18 Vigny Alfred De
wv ». comptoirlitteraire. com André Durand présente Alfred de VIGNY (France) (1797-1863) Au fil de sa biographi qui sont résumées et (surtout « La mort du Bonne lecture ! or 28 Issu d’une vieille famille noble et élevé dans le culte des armes et de l’honneur, il rêva de gloire militaire («J’eus, pendant tout le temps de l’Empire, le coeur ému, en voyant l’empereur, du désir d’aller à l’armée. Mais il faut avoir l’âge»). Cependant, il se savait né trop tard pour être le héros d’une épopée, et se sentit coupable d’avoir voulu porter dans une vie tout active une nature toute contemplative.
Aussi, entré comme sous-lieutenant dans la garde royale, ayant attendu neuf ans que l’ancienneté l’ait fait capitaine, déçu par la vie de garnison, il se consacra à la littérature : « Dolorida » (1823) Poème « Éloa ou la soeur des anges » (1824) Épopée en trois chants Commentaire Le poète n’envisage qu’une seule solution pour sauver l’humanité : la pitié et l’amour. L’épopée connut un grand succès. En 1824, Vigny quitta l’armée et ses rêves de gloire, épousa Lydia Bunbury, fille d’un mutimillionnaire anglais fort avare et irascible, fréquenta les milieux littéraires, dont le Cénacle, ou il se lia ?
Victor Hugo, et réunit ses poèmes sous le titre « Poèmes antiques et modernes » (1826) Recueil de poèmes OF Vigny entreprit une épopée de la désillusion à travers une série d’oeuvres : « Cinq-Mars » Roman de 500 pages Cinq-Mars était un jeune et bel aristocrate que Richelieu plaça auprès de Louis XIII pour qu’il l’observe. Il devint son favori, mais conspira contre le cardinal avec Gaston d’Orléans et d’autres mécontens qui s’allièrent aux Espagnols. Arrêté, il fut condamné à mort et, à l’âge de vingt-deux ans, décapité avec son complice, de Thou, cependant que Gaston d’Orléans parvenait à rentrer en râces.
Trois mois plus tard, le cardinal mourut. Ce roman historique prenait le contrepied de ceux de Walter Scott qui était justement passé à Paris cette année-là : Je pensais que les romans historiques de Walter Scott étaient trop faciles à faire, en ce que l’action était placée dans des personnages inventés que l’on fait agir comme l’on veut tandis qu’il passe, de loin en loin, à l’horizon, une grande figure historique dont la présence accroît l’importance du livre et lui donne une date.
Ces rois ne représentant ainsi qu’un chiffre, je cherchal à faire le contraire de ce travail et à renverser sa manière. Journal, mai 1837. ) Le contraire de ce travail : ainsi donc, au lieu de personnages inventés, le romancier recourrait, pour supporter l’action, à ces grandes figures histori ues que Scott laissait ? l’arrière-plan : Richelieu, L n d’Orléans, Cinq-Mars, PAGF Louis XIII, Gaston d’Orléans, Cinq-Mars, pour ce roman d’abord intitulé Une conjuration sous Louis XIII.
Il parait évident que non seulement l’Histoire, ou tout au moins la chronique, risquerait fort d’en souffrlr, mais plus encore le roman, dans la mesure où le romancier ne peut se sentir que gêné par l’opacité des igures historiques, par leur épaisseur et la résistance qu’elles ne manqueront pas d’opposer à sa tentative de les utiliser à ses propres fins. Pour arriver au résultat désiré, certaines manipulations étaient nécessaires.
Mais Vigny, qui céda à l’attrait de la scene à faire, à son goût du mélodramatique et de l’antithèse violente, ? la nécessité, parfois, de faire mieux ressortir un caractère, ne semble pas s’être rendu compte de toutes les retouches qu’il apportait à la chronique des faits. Ce qui fait l’originalité de ce livre, écrit-il le 9 décembre 1837, c’est que tout y a l’air oman et que tout y est Histoire…
Mais les exemples d’erreurs chronologiques sont nombreux : – Le jeune homme est censé, alors qu’il se rend à la Cour, assister au procès d’Urbain Grandier, à sa condamnation et à son supplice lors de l’affaire dite des possédées de Loudun. Mais ces événements datent de 1634. Cinq-Mars avait donc quatorze ans et n’était pas encore au service du roi. Mais Vigny avait besoin de cette scène haute en atrocité pour motiver la haine ultérieure de son héros pour le cardinal-ministre.
