Commerce International
L’avantage comparatif, notion fondamentale et controversée Bernard Lassudrie-Duchêne et Deniz Ûnal-Kesenci* p. 90-104 L’avantage comparatif est l’argument économique le plus général et le plus puissant pour démontrer l’intérêt de l’échange international et de la spécialisation. Comme l’a remarqué P. Samuelson, ce principe est une des rares propositions, dans les sciences sociales, qui soit logi l’inverse, nettement contre-intuitif, et de admettre.
En effet, d relations entre natio or2A triviale. Il est, ? dre et à falre ique et technologique inégale, le bon sens conduit à penser qu’il n’y a guère d’échanges mutuellement rofitables mais que l’échange se traduit par un jeu à somme nulle composé de gains et de pertes, les plus puissants étant les gagnants et les faibles les perdants, ce qui conduit à l’idée de guerre économique et au protectionnisme, justifié par a défense de la production et de l’emploi national des plus faibles.
C’est pourquoi le raisonnement établi par R. Torrens et D. Ricardo, au début du XIXe siècle, constitue une innovation majeure, permettant la compréhension des échanges internationaux et de leurs effets positifs. autarcie dans plusieurs pays, chacun d’eux trouvera avantage à se spécialiser et à exporter les biens our lesquels il dispose du plus fort avantage comparé ou du moindre désavantage comparé, en important en échange les autres biens de ses partenaires.
Il existe deux modèles de base de l’avantage comparatif, qui correspondent à deux théories de la valeur : le modèle classique élaboré dans le cadre de la théorie de la valeur travail et le modèle néo-classique construit dans le cadre de la théorie de Putilité marginale. Nous ferons la démonstration élémentalre à partir du modèle classique, le modèle ricardien, et signalerons les différences qui apparaissent lorsqu’on explique
Bernard Lassudrie-Duchêne est professeur émérite de l’université de Paris I ; Deniz Ünal-Kesenci est économiste au CEPII. @ Éditions La Découverte, collection Repères, Paris, 2001. l’avantage comparatif à partir du modèle néo-classique dans la section sur les déterminants de l’avantage comparatif. Il faut partir, en autarcie, avant tout échange, des coûts relatifs internes de deux ou plusieurs produits dans deux ou plusieurs pays, et procéder à une comparaison internationale de ces coûts relatifs.
Si l’on admet que les coûts de production des biens dépendent, en première approximation, de la quantité de travail tilisée pour les produire (théorie de la val si chaque pays se 3 lesquels il est le plus favorisé ou le moins défavorisé, l’échange de ces biens, à un taux compris entre les coûts comparés, procure un gan certain à tous les pays, et même un pays défavorisé dans l’absolu pour tous les biens gagne à l’échange international par rapport à la situation d’autarcie.
Ricardo fournit la démonstration du gain de l’échange dans le cadre de deux pays (Angleterre et Portugal), deux biens (drap et vin) et un facteur de production (travail). Ce dernier est immobile entre les nations, mais mobile entre les secteurs. Le coût absolu es produits est lié au travail nécessaire à leur fabrication. Les prix des biens tendent ? s’aligner sur les coûts de production, qui sont constants et ne se modifient pas avec les quantités produites.
Dans l’exemple chiffré de Ricardo (voir tableau ci-dessous), une unité de vin, soit 80 heures de travail, s’échange au Portugal en autarcie contre 0,89 unité de drap, qui représente 90 heures de travail, alors qu’en Angleterre le rapport interne de coût et de prix est de 1,2 : un drap s’échangera donc contre 1,2 unité de vin. Le Portugal dispose d’un avantage absolu dans la production des deux biens puisque es coûts sont inférieurs à ceux de PAngleterre : 67 % du coût anglais pour le vin et 90 % pour le drap.
La supériorité du Portugal est générale et l’Angleterre ne peut, ? premiere vue, rien lui proposer de profitable à échanger. L’exemple de Ricardo Autarcie 3 Portugal Angleterre Coûts relatifs des produits portugais par rapport aux produits anglais 80 120 90 100 0,89 1,20 Échange international Taux d’échange : 1 unité vin = 1 unité drap Gain en heures 10 20 Mais le Portugal trouvera un intérêt à l’échange avec l’Angleterre, si une unité de vin qu’il produit lui permet d’obtenir plus que 0,89 unité de drap, ‘est-à-dire plus que le prix relatif autarcique.
