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Éthiopiques numéro 19 revue socialiste de culture négro-africaine juillet 1979 Portée révolutionnaire du premier [1] « roman nègre » Auteur : Iheanacho Egonu Pour beaucoup de lecteurs et même de critiques de la littérature négro-africaine, le nom de René Maran n’évoque que l’auteur de Batouala, comme si ce grand écrivain n’avait pas écrit d’autres romans, bien supérieurs, peut-être, au « roman nègre Le professeur Mercer Cook, ami de Maran, rapporte que lorsqu’il avait tenté de faire publier aux Etats-Unis, une traduction en anglais du roman qu d’œuvre [2], un édite ? Maran has shot his Ainsi le nom de Mara roman africain, dont or 12 It to View me son chef- catégoriquement : itre de son premier fgé dans un moule rigide, son image d’écrivain. Maran lui-même se plaignait souvent de ce que le public l’identifiait uniquement à son « roman nègre » : Et après tout, disait-il, même si l’on continue à faire de moi l’homme d’un seul livre, je me console en me disant qu’après tout, Arvers, fut, lui, l’homme d’un seul sonnet [4]. Cependant, Batouala était bien, pour son époque, une œuvre ? portée révolutionnaire.

En s’en prenant, en plein essor colonial, ux fléaux qu’étaient les abus coloniaux et la littérature dite coloniale qui en faisait l’apologie, le « roman nègre » fit époque, non seulement dans l’histoire des lettres négro-africaines mais aussi dan Swlpe to vlew next page dans celle des littératures anti-colonialistes et révolutionnaires des peuples coloniaux. Maran ressentait tout particulièrement la vogue de la littérature coloniale française d’Afrique qui présentait une image avilie du Noir africain, afin de justifier la domination coloniale de celui-ci. Il devait en écrire à un ami : Je vous en prie, ne continue pas à voir l’Afrique à travers des irages. Gardez-vous de croire à ces clichés trop servis depuis la guerre… Les écrivains mentent presque toujours et presque toujours sans le savoir… On ne veut pas reproduire la réalité.

On a ainsi lancé une littérature coloniale, pimpante, cliquetante et mensongère. Et il n’est personne qui ose rompre le charme… [5]. Il semble donc que Maran avait écrit Batouala précisément pour « rompre le charme » et « reproduire la réalité b. Le critique Fanoudh-Siefer, lui, explique pourquoi la littérature coloniale s’évertuait à présenter à la métropole une image aricaturée et dégradée de l’indigène des colonies africaines : Il fallait montrer au monde que les populations noires étaient arriérées, primitives, adonnees au fétichisme et à la superstition, embourbées dans une mentalité prélogique et irrationnelle.

Après cela – on avait bonne conscience d’autant plus qu’on avait la caution scientifique que constituaient les travaux de Lévy-Bruhl sur la mentalité primitive [6]. C’est au sein de la littérature coloniale d’Afrique donc qu’il faut replacer Batouala pour bien apprécier son apport « révolutionnaire », apport fait notamment d’une déviation de ‘image stéréotypée du 12 son apport « révolutionnaire D, apport fait notamment d’une déviation de l’image stéréotypée du Noir africain. Le roman qui se situe chez les Bandas de l’ancienne colonie française de l’Oubangui-Chari, l’actuel Empire Centrafricain, relate les événements d’une période relativement brève dans la vie du protagoniste, Batouala.

Nous sommes encore au début de la mise sur pied d’une administration coloniale du territoire qu’on vient à peine de « pacifier Batouala, chef traditionnel d’un groupe de villages dont il porte le nom, a été déjà dépossédé e ses pouvoirs coutumiers par les nouveaux maîtres qui le maintiennent cependant, comme utile instrument au sen,’ice de l’administration. Le système qu’il représentait autrefois étant presque déjà révolu, il voit ses charges redéfinies, abrogées ou dévalorisées. C’est ainsi qu’il se trouve obligé de collaborer avec les envahisseurs pour faire accepter à son peuple la domination étrangère. Mais Batouala ne cache jamais son mépris pour les nouveaux maîtres et il meurt la haine au cœur.