Les premiers chapitres du roman font partie d’un plaidoyer que l’écrivain a mené avec utant de conviction, sinon avec autant de force, que Victor Hugo : le plaidoyer contre la peine de mort et de m sinon avec autant de force, que Victor Hugo : le plaidoyer contre la peine de mort et de manière plus générale contre les formes barbares de la justice criminelle. – Marie de Gonzague était née en 1612. Elle avait donc trente ans à la mort de Cinq-Mars et n’avait rien de l’héroine pure et idéale qu’en a fait le romancier. our les mêmes raisons qui poussent Racine à rajeunir Bérénice, Alfred de Vigny lui donne le même âge que Cinq-Mars. L’idylle s’accommoderait mal d’une trop vieille maitresse ! La mère de Louis XIII, Marie de Médicis, mourut en exil en 1 642, et non pas en 1640, comme le prétend le romancier, qui se sert de cette mort comme d’un ressort pour faire rebondir le dissentiment du rol contre le cardinal. – Le Père Joseph disparut en 1 638, bien avant le complot. – Laubardemont, qui, dans le roman, colore l’écume d’un sang noir, tourne deux fois en criant et s’engloutit, vécut jusqu’en 1653. En 1642, Molière avait vingt ans, et il est invraisemblable qu’il rêvât déjà des Précieuses ridicules, composées quinze ou seize ans plus tard. Le jeune officier du chapitre XX, René Descartes, avait de son ôté quarante-six ans, et il y avait beau temps qu’il n’était plus officier. – La Clélie, à laquelle il est fait allusion dans ce même chapitre XX, devait paraitre à partir de 1656. – Il est fort peu probable que Milton ait jamais fréquenté les salons parisiens, ni qu’il y ait rencontré les susnommés. Mais Alfred de Vigny a voulu écrire un roman et non pas un livre d’histoire.
Un roman historique, sans doute, mais un roman tout de même. II avait donc le droit de changer ce que bon lui sembl PAGF s OF historique, sans doute, mais un roman tout de même. Il avait donc le droit de changer ce que bon lui semblait, au même titre ue Corneille ou Racine se sont permis des libertés avec Pompée ou Titus. Ce droit, il le proclame bien haut dans sa préface, écrivant qu’il est loisible au romancier de faire céder parfois la réalité des faits à l’idée que chacun d’eux doit représenter aux yeux de la postérité.
Mais, rebutés par ce qui n’était après tout que des déformations de détail, certains lecteurs en ont pris prétexte pour jeter le discrédit sur le livre entier. J’ai peu de goût, il faut bien que je le confesse, pour ces atteintes si profondes à la vérité, et par conséquent à la moralité de l’Histoire, devait déclarer le comte Molé dans sa réponse violente au discours de réception de Vigny à l’Académie française (29 janvier 1846).
Il n’aurait pas pu le dire si l’écrivain sien était tenu au roman, dont on peut soutenir en effet qu’il renferme parfois plus de vérité que l’étude la plus érudite. Le roman est, de la part de Vigny, une confession, le testament d’une jeunesse, cette histoire d’une âme qu’il rêvait toujours d’écrire en 1847. II est lui-même ce jeune chevau-léger, d’environ dix-huit ans, avec le teint blanc et rose d’une jeune fille et l’air doux de son âge. C’est à lui de Thou crie : Je ne vous reconnais lus ! que vous étiez différent autrefois !
Je ne vous le cache pas, vous me semblez bien déchu : dans ces promenades de notre enfance, où la vie et surtout la mort de Socrate faisaient couler de nos yeux des larmes d’admiration et d’envie ; lorsque, nous élevant jusqu’à l’idéal de la yeux des larmes d’admiration et d’envie ; lorsque, nous élevant jusqu’à l’idéal de la plus haute vertu, nous désirions pour nous dans l’avenir ces malheurs illustres, ces infortunes sublimes qui font les grands hommes ; quand nous composions pour nous des occasions imaginaires de sacrifices et de dévouement ; si la oix d’un homme eût prononcé entre nous deux, tout à coup, le mot seul d’ambition, nous aurions cru toucher un serpent…
Son âme se révèle à nous, authentique, avec ses enthousiasmes et ses dégoûts : Cinq-Mars, toujours adossé au pilier derrière lequel il s’était placé d’abord, toujours enveloppe dans son manteau noir, dévorait des yeux tout ce qui se passait, ne perdait pas un mot de ce qu’on disait, et remplissait son cœur de fiel et d’amertume ; de violents désirs de meurtre et de vengeance, une envie indéterminée de frapper, le saisissaient malgré lui : c’est la remière impression que produise le mal sur l’âme d’un jeune homme ; plus tard, la tristesse remplace la colère ; plus tard, c’est l’indifférence et le mépris ; plus tard, encore, une admiration calculée pour les grands scélérats qui ont réussi ; mais c’est lorsque, des deux éléments de l’homme, la boue l’emporte sur l’âme. Dans cette interminable phrase de 1826, il y a comme le pressentiment de toute une existence, de toute une destinée, et, déjà, comme le refus hautain qui sera slnon le dernier mot, du moins l’une des notes dominantes des œuvres de la maturité?