Symétriquement, l’Angleterre aura intérêt ? s’engager dans le commerce international si un peu moins de unlté de drap anglais peut être échangée contre une unité de vin portugais. de vin et dégagement du drap) lui permet d’allouer son facteur de production là où celui-ci est le plus efficace. L’échange est profitable pour les deux pays. L’Angleterre se spéclallse dans la production de drap où son désavantage comparatif est le moindre. Ce pays, qui paraissait totalement défavorisé en situation autarcique, gagne en fin de compte, au taux ‘échange d’un vin contre un drap, deux fois plus que le Portugal (20 heures).
Mais, si le taux d’échange dépasse les limites des coûts comparatifs internes, l’échange devient imposslble et s’arrête parce que l’un des participants y perd. pour résumer la théorie des coûts comparés de Ricardo, l’échange international de deux biens entre deux pays fournira un gain réciproque après la spécialisation sous deux conditions . – les structures de prix (coûts comparés) sont différentes en autarcie dans les deux pays ; – le taux d’échange international est compris entre les limites des coûts comparés nternes. Le gain ricardien est factoriel.
Il correspond à l’obtention d’une certaine quantité d’importation en contrepartie de l’exportation des produits les moins coûteux en travail. à la suite de l’ouverture et de la spécialisation, une réallocation des mêmes ressources permet d’instaurer une structure de production optimale pour les deux pays et d’augmenter la consommation de leurs habitants. Dans cette configuration, la spécialisation est complèt pays utilise la totalité du PAGF s 3 production du bien pour lequel il est le plus avantagé ou le moins désavantagé et importe l’autre bien.
Caractéristiques de l’avantage comparatif – La notion d’avantage comparatif est principalement utilisée dans les relations commerciales internationales, mais Favantage comparatif est un principe d’économie générale applicable à Féchange interne entre agents particuliers l’échange après spécialisation là où chaque producteur a le plus fort avantage ou le moindre désavantage procure un gain aux coéchangistes. @ Éditions La Découverte, collection Repères, paris, 2001 En échange international, l’avantage comparatif a un caractère nettement macroéconomique.
Il s’applique aux régions et aux nations qui isposent collectivement d’avantages ou de désavantages les unes par rapport aux autres. Le raisonnement s’établit en termes doublement relatifs • supériorité relative ou moindre infériorité par rapport à d’autres productions internes et par rapport aux productions étrangères des mêmes biens. Il faut donc procéder ? la comparaison de deux rapports de coûts internes. – Le fondement des avantages comparatifs réside dans une différence des coûts comparés autarciques.
Or, en échange, cette différence n’est pas observable. Les taux d’échange internationaux sont nécessairement différents des apports de coûts PAGF 3 théoriques. Dans les études empiriques, on se réfère à des indicateurs d’« avantages comparatifs révélés » par les flux commerciaux qui sont des Instruments de mesure de la spécialisation internationale des pays. – Le gain d’échange global n’a aucune raison d’être également réparti entre les deux pays. Il s’agit d’un modèle de gain réciproque inégal.
Le partage du gain de l’échange est déterminé par le taux d’échange. Dans la mesure où le taux d’échange dépend de l’intensité des demandes récproques des deux pays et de l’élasticité de la demande par apport aux prix (S. Mill), le pays qui demande le plus fortement le bien qu’il importe voit le prix international de ce bien s’élever et doit fournir en contrepartie une plus grande quantité des biens qu’il exporte en utilisant davantage de facteurs. Il gagne donc moins à l’échange du fait de Pintensité de sa demande. Le gain d’échange en régime d’avantage comparatif est un gain réel, en nature, mais les échanges internationaux se font par l’intermédiaire de monnaies. Il est donc indispensable de lier l’avantage comparatif au taux de change qui s’établit entre les monnaies des pays participants. Le fait d’évidence est que, pour que l’échange soit concevable, il est nécessaire que le taux de change s’ajuste de façon à ce que le produit le moins cher dans le pays le plus défavorisé soit compétitif sur le marché de l’autre pays.
