Roman memoire
Le roman-mémoires Avant d’étudier l’insertion de dramaturges devenus personnages romanesques, celle de titres de pièces ainsi que les références intertextuelles présentes dans les romans de notre corpus, il convient de définir ce sous-genre romanesque qui émerge dans la seconde moitié du XVIIe siècle et qui connaît son heure de gloire au XVIIIe siècle, où il partage le devant de la scène avec le roman épistolaire.
On propose de revenir brièvement sur ses origines et sur les premiers grands romans-mémoires du XVIIIe siècle afin d’en dégager les principales caractéris Rappelons d’abord q OF la première personn u p g singulier dont le pers présente comme des esque est un récit ? s mémoires qu’il véritables. Ces mémorialistes fictifs entreprennent le récit de leur vie après s’être retirés du monde, « situation qui rend l’esprit sérieux et philosophique! ?, comme l’écrit l’éditeur de La Vie de Marianne, et qui «inspire un esprit de rétIexion2 Ces personnages posent un regard rétrospectif sur leurs premières années qu’ils veulent présenter ? la lumière des connaissances et de l’expérience acquises. Il s’agit d’un roman de l’introspection qui place le Moi au cœur de ‘analyse morale: celui-ci fait l’objet d’une véritable dissection afin de révéler les ressorts cachés qui ont déterminé discours et actions passés.
Mais le roman- mémoires est aussi u un roman de l’intériorité où le Moi éprouve un plaisir manifeste à se raconter, ? se mettre en scène et ? exprimer ses sentiments les plus intimes. Il trouve donc naturellement sa place dans une étude du roman à la première personne dont René Démoris a retracé l’histoire depuis ses origines dans le récit picaresque espagnol jusqu’à son apogée avec Marivaux et prévost• 1. De son origine à son épanouissement
René Démoris souligne l’importance du roman picaresque espagnol qui fut le premier ? utiliser la première personne, bien qu’il n’ait pas donné naissance au roman picaresque français 1 L’héritage du modèle espagnol est plutôt à voir dans Francion (1633) de Charles sorel. Mais, pour intéressante que soit cette filiation, elle ne concerne pas directement les romans-mémoires de notre corpus, bien que certains relèvent en partie du picaresque, comme l’ont montré plusieurs critiques qui ont vu son influence sur Manon Lescaut et sur Le Paysan parvenu.
On peut se demander alors ce qu’il en est de l’influence des mémoires istoriques. Lorsque R. Démoris aborde ce genre à l’époque classique (1660-1680), il le différencie de l’histoire3 et du roman. À la période suivante (1680-1728), on voit apparaître une «espèce romanesque nouvelle », les pseudos-mémolres, dont Courtilz de Sandras est l’inventeur avec ses Mémoires de L. C. D. R. (1687).
Ce nouveau genre relance la critique de l’époque qui lui reproche soit d’être nuisible en mêlant la vérité et la fiction, soit de manquer d’invention quand il acc 20F 13 soit d’être nuisible en accorde trop d’importance aux faits historiques. Mémoires et pseudo-mémoires constituent le erreau dans lequel s’enracine le roman-mémoires, où il s’agit également de raconter, à la première personne, des événements passés survenus à une époque précise, mais où l’on quitte la sphère publique pour la sphère privée.
Des Grieux, Comminge, ou encore Faublas, tout occupés qu’ils sont à leurs amours, ne prétendent aucunement jouer un rôle historique. Il reste que la mode des mémoires, authentiques ou non, a favorisé l’éclosion de ce sous-genre qu’est le roman mémoires, le mot «mémoires» piquant la curiosité du public. C’est Mme de Villedieu qui ouvre la voie à cette forme romanesque vec les Mémoires de la Vie dHenriette Sylvie de Molière (1 671 et 1674) qui inspira peut-être le thème de l’enfant trouvé dans La Vie de Marianne.
Mais ce sont Marivaux et Prévost qui donnent au roman-mémoires ses lettres de noblesse dans la première moitié du XVIIIe siècle. Ces derniers héritent de l’évolution du genre romanesque, amorcée à la fm du XVIIe siècle, et l’exploitent différemment. Les héros de La Vie de Marianne et du Paysan parvenu sont des figures similaires dans la mesure où elles incarnent l’une et l’autre un lien direct avec la nature: Marianne est une enfant trouvée et Jacob, n paysan originaire de Champagne.
Leur pauvreté constitue paradoxalement la voie daccès à la réussite sociale! par la prédominance qu’il 30F 13 pauvreté constitue paradoxalement la voie d’accès à la réussite sociale! par la prédominance qu’ils accordent tout au long de leurs aventures au sentiment plutôt qu’à la raison. Mais la nature de ces deux personnages est plus complexe qu’il n’y parait au premier abord: elle est non seulement paradoxale (l’indigence conduit au succès), mais elle est aussi ambiguë lorsque le lecteur ignore si c’est leur sentiment ou leur raison qui les guide.
