roman et personnages
Chapitre Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde Le mot « roman » est apparu au XIIe siècle. Il a alors deux significations : il peut désigner la langue parlée dans le nord de la France ou bien un récit en vers français (comme les romans de la Table ronde). Le roman ne renvoie à des textes en prose qu’? partir du XIVe siècle. Mais il a déjà son sens moderne, tel que le définit Le Petit Robert : « œuvre d’imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, nous fait connaitre leur psychologie, leur estin, leurs aventures. ? 1 L’histoire des pers A. Le XVIIe siècle : de 1. les héros raffinés Les romans héroi@u orss u roman udéry (1607-1701 ) sont écrits dans un esprit epique : les personnages sont marqués par le modèle des héros antiques d’Homère ou de Virgile, ou par des modèles italiens comme ceux de L’Arioste ou du Tasse. Clélie est un roman à clés qui transpose les mœurs antiques, et qui contient la fameuse « carte du tendre Dans la même veine précieuse, on trouve aussi des romans pastoraux : L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1567-1701) est celui qui a onnu à l’époque le plus grand succès.
Les personnages, Astrée et Céladon, y illustrent un idéalisme éthéré : leurs amours illustrent le goût de la préciosité pour l’analyse des sentiments. 2. Les hé héros joyeux des romans comiques. A l’opposé des héros « parfaits » des romans précieux, on trouve les personnages réalistes des romans comiques, dont les aventures sont parfois sordides. C’est le cas dans L’histoire comique de Francion, (1623) de Charles Sorel. On peut y déceler l’influence du roman picaresque espagnol qui est en vogue au début du siècle.
Le picaro est un personnage d’aventurier errant, un gueux généralement sans foi ni loi, dont l’histoire ? rebondissements connait de multiples péripéties : il est en quête d’un statut social. En marge de ce mouvement, le Don Quichotte de Cervantès, traduit en 1614, a connu un énorme succès. Le Roman comique de Scarron (1610-1660) est une « épopée burlesque ». On peut voir dans cette écriture parodique la critique implicite du genre des romans précieux, qui se voulaient épiques, même si les romans comiques, moins nobles, plus populaires, s’adressent à des lecteurs différents.
Ces romans-fleuves (aussi bien les romans précieux que les romans comiques) ont des intrigues souvent enchâssées et entremêlées, typiques du baroque. 3. Les héros parfa ts du roman classique. Le chef d’œuvre du roman classique est la Princesse de Clèves de madame de la Fayette (1678). A l’opposé des romans baroques, l’intrigue y est dépouillée, et vraisemblable, réduite à une seule ligne narrative : il y a une unité d’action qu’on ne trouvait pas jusque là dans le roman.
Les portraits du Duc de Nemours et de mademoiselle de Chartres sont à la mesure de la magnificence de la Cour. Tous les traits du 3 de mademoiselle de Chartres sont à la mesure de la magnificence de la Cour. Tous les traits du personnage contribuent à refléter les traits idéaux d’une personne attachée à la cour prestigieuse de Henri Il : « Ce prince était un chef-d’œuvre de la nature ; ce qu’il avait de moins admirable, c’était détre l’homme du monde le mieux fait et le plus beau.
Ce qui le mettait au-dessus des autres était une valeur incomparable, et un agrément dans son esprit, dans son image et dans ses actions que l’on n’a jamais vu qu’à lui seul. » (La princesse de Clèves, Madame de la Fayette) Cependant, à l’époque classique, les romans connaissent surtout des détracteurs : les prédicateurs de l’époque leur reprochent leur invralsemblance et leur nocivlté : ils dlvertiraient de façon malsaine les esprits, et encourageraient les passions. un janséniste comme Pierre Nicole qualifie l’auteur de romans d’ « empoisonneur public ».
A la fin du siècle, le genre romanesque n’est plus à la mode : Boileau lui-même le critique sévèrement. Le roman est un genre trop hétéroclite, sa moralité est souvent douteuse, et cela ne plaît guère aux partisans de l’ordre classique. B. Le XVIIIe siècle : la naissance du héros de roman moderne l. Le personnage entreprenant de la veine réaliste. L’influence du picaresque espagnol se fait encore sentir dans Gil Blas de Sentillane de Lesage (1735), puisque le héros part sur les chemins à la recherche de la réussite, et connaît de multiples aventures.
Dans les romans de Marivaux, Le paysan parvenu (1735) et ca vie de Marianne (l 53 multiples aventures. Dans les romans de Marivaux, Le paysan parvenu (1735) et La vie de Marianne (1741 c’est à la fois l’analyse fine des sentiments et des comportements qui est ntéressante, et la façon dont le personnage arrive à faire sa place dans la société. Ainsi, Marianne est une jeune fille intelligente et jolie, mais orpheline : elle doit affronter des obstacles pour trouver un statut social respectable, et elle fait face courageusement à un échec amoureux.
