Plan Eugène Ionesco Rhinocéros
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950 Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir à extirper une seule valeur humaine. 5 Je vois bien ce que la p g Je vois moins bien ce qu’elle a apporté. Sécurité ? Culture ? Juridisme ?
En attendant, Je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et olonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires. 10 domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote l’homme indigène en instrument de production. mon tour de poser une équation : colonisation – chosification. 0 25 J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux- memes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi, Je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la ma ln le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, désespoir, le larbinisme.