Proust
MARCEL PROUST (1871-1922) Le XXe siècle se caractérise par une grande diversité de directions et d’expériences littéraires. Leur caractéristique commune consiste dans le fait qu’elles se proposent toutes de se différencier des expériences et des courants du siècle précédent.
Cette diférenciation s’opère soit sur le plan du contenu, soit sur celui de la forme et même sur les deux plans à la fois. Sur le plan du contenu, le XXe siècle inaugure un nouveau type de réflexion sur la réalité d’où les valeurs traditionnelles (la vérité, le bien, le beau) sont exclues; cela parce que notre siècle ébute sous le signe du refus de la pensée méthaphysique et théologique.
Ce changement avait été annoncé par la célèbre phrase de Nietzsche: repère ultime des val esthétiques de mani deviennent suscepti construction artistiqu org sence de la divinité, rarchies y compris s de la réalité ant que matériel de Quant au plan de la forme, on y refuse la structure du roman traditionel (surtout celle du roman balzacien qui se caractérise par une narration linéaire). Cette narration linéaire était la conséquence sur le plan formel de la conception déterministe conformément à laquelle les événements du monde réel ormeraient des couples cause-effet.
L’oeuvre qui marquera une plaque tournante dans le devenir de la littérature de notre siècl Swipe to View next page siècle sera le cycle romanesque de Marcel Proust, intitulé A la recherche du temps perdu, qu’il a achevé l’année même de sa mort et qui comprend les volumes suivants: Du côté de chez, Swann, A l’ombre des jeunnes filles en fleur, Le côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Alhertine disparue (La Fugitive), Le Temps retrouvé. À première vue, l’oeuvre proustienne semblerait être un texte ? caractère autobiographique – le personnage narrateur s’appelle
Marcel tout comme l’écrivain. II raconte sa vie, décrit les milieux et les personnages qu’il fréquente et surtout il insiste sur son rêve de devenir écrivain. Après avoir évoqué toute cette multitude d’expériences de vie, le narrateur annonce qu’il va écrire un livre et c’est juste à ce moment-là que le roman clot; mais il clot tout en s’ouvrant sur son début car on se rend assez facilement compte que le roman annoncé est juste celui qu’on vient de lire.
Néanmoins, A la recherche du temps perdu est loin d’être un simple roman autobiographique car trois principes ondamentaux président à la nouvelle formule romanesque proposée par M. Proust. Tout d’abord le moi créateur et le moj biographique ne sont pas identiques: « un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices ». Cette idée déjà ébauchée par Baudelaire et défendue par Rimbaud est l’indice du caractére „faussement autobiographique de son oeuvre. Marcel, le narrateur et Marcel Proust, l’homme, sont des entités autobiographique de son oeuvre.
Marcel, le narrateur et Marcel Proust, l’homme, sont des entités situées dans des plans différents. Le deuxième principe est celui de la non-linéarité de la narration et, par cela même, le roman proustien s’oppose par sa structure à celle du roman balzacien. Il a porté, comme le dit Irina Mavrodin ‘ile coup de grâce à la composition linéaire réglée par le temps chronologique et, par là même, au personnage traditionel, au «type», au «caractère», solidement construit confonrmément aux lois du déterminisme le plus rigoureux ».
Si le roman balzacien débutait par une perspective panoramique sur le milieu pour aboutir au personnage et finalement ? l’action en tant qu’illustration de son caractère, le roman e Marcel Proust réfute complètement ce point de vue déterministe en faveur du relativisme, phénoménologique où le temps chrnologique est remplacé par le temps subjectif et le déterminisme par le hasard associatif de la mémoire involontaire.
Ainsi, ce qu’en résultera sera une architecture romanesque formée de retours répétés vers le passé du narrateur provoqués par certains moments privilégiés autour desquels s’organise la récupération du passé par le souvenir. Cependant, on pourrait affirmer que le cycle proustien garde encore certains traits qul le rapproche du roman balzacien car on eut le lire aussi comme une sorte de « comédie »sociale.