Leur aractère est à la frontière de la spontanéité, du naturel et du calcul plus ou moins consciene. En effet, à plusieurs reprises, le héros cherche à correspondre à l’image que les autres ont de lui, si bien qu’on assiste à « une comédie à peu près consciente3 » du personnage qui sait ce qui plaît aux autres (vertu chez Marianne, franchise et naturel chez Jacob). Cependant, il est possible aussi que « Marianne et Jacob ne soient rien d’autre que l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes4 » et qu’ils se plaisent à construire par le récit rétrospectif à la première personne.
On peut alors concevoir que ? le projet du narrateur n’est pas tant de justifier un épisode lointain de son existence que de donner à ce propos une image actuelle de son esprit». Le roman de Prévost, l’Histoire du Chevalier des Crieux et de Manon Lescaut, constitue le septième tome des Mémoires et aventures d’un homme de qualité et se présente comme une œuvre à part entière. Le narrateur des Mémoires et aventures, Renoncour, se charge de rapporter l’histoire que des Grieux lui a faite de ses malheurs 4 3 aventures, Renoncour, se charge de rapporter l’histoire que des Grieux lui a faite de ses malheurs. R.
Démoris met en évidence la dimension tragique du récit construit autour de la représentation de l’ethos tragique du narrateur: « [o]n sait quel abus, en toutes occasions, le narrateur (en tant que tel ou comme personnage agissant) fait du langage racinien ; on sait aussi de quelle manière douteuse il préserve l’innocence essentielle au héros tragique, en rejetant sur les autres, la responsabilité de ses propres actions 1 Cette interprétation tragique du chevalier repose sur le thème de l’infidélité «engendrant le fameux mystère de Manon, que l’on envisage suivant les cas, comme xemplaire du mystère féminin ou de celui de la nature en générae Dans cette perspective, il rappelle le dénouement de sa dernière aventure à la Nouvelle-orléans où la « mort de Manon – morte par fidélité – confirme la légitimité de l’optique tragique dans le reste de l’œuvres » Toutefois, cette dimension tragique doit être nuancée au regard des scènes de comédie que l’on évoquera ultérieurement.
Le long récit de des Grieux est loin d’être innocent: il s’adresse à un auditeur bienveillant (Renoncour a également souffert de la passion amoureuse) dont il espère usciter la compassion. Son histoire s’inscrit également dans un projet moral plus large où le personnage de Renoncour joue le rôle dun mentor auprès du marqu•s de Rosemont : il lui enseigne des principes de sagesse afin de l’éloigner des penchants 3 de Rosemont : il lui enseigne des principes de sagesse afin de l’éloigner des penchants du cœur, mais ces principes n’empêcheront pas l’issue tragique des Mémoires et aventures. Il semble donc que les conseils d’un ami (Tiberge pour des Crieux) ou ceux d’un Mentor (Renoncour pour Rosemont), les principes de vérité et les maximes soient nutiles et que seuls les faits soient vraiment instructifs.
Que ce soit les romans de Marivaux ou ceux de Prévost, ces œuvres exerceront une influence considérable sur la littérature du XVIIIe siècle, comme en témoignent les nombreuses rééditions , les traductions, les suites, les imitations, ou encore les adaptations théâtrales. On connaît par exemple l’influence que La Vie de Marianne a eue sur les œuvres de Mme de Tencin!. Annie Rivara a d’ailleurs consacré un ouvrage qui atteste du succès du roman de Marivaux. De son côté, Servais Étienne a relevé « les œuvres où se lit le mieux ‘influence de Prévost; de 1745 à 1755, il n’en cite guère que six, alors que dans les dix années suivantes, il n’en trouve pas moins de dix-huit, et la progression ne fait que s’affirmer jusqu’? la fin du siècle3 Enfin, selon Jean Sgard, c’est après 1760 que 1 influence [de Prévost] va trouver toute son étendue4 2.
Ses caractéristiques Comme l’écrit Jean Rousset, « la première personne ne suffit pas à défmir le romanmémoires, car il la partage avec le roman-journal intime, dont la formule sera tardive, et avec le roman par lettres, qui se diffuse au même moment ; il Y fa 3 dont la formule sera tardive, et avec le roman par lettres, qui se diffuse au même moment ; il Y faut un second trait: la perspective temporelle: le narrateur regarde son histoire de loin, il en connaît l’issue, il ne se saisit que rétrospectivement5 Ainsi il défmit le roman-mémoires d’abord comme un roman rétrospectif ou un « roman du passé » ; puis, comme un récit qui présente les événements suivant un ordre chrono logique ; enfin, comme un roman « trompeur» où un je conteur présent observe un il acteur passé.
Cette dernière caractéristique est un point essentiel ans le roman-mémoires: le narrateur se raconte, non pas tel qu’il a été, mais tel qu’il « s’est vu vivre9 » ou tel qu’il veut se montrer à son destinataire et à son lecteur. Le roman-mémoires oppose le narrateur du présent et le héros du passé et l’unité narcissique du récit repose sur cette dualité entre un je présent qu raconte l’histoire d’un je passé. Toujours selon Jean Rousset, l’emblème de ce statut narratif «pourrait être l’aveu qui ouvre le Bavard de des Forets: « Je me regarde souvent dans le miroir » I Dans cette perspective, le parallèle avec la notion ‘autoportrait est incontournable.
