERANT, ET LA PORTÉE DE L’ARTICLE 1490 c. c. Q. par Robert p. KOURIk Charlotte Les auteurs proposent une analyse de la portée de l’article 1490 du Code civil du Québec, une disposition nouvelle traitant des droits et obligations des parties lorsque la gestion des affaires d’autrui a été entreprise inopportunément. La distinction entre les notions d’O gestion d’affaires, tandis que conséquences juridiques Sv. ige to mentaire souligne la ns le cadre de la ine les d’une gestion inutile et celles d’une gestion inopportunément ntreprise.

The writers seek to analyze article 1490 ofthe Civil Code of Québec, an innovative provision which deals With the rights and obligations of the parties when the management of the business of another has been inopportunely undertaken. The first part sets out the distinction between the notions of opportuneness and of usefulness as they relate to the management of the business of another, whereas the second part examines the legal consequences SOMMAIRE INTRODUCTION 503 LES NOTIONS DOPPORTUNITÉ ET D’UTILITÉ EN MATIÈRE DE GESTION D’AFFAIRES LES CONSEQUENCES JURIDIQUES D’UN ACTE DE

GESTION INUTILE, ET CELLES D’UNE GESTION INOPPORTUNE CONCLUSION 520 (1993) 23 R. D. U. S. La gestion d’affaires inopportune, l’indemnisation du faux gérant, et la portée de l’article 1490 C. c. Q. . . 504 . 511 Dans l’ensemble, les principes de la théorie générale des obligations semblent avoir échappé aux bouleversements majeurs apportés par la réforme du Code civil. Certains y verront un statisme contraignant, d’autres une rassurante démonstration de la pérennité du droit dans ce qu’il a de plus essentiel. La théorie des obli ations a su traverser le temps, et se mouler aux

PAGF 3 institution juridique ont fait l’objet de modifications tangibles quant aux droits et obligations du gérant et du géré. À cet égard, il fa ut souligner deux changements incontournables. Le premier prévoit la possibilité de gérer l’affaire d’autrui même à la connaissance du maître de l’affaire, mais ? la condition que ce dernier ne soit ni en mesure de désigner un mandataire, ni d’y pourvoir de quelque autre manière (article 1482 C. c. Q. ). Le second, qui nous intéresse davantage et qui fait l’objet de notre commentaire, réside dans le nouvel article 1490 C. c. Q.

Cet article établit que «[l]a gestion inopportunément entreprise par le gérant n’oblige le géré que dans la seule mesure de son enrichissement. » Cette nouveauté, complètement étrangère au Code civil du Bas- Canada, soulève plusieurs interrogations que le laconisme parfois déconcertant des commentaires accompagnant le nouveau code ne parvient pas ? satisfaire. Du moins ces commentaires, dont la parcimonie tient peut-être ? leur élaboration faite a posteriori, nous informent-ils que le principe de l’article 1490 s’est inspiré de l’article 111 du livre V du Projet de Code civi12, lequel se lit omme suit. ?Lorsque son intérêt n’exigeait pas que la gestion fût entreprise, le maître est tenu des mêmes obligations, mais seulement dans la mesure de son enrichissement. » 3 Québec, Les Publications du Québec, 1993, t. 1, p. 907. Office de Révision du Code Civil, Rapport sur le Code civil, vol. 1, projet de Code civil, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978. 504 l’inspiration du texte ainsi proposé. Elles se contentaient de paraphraser l’article en question, tout en ajoutant que le but de la distinction était «d’éviter une trop grande immixtion dans les affaires d’autrui, même par un gérant e bonne foi»3.

Dans le but de comprendre la portée de l’article 1490 C. c. Q. , dont la rédaction apparemment simple occulte certaines difficultés de taille, notre réflexion nous amènera d’abord à distinguer les notions d’opportunité et d’utilité, puisque le Code les détache désormais. Nous nous proposons donc de circonscrire leur impact respectif dans le cadre de la gestion des affaires d’autrui. l_Jne fois cette distinction faite, nous allons examiner les conséquences juridiques d’une gestion inutile et celles, différentes, d’une gestion inopportunément entreprise. 3 ne brève explication historique.