En plus, nous sommes en présence d’un roman-quête_dont le personnage narrateur essaie de déchiffrer le monde en traversant quatre roman-quête_dont le personnage narrateur essaie de déchiffrer le monde en traversant quatre séries de signes, selon l’un de ses exégètes, Gilles Deleuze: les signes de la vie mondaine, de l’amour, des qualités sensibles, artistlques. Ces séries de signes offrent au narrateur-lecteur une perspective de plus en plus large qui finalement lui permettra d’écrire quant il aura abouti à la compréhension de leur fonctionnement.
En fin, le troisième principe construetif qiu préside à la structuration de la naration déjà fait allusion est la mémoire involontaire. On a interpreté gèneralement la mémoire involontaire comme une ouverture vers les zones profondes du psychisme à la différence de la mémoire volontaire qui restitue un passé encore vivant au niveau de la conscience – voir à ce propos Anatole France – Le livre de mon ami, M. Pagnol – Souvenirs d’enfance.
Même en tant que moyen de connaissance, le phénomène avait été observé par des écrivains plus anciens que Proust ce qu’il n’a pas ignoré. Il en a parlé même, à propos de Chateaubriand, de Nerval et de Baudelaire. Quant à Chateaubriand il a même cité un passage révélateur des Mémoires d’Outre-Tombe. Proust n’a pas été donc le premier écrivain à avoir fait de la mémoire involontaire et affective un instrument littéraire.
Le fait nouveau a été, chez lui, la fonctionnalité qu’il a accordée à cet instrument. Tandis que Chateaubriand s’était limité à évoquer quelques sensations anciennes à laide de la mémoire affective, Proust a enchaîné les mani PAGF sensations anciennes à laide de la mémoire affective, Proust enchainé les manifestations de cette mémoire en une suite d’expériences qui permettent chaque fois au personnage- narrateur une révelatlon essentielle, mais ne satisfont que partiellement cette promesse.
Voilà ce qu’affirme Georges Poulet, a ce propos: « Cette imitation adressée à lui par le gâteau, par les arbres, par les clochers, par la petite phrase musicale, et qu’il ne cessera plus de recevoir, contient une part de révélation et une part d’incitation ». Chaque fois, le narrateur a le sentiment qu’il retrouve une sensation déj? ressentie, longtemps auparavant, et aussi que cette sensaton harrie, un message fondamental caché qu’il veut comprendre.
Chaque manifestation de la mémoire involontaire est, ainsi, comme une impulsion à découvrir ce qui semble se cacher, impulsion qui détermine le narrateur à « créer » l’histoire de son passé. Le roman est organisé autour de ces expériences, si bien que la mémoire involontaire joue Le rôle d’un_ pricipe constructif venons de le mentionner. Voilà, en guise d’exemple, l’histoire de la madeleine qui ouvrira ? l’auteur une première percée vers le passé enseveli de Combray.
Un jour, en rentrant à la maison, comme le narrateur avait froid, a mère lui propose de prendre, contre son habitude, une tasse de thé. Il refuse d’abord, puis, il se ravise en l’acceptant. On peut remarquer combien l’écrivain insiste ici sur le rôle du hasard dans cette histoire tout à fait exceptionnelle: « contre mon habitude », sur le rôle du hasard dans cette histoire tout à fait exceptionnelle: « contre mon habitude », « le refusai d’abord, et, je ne sais pourquoi, me ravisai ».
Avec le thè on lui fait prendre aussi une petite madeleine gâteau commun dont l’aspect est très minutieusement décrit par l’auteur quoique justement la sensation visuelle n’ait aucun rôle ? jouer dans le déclanchement de la mémoire affective; c’est un gâteau « court et dodu » qui semble avoir été moule « dans la valve raimuée d’ une coquille de Saint-Jacques ». Ensuite, c’est le moment de rupture, celle qui provoque le goût des miettes du gâteau amolli dans du thé. Avant de goûter au thé et au gâteau Marcel se sent « accablé » par son existence terne et sans perspectives.