Le monde autour d’elle n’est pas parfait : le pieux vieillard qui la soutient veut abuser d’elle, le charmant fiancé tombe amoureux d’une autre, et Marianne elle-même fait quelques compromis avec la morale… 2. Le personnage hédoniste du roman libertin. Les égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon-fils est e premier des romans libertins (1736) : il retrace l’initiation sentimentale et les aventures successives d’un jeune homme, Meilcour. Le thème de l’initiation amoureuse est d’ailleurs un passage souvent obligé de ce courant romanesque, qui va de Vivant Denon (Point de lendemain), à Sade en passant par Restif de la Bretonne.
Les liaisons dangereuses de Chaderlos de Laclos, roman épistolaire polyphonique, (1782) représente le plus grand chef d’œuvre des romans de cette veine. Le mot « libertin » vient du latln « libertinus qul signifle « affranchi ». Il a désigné d’abord les « esprits forts », les libres penseurs, qui rejettent les préceptes de l’Eglise, puis la morale dominante (liée à la religion). Il s’agit donc d’une attitude philosophique indépendan 3 morale dominante (liée à la religion). Il s’agit donc d’une attitude philosophique indépendante, en rupture avec le modèle en cours.
Mais le libertinage concerne aussi les mœurs et désigne celui dont la sexualité libérée et inconstante n’est pas liée forcément ? des sentiments amoureux, mais au désir. 3. Le personnage philosophe du roman des Lumières. Les Lettres persanes de Montesquieu (1721) consignent la correspondance fictive de deux Persans, Usbeck et Rica, qui effectuent un voyage en France et partagent leurs impressions de voyage. La découverte d’une société radicalement différente de la leur les fait aller de surprise en surprise : le roman devient une satire des mœurs, car nos coutumes, aux yeux de deux étrangers, semblent souvent absurdes.
Montesquieu met ainsl en valeur les travers de la vie parisienne : « Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent ncore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode (Lettre XCIX, Les Lettres persanes, Montesquieu) Jacques le fataliste et son maître de Denis Diderot (1773) est une autre œuvre représentative des Lumières : le texte a une portée sociale, morale, et philosophique.
Mais il peut être aussi qualifié d’ « anti-roman Le dialogue entre Jacques, le valet, et son maître est constamment interrompu par des digressions, par des interventions du narrateur, des récits secondaires racontés par d’autres p PAGF s 3 es digressions, par des interventions du narrateur, des récits secondaires racontés par d’autres personnages. L’auteur « casse » les conventions romanesques, en apostrophant le lecteur, en dénonçant les artifices de la fiction, qu’il remet en cause. « Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde.
Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? » (Incipit de Jacques le Fataliste) 4. Le personnage sensible du courant pré-romantique une nouvelle sensibilité apparait dans la seconde moitié du iècle avec l’influence des romans réalistes anglais et La Nouvelle HéloiSe de Jean-Jacques Rousseau (1761). Ce roman épistolaire raconte l’amour impossible entre la jeune Julie et son précepteur Saint Preux : leurs différences sociales empêchent leur union.
La passion et la vertu des deux héros sont au cœur de l’intrigue. Les élans du cœur des personnages s’expriment avec un lyrisme spontané et une sensibilité exacerbée. B. Le XIXe siècle : le triomphe du roman et de ses personnages 1. L’idéalisation du personnage romantique Victor Hugo (1802-1885), à travers ses romans, en revient ? ne conception épique du roman : l’auteur est une sorte de conscience des peuples, qui doit accentuer, dramatiser les événements, pour leur donner un sens symbolique, en procédant par scènes et tableaux.
Dans Les Misérables, Hugo élève jusqu’au mythe le personnage du forçat Jean Valjean, et deux enfants, Cosette, image de l’innocence persécutée, 6 3 Cosette, image de l’innocence persécutée, et Gavroche, emblème du courage et de la liberté. Celui-ci meurt sur les barricades et Hugo lui rend hommage à travers un oxymore célèbre : « Cette petite grande âme venait de s’envoler 2. La modernité du personnage réaliste On a donné à Balzac (1799-1850) le titre de « père du roman moderne. » Le projet titanesque de la Comédie humaine est inspiré de l’Histoire naturelle de Buffon.
Puisque la société ressemble à la nature, il veut établir une « comparaison entre l’Humanité et l’AnimaIité Les personnages sont donc présentés comme autant de « types humains Mais son projet a aussi un aspect polltique ; il met en valeur dans son œuvre les principes auxquels il tient : l’éducation, la religion catholique, la monarchie sont présentés comme les fondements de la vie sociale. La série des « Etudes de mœurs dans laquelle on trouve Eugénie Grandet (1833) a pour but de décrire les types humains dans leur environnement social (la vie privée, politique, militaire, parisienne… L’ idéal romanesque de Flaubert tend à la représentation fidèle de la vie. Son effort d’objectivité est perceptible dans ses romans. parfois, les personnages disparaissent même derrière les objets qui les entourent et dont ils ne semblent être qu’un prolongement : comme dans la longue description de la casquette de Charles Bovary, au début du livre, mais aussi dans la élèbre scène de la calèche où Emma s’offre à Léon, son amant. Les faits ne sont pas 7 3 dans la célèbre scène de la calèche où Emma s’offre à Léon, son amant.