Jean Rousset aborde cette notion en évoquant l’autoportrait pictural tel que l’ont pratiqué Poussin et Bernin dont les tableaux montrent que « la meilleure image qu’un artiste puisse donner de lui-même n’est pas toujours celle qu’il contemple dans son miroir». En effet, le peintre « se raconte dans le spectacle qu’il met en sc contemple dans son miroir». En effet, le peintre « se raconte dans le spectacle qu’il met en scène3 Dans ce contexte, que ce soit l’autoportrait pictural ou l’autoportrait littéraire qui se développe dans la seconde moitié du XVIIe siècle, on oit se poser la question de l’objectivité lorsqu’il s’agit de peindre sa propre image.
Les moralistes et les romanciers du XVIIe siècle semblent partagés, entre ceux qui pensent, comme Mlle de Scudéry, que l’homme est incapable de rendre une exacte représentation de lui-même (incapable de se voir tel qu’il est, il ne peut que se montrer tel qu’il s’imagine être) et ceux, comme Montaigne et La Rochefoucauld, qui accordent un «pouvoir réel d’introspection » ? l’homme capable de s’étudier pour mieux se connaitre. Jean Rousset rappelle néanmoins les limites de ce pouvoir introspectif : «où est en ce cas le miroir, arant d’objectivité, si ce n’est dans l’esprit même de celui qui se regarde ? 7 « Malgré la bonne volonté qu’il peut employer pour se peindre tel qu’il est, l’homme reste inéluctablement assujetti au «miroir déformants » de l’amour-propre.
L’introspection se révèle impossible, car l’amour- propre « figure au premier plan de toute description de la comédie intime que l’homme se joue ? lui-même9 » ; il «altère, il déguise, il dissimule ce qui ne lui est pas avantageux et l’autoportrait se révèle infailliblement mensonger IO Ces remarques sur l’autoportrait permettent de saisir l’essence même du roman mémoires fondé sur la eprésentation e B3 l’autoportrait permettent de saisir l’essence même du roman mémoires fondé sur la représentation et la mise en scène de soi. Dans La Vie de Marianne , le choix de la narratrice est important, parce que la «symbolique » du personnage est une des clefs de lecture du roman.
Marianne est l’emblème de la coquette par excellence qui se complaît dans les regards d’autrui, comparables à ce titre à autant de miroirs vivants lui renvoyant une image flatteuse d’elle-même. À ce sujet, Jean Rousset note que « la narration autobiographique [ ] représente la variante littéraire u miroir et la mise en scène romanesque de l’amour-propre incarné dans le personnage narrateur, occupé d’un bout à l’autre du livre à se considérer pour se montrer toujours au centre de l’histoire qu’il reconstruie L’Hist01re du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, quant ? elle, est le fait dl « une plume conduite par narrateur et le héros passionné ne formant qu’un seul et même personnage.
L’un amant malheureux« ne voit le monde qu’ en perspective, tel que le découpe son angle visuel, la vérité de son dire [est] fragmentaire et douteuse4 mais paradoxalement, « c’est [sa] vérité subjective qui fait ‘intérêt principal de la narrations La narration à la première personne offre donc de nombreuses possibilités que les romanciers du XVIIIe siècle, Marivaux et Prévost, les premiers, ont su exploiter selon ce que chacun voulait montrer: le premier, la capacité de l’homme ? analyser les motivation voulait montrer: le premier, la capacité de l’homme à analyser les motivations secrètes ? l’origine de ses actions et de ses discours à une époque où il ne pouvait pas les démêler ; le second, l’incapacité de l’homme à comprendre les ressorts cachés de ses mouvements et à lutter contre les passions. On connaît l’ emploi que fera Crébillon fils de ce regard introspectif dans ses Égarements du cœur et de I ‘esprit. Outre ces caractéristiques, ce sous-genre romanesque repose sur un certain nombre de topai qui entrent au service d’ « une mise en scène dissimulée! ». Afin de rendre la fiction plus vraisemblable, certains romans-mémoires sont présentés comme des ouvrages posthumes et reprennent le topos du manuscrit . La forme des mémoires constitue un gage d’authenticité et de vraisemblance.
Aussi l’éditrice de La Vie de Marianne annonce-t-elle : « Ce qui est de vra- c’est que si c’était une istoire simplement imaginée, il y a toute apparence qu’elle n’aurait pas la forme qu’elle a5 Habités par ce souci d’authenticité et de vraisemblance, les narrateurs de ces romansmémoires prétendent écrire soit pour eux-mêmes, soit pour un ami ou un parent, soit encore pour « ceux qui débutent dans le monde 6 Leur confession se propose alors de remplir une fonction de divertissement, une fonction morale, ou encore une fonction thérapeutique. Ainsi Marianne écrit ses aventures à la demande d’une amie l, Jacob cherche à se distraire, Faublas rédige ses mémoires à des fms curatives3 et Comminge y voit 0 3