Mals juste au moment où son palals lul communique la sensation particulière de goût il se sent « envahi » par « un plaisir délicieux » et inexplicable qui efface d’un coup en lui tous les désagréments de la vie « de la même façon qu’opère ‘amour ». Il se sent ainsi empli « d’une essence précieuse » ou plutôt devenir cette essence; c’est parce que le personnage quitte le présent, ses soucis quotidiens et la surface des choses pour avoir accès à un temps et à un monde essentiels.
Il a l’intuition de se trouver dans la posture d’un néophite sur le point d’avoir accès au grand mystère qui se dérobe pourtant perpétuellement. Pour le moment il ne peut pourtant pas répondre à la question majeure: d’où pourrait lui venir cette puissante joie ? Même si elle était liée au goût du thé et du gâteau ce sentimen venir cette puissante joie ? Même si elle était liée au goût du thé et du gâteau ce sentiment devait être, croit le narrateur, de nature différente.
Pour s’en convaincre il boît une seconde et même une troisième gorgée pour se rendre compte que l’effet commence à diminuer. La conclusion qui s’impose: la vérité qu’il cherche n’est pas dans l’objet mais en lui-même. Cette observation laisse entrevoir toute une attitude épistémologique: ia vérité ne réside pas dans l’objet à connaître mais dans le sujet connaissant lui-même.
En continuant à s’interroger, le personnage narrateur trouve que ette vérité recherchée doit être de la nature d’une image, d’un souvenir confus qui tente, par le biais de cette sensation, de parvenir jusqu’au niveau de sa conscience. Et « tout d’un coup », comme il convient à une révélation, le souvenir devient clair: le goût du gâteau ressenti d’une façon si particulière à présent est celui de la petite madeleine que tante Léonie, jadis, dans l’enfance, lui offrait quand il allait lui dire bonjour le dimanche matin à Combray. ? partir de ce moment, l’écrivain aura donné le coup d’envoi à la récupération de tout un passé ensveli qu’on aurait pu croire définitivement mort. Ce moment ressemble à un mythe personnel des origines. Mals chaque fois qu’une sensation aura épuisé sa force de ressuscitatioru une autre la remplacera pour reconstruire autour d’elle tout un univers. Ces reprises répétées relèvent du fait que la vérité ultime ne s’est pas encore révélée.
Car, ce que Marcel découvre répétées relèvent du fait que la vérité ultime ne s’est pas encore révélée. Car, ce que Marcel découvre c’est le pouvoir d’écrire et le plaisir d’exercer ce pouvoir. Après avoir récupéré l’univers des sgnes, après leur traversée – comme dans une sorte de varlante oderne du mythe du labirynthe – le personnage annonce sa décision et sa disponibilité d’écrire car il aura découvert le point central de son être lui permettant d’organiser leur signification ou plutôt leur pouvoir de signifier.
Et le roman nous renvoie à son début car ce dont le narrateur écrira est juste ce qu’on vient de Il faut souligner la nature commune, banale, de l’objet de la sensation: la madeleine n’est pas un gâteau d’exception mais tout à fait ordlnaire. Ce qul le rend très efficace dans ce processus de récupération du passé (préambule de l’écriture) c’est son apport particulier à un certain moment du passé et surtout tel qu’on vient de le voir, le hasard; le hasard qui remplace le déterminisme.
En plus, cette nature ordinaire de la madeleine relève d’une certaine conception moderne du signe artistique qui remonte au célèbre vers de V. Hugo: « J’ai mis le bonnet rouge au vieux dictionnaire ». Cela veut dire que ni le monde ni la langue ne sont plus considérés comme des univers hiérarchisés, formés d’objets (éléments) plus ou moins privilégiés, situés dans le cadre d’une pyramide des valeurs, ayant pour sommet des valeurs absolues.