Les faits ne sont pas décrits, mais on lit le scandale dans le regard des passants, qui voient « une voiture à stores tendus et qui apparaissait ainsi continuellement, plus close qu’un tombeau et ballottée comme un navire (Emma Bovary) Flaubert met en avant l’importance du style, et chez lui, l’esthétique, la quête du beau est essentielle. 3. Le personnage expérimental du roman naturaliste Zola veut analyser dans ses romans Vinteraction entre ‘individu et son milieu.
Il s’agit pour lui de présenter à travers ses personnages certalnes données généralisables, tout en empruntant directement à la réalité la matière de ses livres. pour le chef de file des naturalistes, le roman est un véritable « document humain » scientifique. Zola s’est d’ailleurs beaucoup inspiré des doctrines de Claude Bernard en matière de médecine expérimentale. L’imagination qui était autrefois célébrée comme une qualité chez un romancier, est, selon Zola, devenue un défaut, le sens du réel devenant la qualité première des auteurs.
Il fait l’éloge de la description parce qu’elle permet de dresser « un état du milieu qui détermine et complète l’homme « Montrer le milieu peuple et expliquer par ce milieu les mœurs peuple ; comme quoi à paris, la soûlerie, la débandade de la famille, les coups, l’acceptation de toutes les hontes et de toutes les misères vient des conditions mêmes de l’existence ouvrière, des travaux durs, des laisser-aller, etc. » (Zola, préface de l’Assommoir) 8 3 l’existence ouvrière, des travaux durs, des laisser-aller, etc. ? (Zola, préface de PAssommoir) C. Le XXe siècle : la crise du personnage 1. Le retour au personnage fort des années 1930 On a pu constater un « éparpillement » du personnage dans les années 1920, avec des romanciers comme Marcel Proust, Virginia Woolf ou James Joyce qui mettent l’accent sur la multiplicité des sensations. Avec eux, le roman suit les tortueuses subtilités de la conscience fluide et complexe de l’individu.
Dans les années 1930, on observe un retour à un personnage fort, avec des auteurs comme Bernanos, Malraux. Hemingway. Leurs héros sont très impliqués dans le monde, engagés, et leur personnalité est rès typée, clairement délimitée. Ils s’éloignent d’une littérature centrée sur l’analyse psychologique, pour s’intéresser au destin de personnages aux prises avec l’histoire, qui cherchent à donner un sens à leur vie.
Dans La Condition humaine de Malraux, l’idéal de Kyo, le héros révolutionnaire, est clair : « Sa vie avait un sens : donner à chacun de ces hommes que la famine faisait mourir comme une peste lente la possession de sa propre dignité 2. La remise en question du personnage dans le Nouveau Roman Les années 1950 proclament la mort du personnage : selon Robbe-Grillet dans Pour une théorie du roman, le personnage fait partie des « notions périmées pour le même auteur, c’en est fini de la conception traditionnelle du roman, vu comme « l’analyse d’une passion ».
C’est selon Nathalie Sarraute, parce que le roman est entré dans « Père PAGF g 3 que le roman est entré dans « Fère du soupçon » ; le lecteur n’a plus confiance dans le romancier, et n’accepte plus les normes du « vraisemblable « Aussi voit-on le personnage de roman privé de ce double soutien, la foi en lui du romancier et du lecteur, qui le faisait tenir ebout, solidement d’aplomb, portant sur ses larges épaules tout le poids de l’histoire, vaciller et se défaire (Nathalie Sarraute, L’ère du soupçon, 1956) Nathalie Sarraute cherche à rendre ses romans « grouillants de vie » ; elle nous fait plonger dans une conscience anonyme pour saisir le foisonnement des sensations. Elle mêle récit, dialogue et « drames mlnuscules » qui se jouent à la limite de la conscience. personnage dépouillé de toutes ses prérogatives, de son caractère, réduit à n’être qu’un trompe l’œil, une survivance, un support de hasard. Ce personnage est souvent confondu dans n groupe que désignent de simples pronoms pluriels » (Nathalie Sarraute, Nouveau roman, hier, aujourd’hui, 1972) 2. Comment analyser le roman et ses personnages ? A. Le personnage et les points de vue : la focalisation pour raconter une histoire, on doit choisir un point de vue : le romancier décide qui perçoit les événements rapportés. Le mot « focalisation » est issu du vocabulaire photographique : c’est le foyer à partir duquel une photo est prise. 1. Le point de vue externe L’auteur s’efface ; on ignore les pensées des personnages, le compte rendu des actions est fait de f