Il it de ce jeune homme, qui fut exécuté à l’âge de vingt-deux ans : Heureux celui qui ne survit pas à sa jeunesse, à ses illusions, et qui emporte dans la tombe to 7 OF qui emporte dans la tombe tout son trésor. Le héros est également le premier de ces parias de la société auxquels Vigny se consacra dans son épopée de la désillusion : Stello, Servitude et grandeur militaires, Daphné. Il ne saurait être question de reprocher à Vigny d’avoir éclairé son sujet selon son optique particulière, une optique très particulière. Il ne prétend pas à l’impartialité : Certes, IHistoire ne saurait être impartiale. Dès qu’elle cesse d’être sèche chronique, elle devient jugement. Car je peux bien dire que Richelieu est mort en 1642, qu’il a conclu tel et tel traité en telle et telle année, etc.
Mais dès que j’entreprend d’apprécier sa politique, je me constitue en juge, je me vois amené à soupeser non seulement des faits, mais encore des intentions, à sonder les cœurs, à me confondre un peu avec Dieu le Père… Or, ce qui pis est, je suis le plus souvent juge et partie, car l’Histoire continue, je suis moi- même un moment de IHistoire, et, s’il s’agit par exemple de guerres de religions, je suis moi-même indifférent (mais vais- e alors comprendre des hommes qui ont accepté les pires souffrances ou commis les pires crimes au nom de leur foi? ), ou bien je suis protestant, ou bien je suis catholique. Je professe que la fin justifie les moyens, ou que certalnes fins Justifient certalns moyens, ou encore qu’on ne saurait transiger sur les principes.
Mais, à chaque fois, c’est un jugement différent que je m’en vais porter sur la politique de Richelieu, prince de l’Église allié des protestants allemands, allié du prote 8 OF la politique de Richelieu, prince de l’Église allié des protestants allemands, allié du protestantisme qui réprime avec la dernière ?nergie le mouvement de réforme en France. L ‘Histoire ne saurait être objective pour la bonne raison que je ne sus pas un objet et que les hommes dont je raconte l’histoire ne le sont pas plus que moi, mais bien des intentions, des libertés, des consciences, etc. Des êtres qui souffrent et qui combattent. Or le livre que je vais écrire, que je le veuille ou nan, plongé que je suis moi-même dans l’Histoire, va être à son tour un moment de cette Histoire. Il va être un acte, Il va apporter, comme on dit, de l’eau au moulin de ceux-ci ou de ceux-là.
Et cela, même si j’ai la prétention de ne pas rendre parti, car ne pas prendre parti dans un combat, c’est en fait prendre le parti des faits accomplis ! Vigny défend donc des idées : – Il célèbre la noblesse humiliée et abattue par Richelieu, affirme que la monarchie ne survit que dans la mesure où la noblesse est forte. Il fit de Cinq-Mars, aventurier médiocre, le symbole de la noblesse, c’est-à-dire d’une classe dont la Révolution française devait sonner le glas, après que Richelieu, puis Louis XIV l’eurent systématiquement abaissée au profit de la noblesse de robe et de la grande bourgeoisie. – Il oppose l’infamie des pouvoirs à la bonne foi, au bon sens et au oeur des simples (chapitre Il). – Il dénonce la collusion de l’Église avec les puissants (chapitre V). Il condamne le pouvoir absolu, le cardinal-ministre lui-même avouant, dans un moment de lucidité : C’est le pouvoir sans bornes qui rend la créature coupable e PAGF OF bornes qui rend la créature coupable envers la créature, à quoi répond le cri de Cinq-Mars : Il est temps enfin que l’on cesse de confondre le pouvoir avec le crime et d’appeler leur union génie. Il désirait personnifier dans Richelieu [‘ambition froide et obstinée luttant avec génie contre la royauté même dont elle emprunte on autorité (Journal, 1837). – En bon romantique, il oppose à l’ambition supposée ignoble l’amour, sentiment sacré qu’il met au-dessus même de ces vagues projets de perfectionnement des sociétés corrompues. – Il oppose le sage et véritable peuple de Paris à la dégoûtante cohue inondant soudain les quais de ses milliers d’individus infernaux. – Il éprouve méfiance et nostalgie. Méfiance devant un passé qui avait vu l’effondrement de sa classe.
Mais, en même temps, nostalgie de celui qui n’ose pas croire en l’avenir, de celui qui regrette la pureté et le désintéressement de sa jeunesse ; qui hoisit pour héros un homme mort à vingt-deux ans, avant d’avoir eu le temps de trop déchoir; qui ne parviendra jamais, dans ses essais de Mémoires, au-delà des années d’enfance et de jeunesse. Quand nous regrettons notre enfance, ce n’est pas tant la vie, les annees qul étaient devant nous, c’est notre noblesse que nous regrettons. Aussi est-ce presque avec joie que Cinq-Mars s’en va de la scène du monde, cependant que les dernières paroles de son ami de Thou sont : Partons en paradis. Car ce monde est sans doute inacceptable, mais il est vain d’en espérer ici-bas un meilleur. Le roman eut du succès.