Par exemple, dans le cas des relations Angleterre-portugal, il est nécessaire que la valeur de la livre s’ajuste escudo pour permettre au PAGF 7 3 la livre s’ajuste par rapport à l’escudo pour permettre au drap anglais, plus coûteux en termes réels, d’être moins cher que le drap portugais au Portugal et que l’Angleterre puisse exporter son drap pour régler ses importations e vin.
Dans ce cas et à ce taux de change, la différence absolue de prix monétaire entre les draps anglais et portugais n’est qu’un cas particulier d’une différence réelle plus profonde de coûts comparés. Si les deux pays ont la même monnaie, le taux de change nominal ne pouvant alors jouer, il est indispensable que le taux de change réel (niveau des salaires et des prix internes) évolue, dans le sens de l’abaissement des salaires, des coûts et du prix du drap en Angleterre. ? défaut, l’échange entre les deux pays deviendrait impossible, l’Angleterre ne pouvant rien exporter. Le taux de change nominal eut donc être le substitut du taux de change réel. Il est en quelque sorte une écluse, mettant à niveau les prix des pays dont les coûts de production sont plus élevés et permettant le passage des flux entre pays dont les technologies et les richesses sont inégales Éditions La Découverte, collection Repères, Paris, 2001.
IV – Le principe de l’avantage comparatif a un caractère à la fois positif, en expliquant les courants d’échange et normatif, en indiquant que le libre échange aboutit à la meilleure des situations possibles. Les gains de l’échange et I PAGF E 3 facteur de roduction dans les deux pays, ce qui, dans ‘hypothèse du plein- emploi des facteurs, se traduira par une productlon supplémentaire de biens et services chez les deux partenaires. Cependant, le gain à l’échange analysé par la théorie n’est pas un gain net.
La spécialisation, mode opératoire du passage de l’autarcie au libre échange, se traduit par des processus coûteux et qui peuvent être socialement pénibles : réallocation de facteurs, obsolescence de capitaux non amortis, abandon de terres inutilisées, perte de compétence de la main-d’œuvre, migrations sectorielles et géographiques, coûts des mprunts de capitaux nouveaux, etc. On peut considérer que ces coûts sont des investissements nécessaires pour accéder à une situation de bien-être collectif supérieur.
L’ouverture aux échanges se traduit donc par des processus de destruction créatrice et de transformations structurelles qui suscitent inévitablement des résistances, justifiées par des considérations sociales ou politiques et par l’apparition de nouvelles inégalités. Le libéralisme extérieur peut alors renforcer des politiques interventionnistes ? l’intérieur des pays. Ceci a été dénommé le « paradoxe du libre- échange » : le ibéralisme externe conduit à des mesures internes de compensation des préjudices subls et de redistribution des revenus. ne autre limite du gain ricardien de l’échange se situe au cours du temps, en dynamique économique. Celle-ci rovient de la levée de l’hypothèse classique de c de coûts constants, indépendants des quantités produites (rendements d’échelle constants). Dans un article célèbre (1923), féconomiste américan F. Graham a montré que toutes les spécialisations ne se valent pas à long terme. Certaines sont propices à l’apparition de rendements croissants et donc de coûts décroissants liés aux ?conomies d’échelle des firmes et à la taille de leur marché.
D’autres butent sur des rendements décroissants et des coûts d’exploitation croissants. Si un pays, à partir des coûts comparés actuels, se spécialise dans des activités à rendements croissants (par exemple industrielles) et l’autre dans des activités à rendements décroissants (par exemple agricoles), les gains d’échange du premier s’élèvent et s’accompagnent d’une hausse de son revenu réel interne, parce qu’il consomme lui-même des biens qu’il produit de façon de moins en moins coûteuse.
Tandis que le second pays, à l’inverse, voit dune art se réduire progressivement ses gains d’échange et, d’autre part, son niveau de vie s’abaisser à la suite de la croissance des coûts de sa production destinée à la consommation interne. Le modèle de Graham exprime le cas limite où tous les coûts évoluent en sens inverse dans les deux pays.
Un contre-argument est que la phase de rendements croissants ne peut durer éternellement ni pour les firmes ni pour les nations. L’hypothèse classique des coûts constants peut-être considérée comme plus réaliste à long terme. Un autre modèle, dû à J. B ), étudie l’hypothèse de la paGF