En effet, l’article 1046 C. c. B. C. était l’équivalent de l’article 1375 du Code civil français, lequel ne distingue pas les deux notions d’opportunité et d’utilité, se contentant d’exiger du gérant qu’il administre bien l’affaire pour se voir rembourser les dépenses utiles ou nécessaires engagées par lui: «Le maitre dont l’affaire a été bien administrée, doit remplir les engagements que le gérant a contractés en son nom, l’indemniser de tous les engagements personnels qu’il a pris, et lui rembourser toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu’il a faites.

Les auteurs français ont développé à partir de cette disposition, et meme si leur code ne le mentionnait pas spécifiquement, la nécessité de l’opportunité de la gestion. Ils ont vu dans cet article 1375 C. c. f. une exigence ? la fois d’opportunité et d’utilité, et ont lié ces deux notions au point de les confondre. Ainsi, pour qu’une affaire soit «bien administrée», fallait-il que l’intervention Office de Révision du Code civil, Rapport sur le Code civil, vol. 2, t. 2, Commentaires, ? la p. 36. La gestion d’affaires inopportune l’indemnisation du faux gé PAGF s 3 épenses faites dans le cadre de cette gestion (article 1486 C. c. Q. ). En conséquence, ce sont les conditions d’existence de la gestion d’affaires qui sont soumises au critère de l’opportunité, tandis que c’est l’indemnisation du gérant qui est soumise au critère de l’utilité (ou de la nécessité) des dépenses encourues ? l’intérieur d’une gestion d’affaires déjà existante, c’est-à-dire valablement entreprise6.

Pour constituer une gestion qui puisse se réclamer des règles en vigueur, il faudra donc que la gestion ait tout d’abord été entreprise de façon opportune: ‘est alors seulement que le gérant pourra, en vertu de l’article 1482 c. c. Q. , bénéficier de l’action negotiorum gestorum. Le but de la loi est de vérifier la validité de l’immixtion dans les affaires d’autrui, car autant le législateur ne veutil pas décourager les initiatives désintéressées et l’altruisme de bon aloi, autant souhaite-t-il protéger l’intimité et la vie privée des individus contre les intrusions indésirées dans leurs affaires personnelles.

D’ailleurs, la Charte des droits et libertés de la personne confirme que «[t]oute personne a droit au respect de sa vie privée»7. Cette nouvelle façon de définir la gestion d’affaires, d’établir ses conditions d’existence, et de gérer son fonctionnement est assez conforme au droit antérieur, sinon qu’elle vient le préciser et l’affiner. À cet égard, la doctrine française s’est déjà exprimée comme suit: «[p]arce qu’il faut aussi dé mixtions légères et conditions: ainsi est sauvegardé l’intérêt du maitre qui ne doit pas pâtir d’interventions intempestives.

Cest là l’équilibre d’un mécanlsme qui reste ainsi dominé par l’équité, qui a pu être présenté comme la morale de charité. »8 4. 6. 8. A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Be édition, Paris, Montchrestien, 1991, p. 183, no 329; B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Droit civil, Obligations, t. 2, Contrat, 4e éd. , Paris, Litec, 1993, p. 782, no 1854; J. Flour, J. -C. Aubert, Les obligations, t. 2, Le fait juridique, Se éd. , Paris, Armand Colin, 1991, p. 17, no 12; G. Marty, P. Raynaud, Droit civil, Les obligations, 2e éd. , t. 1, Les sources, Paris, Sirey, 1988, p. 395, no 382.

Un auteur parle de la nécessité de les dissocier, mais sans vraiment élaborer sa pensée: (cf A. Sériaux, Droit des obligations, Paris, P. U. F. 1992, p. 267, note L. R. Q. c. C-12, article 5. Voir également les articles 3 et 35 et ss. c. c. Q. A. Bénabent, op. cit„ supra, note 4, p. 181 no 325; contra, A. Sériaux, op. cit. , supra, note 5, p. 281, no 83. 7 3 d’autres cas, cette immixtion ne sera pas à proprement parler fautive, mais sera dépourvue d’animus gerendi, ce qui la soustraira aux règles de la gestion pour la rattacher, le cas échéant, ? l’enrichissement injustifié10.