Ce qui ne manque pas de frapper dans Batouala, pour celui qui connaît bien la vague de la littérature coloniale française d’Afrique ‘est la prestance qu’y prennent les personnages indigènes, Batouala, le protagoniste du roman, est présenté comme « robuste et membru » et il possède une force légendaire » ; Yassigui’ndja, son épouse, est « charmante » avec « de larges hanches, les cuisses rondes et fortes, de fines chevilles et un air distingué » Bissibi’ngui, lui, jouit « de cette force dans la souplesse qui est la beauté des mâle 19 air distingué » Bissibi’ngui, lui, jouit « de cette force dans la souplesse qui est la beauté des mâles ; ossature parfaite, épaules et poitrine craquelées de muscles, pas de ventre, des ambes longues, pleines et nerveuses » [7]. Il n’y a rien chez ces personnages qui suggère de la laideur ou du grotesque, attributs qui marquaient les personnages noirs africains des romans coloniaux. Ainsi, à côté de l’image du « Nègre laid et ridicule », Maran cherche à faire valoir une nouvelle image, faite de la beauté et de la grâce, car, comme l’exprimera plus tard Langston Hughes : « Nous savons que nous sommes beaux, et laids aussi » Dignité littéraire On comprend donc pourquoi Aimé Césaire avait salué en l’auteur de Batouala celui qui « le premier fit accéder le Nègre à la dignité ittéraire » [9].

Cest que, précisément, dans le « roman nègre « Le Noir ordinaire, dont toute une littérature avait entrepris de souligner l’aspect grotesque et exotique, devient le héros ; il est peint avec sérieux et passion… » [10]. Par contre les personnages européens du roman, qui représentent la brutalité et les abus coloniaux, sont tous grossiers et antipathiques. Il en est de même des indigènes qui se trouvent au service de ceux-ci. Lecommandant, symbole de la puissance coloniale, est cruel et vilain ; il est particulièrement dédaigné par es administrés qui le surnomme « Kotaya » ou « gros ventre Boula, le chef des miliciens indigènes, un « sinistre ; idiot qui marchait lentement en se traînant comme le iule », est plus méprisable encore. Le seul Européen 2 méprisable encore.

Le seul Européen du roman qui parait sympathique, c’est Coquelin, le grand chasseur, qui ressemble aux indigènes, non seulement par sa grande stature physique, mais aussi par le genre de vie de brousse qu’il mène. C’est donc un Blanc qui s’est intégré dans le monde des Noirs ; il s’en suit presque qu’il est bon et noble. Maran semble avoir déféré ici à la convention classique qui allie toujours la beauté physique à la noblesse morale et la laideur à la méchanceté. Dans le « roman nègre », cette beaute se retrouve, comme il faut s’y attendre, du côté des Noirs. Cest bien une optique révolutionnaire dans la littérature coloniale. Dans le même ordre d’idées, Batouala apporta du neuf au niveau du langage qu’emploient les personnages.

On note que le romancier prête aux indigènes un vocable correct et raffiné, des discours ou la simplicité d’expression s’allie à la lucidité de pensée et de raisonnement. Par contre la bassesse de langage et d’expression ne se rencontre que chez les représentants et les agents du régime colonial. De même « le petit nègre », ce trop fameux genre de français déformé et enfantin que les écrivains mettaient dans la bouche des personnages afrlcains, n’est parlé dans le roman que par les méchants miliciens, alliés serviles et dirigés des occupants coloniaux. Du point de vue stylistique, Batouala donna aussi, le premier, l’exemple du résultat heureux d’un procédé encore inconnu ? l’époque : celui de l’intégration harmonieuse des mots et des express PAGF s 9