Finalement, l’immixtion pourra constituer la gestion opportune de l’affaire d’une autre personnel 1, et il s’agira alors d’une véritable gestion d’affaires. Il convient donc de s’interroger sur la façon d’apprécier le comportement du gérant au moment même où il entreprend sa gestion, afin de pouvoir déterminer si cette dernière est opportune. En droit français, la doctrine se prononce résolument en faveur d’une appréciation subjective du du gérant 12.

Cette appréciation subjective exige qu’on se demande si le gérant concerné, compte tenu de la situation à laquelle il était confronté et à la lumière de tous les éléments qui lui sont personnels, comme son âge, son éducation, sa formation, son expérience personnelle et professionnelle, pouvait croire a ‘opportunité de son intervention au moment où il a choisi d’agir. En d’autres mots, il s’agit de vérifier si cette personne est intervenue de bonne foi dans les affaires d’autrui, ce qui n’exclut pas qu’elle ait pu se tromper en choisissant d’intervenir.

Au Québec par contre, à cause de la rédaction différente des articles pertinents, il nous semble tion obiective mérite PAGF 8 3 intrusions indésirables, ou simplement maladroites, qui seraient susceptibles de se produire sous le couvert de la gestion, seralt de juger le comportement du gérant à la lumière de ce que ferait une personne raisonnable placée dans es mêmes IO. 12. 13. Par exemple, pendant son absence et sans que cela soit nécessaire, peindre la maison du voisin d’une couleur qu’on préfère.

Par exemple, effectuer des travaux sur l’immeuble d’autrui en pensant que l’immeuble nous appartient, lorsque cette croyance, d’après les circonstances, est raisonnable. Par exemple, éteindre un début d’incendie dans l’immeuble d’un tiers; voir Fontaine c. Gascon, [1 956] C. S. 139. V. g. R. Bout, La gestion d’affaires en droit français contemporain, paris, L. G. D. J. , 1972, p. 328, no 269 et ss; J. Flour, J. -C Aubert, op. cit. , supra, note 4, p. 17, no 12; G. Marty, Raynaud, op. cit. , supra, note 4, p. 393, no 382. Selon J. Pineau et D. Burman, Théorie des obligations, Montréal, Les Éditions Thémis, 1988, p. 35, no 167, «On ne peut pas, en effet, laisser une personne à la merci d’un gérant; on ne s’immisce pas impunément dans les affaires diautrui. » Cependant, ils ajoutent plus loin que «… [llimmixtion dans les affaires d’autrui ne constitue pas en soi, un comportement circonstances, l’immixtion sera jugée à la fois opportune et exempte de faute. Autrement, la intempestive pourra constituer une faute, puisque la personne raisonnable aurait ans doute choisi de ne pas l’entreprendre. Cependant, il reste un domaine où l’appréciation subjective favorisée par le droit français mériterait d’être retenue.

C’est celui des actes de sauvetage. Toute tentative, même téméraire, de sauver une vie humaine devrait être jugée assez généreusement quant à son opportunlté, surtout en cas d’urgence. En effet, lorsque la vie de quelqu’un est en péril, tout acte de bravoure ou d’altruisme est digne d’encouragement14, dans les limites prévues par la loil 5. D’ailleurs ne serait-il pas juste de prétendre que lorsque la vie d’une personne est en danger, out individu raisonnable aurait le réflexe de porter secours ? cette derniere, sans nécessairement soupeser le danger auquel il s’exposerait lui- même.

Du moins, en proposant ce raisonnement nous imputons à la personne raisonnable des sentiments nobles et généreux, sentiments que notre société a tout avantage ? encourager 16. Par contre, en dépit de l’opinion du juge Monet de la Cour d’appel Québec dans Paffaire Desmarais c Houle17, affirmant «qu’en matiere de gestion d’affaires, il est essentiel que l’affaire soit urgente», il n’est pas évident que l’urgence de la situation s n de validité de 33