MOLIERE Le bourgeois gentilhomme Atramenta
Le Bourgeois gentilhomme Molière Oeuvre du domaine public. En lecture libre sur Atramenta. net Introduction Comédie-Ballet Faite à Chambord, pour le divertissement du roi au mois d’octobre 1670 et représentée en public, à paris, pour la première fois, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 23e novembre de la même année 1670 par la Troupe du Rai Personnages Sni* to View MONSIEURJOURDAI MADAME JOURDAIN, LUCILE, fille de M. Jourdain. NICOLE, servante. CLÉONTE, amoureux de Lucile. COVIELLE, valet de Cléante. DORANTE, comte, amant de Dorimène. DORIMÈNE, marquise.
MAÎTRE DE MUSIQUE ÉLÈVE Du MAÎTRE DE MUSIQUE MAITRE A DANSER MAÎTRE D’ARMES MAITRE DE PHILOSOPHIE. MAÎTRE TAILLEUR. GARÇON TAILLEUR. DEUX LAQUAIS Dl IDC ICI IDC I Nhchl•rc MUSIQUE Voyons… Voilà qui est bien. Est-ce quelque chose de nouveau ? Oui, c’est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé. Peut-on voir ce que c’est ? Vous rallez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère. MAÎTRE À DANSER Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant.
MAITRE DE MUSIQUE Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu’il est allé se mettre en tête ; et votre danse et ma musique auroient ? souhaiter que tout le monde lui ressemblât. Non pas entièrement ; et je voudrois pour lui qu’il se connût mieux qu’il ne fait aux choses que nous lui donnons. Il est vrai qu’il les connaît mal, mais il les paye bien ; et c’est de quoi maintenant nos arts ont lus besoin que de toute autre chose.
PAGF 81 accueil aux beautés d’un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu’on puisse recevoir des choses que l’on fait, c’est de les voir connues, de les voir caressées d’un applaudissement. qui vous honore. Il n’y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées. J’en demeure d’accord, et je les goûte comme vous. Il n’y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites.
Mais cet encens ne fait pas vivre ; des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise : il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c’est de louer avec les mains. C’est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n’applaudit qu’à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse ; ses louanges sont monnayées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.
Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais le trouve que vous appuyez un peu trop sur l’argent ; et l’intérêt est quelque chose de si bas, qu’il ne faut jamais qu’un honnête homme montre pour lui de l’attachement. Vous recevez. fort bien pourtant l’argent que notre homme vous donne. Assurément ; mais je n’en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu’ave 3 1 Assurément ; mals je n’en fais pas tout mon bonheur, et je voudrois qu’avec son bien il eût encore quelque bon goût des choses.
Je le voudrais aussi, et c’est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connoître dans le monde ; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui. Le voilà qui vient. Scène Il MONSIEURJOURDAIN, DEUX LAQUAIS, MAÎTRE DE MUSIQUE ; MAÎTRE À DANSER, VIOLONS, MUSICIENS ET DANSEURS MONSIEUR JOURDAIN Hé bien, Messieurs ? qu’est-ce ? me ferez-vous voir votre petite drôlerie. Comment ? quelle petite drôlerie ? MONSIEURJOURDAIN Eh la… comment appelez-vous cela ? otre prologue ou dialogue de chansons et de danse. Ah ! ah ! 1 JOURDAIN Je me suis fait faire cette indienne-ci. Elle est fort belle. Mon tailleur m’a dit que les gens de qualité étoient comme cela le matin. Cela vous sied à merveille. Laquais ! holà, mes deux laquais ! PREMIER LAQUAIS Que voulez-vous, Monsieur ? Rien. C’est pour voir si vous m’entendez bien. (Aux deux Maîtres. ) Que dites-vous de mes Ilvrées ? Elles sont magnifiques. (Il entr’ouvre sa robe et fait voir un haut-de-chausses étroit de velours rouge, et une camisole de velours vert, dont il est vêtu. Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices. Il est galant. Laquais . PAGF s 1 sortes d’écoliers en savent autant que les plus grands maîtres, et ‘air est aussi beau qu’il s’en puisse faire. Écoutez seulement. Donnez-moi ma robe pour mieux entendre… Attendez, je crois que je serai mieux sans robe… Non ; redonnez-la-moi, cela ira mieux. MUSICIEN, chantant. Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême, Depuis qu’à vos rigueurs vos beaux yeux m’ont soumis ; Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime, Hélas ! ue pourriez-vous faire à vos ennemis ? Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort, et je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là. Il faut, Monsieur, que l’air soit accommodé aux paroles. On m’en apprit un tout à fait joli, il y a quelque temps. Attendez… La… comment est-ce qu’il dit ? Par ma foi ! je ne sais. Ily a du mouton dedans. Du mouton ? oui. Ah ! 1 liaison ensemble. Et qui ouvrent l’esprit dun homme aux belles choses. Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique ?
Oui, Monsieur. Je l’apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre ; car, outre le Maître d’armes qui me montre, j’ai arrêté encore un Maître de philosophie, qui doit commencer ce matin. La philosophie est quelque chose ; mais la musique, Monsieur, la musique… La musique et la danse… La musique et la danse, c’est là tout ce qu’il faut. Il n’y a rien qui soit si utile dans un État que la musique Il n’y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse. Sans la musique, un État ne peut subsister.
Sans la danse, un homme ne saurait rien faire. PAGF 7 1 le moyen de s’accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ? Vous avez raison. Lorsqu’un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille ou au gouvernement d’un État, ou au commandement d’une armée, ne dit-on pas toujours : « Un tel fait un mauvais pas dans une telle affaire » Oui, on dit cela. Et faire un mauvais pas peut-il procéder d’autre chose que de ne savoir pas danser ? Cela est vrai, vous avez raison tous deux.
C’est pour vous faire voir l’excellence et l’utilité de la danse et de la musique. Je comprends cela à cette heure. Voulez-vous voir nos deux affaires ? oui. 81 musique Une musicienne et deux musiciens Un cœur, dans l’amoureux empire, De mille soins est toujours agité On dit qu’avec plaisir on languit, on soupire ; Mais, quoi qu’on puisse dire, Il n’est rien de si doux que notre liberté. PREMIER MUSICIEN Il n’est rien de si doux que les tendres ardeurs. Qui font vivre deux cœurs Dans une même envie.
On ne peut être heureux sans amoureux déslrs • Otez l’amour de la vie, Vous en êtes les plaisirs. SECOND MUSICIEN Il serait doux d’entrer sous l’amoureuse loi, Si l’on trouvait en amour de la fol Mais, hélas ! ô rigueur cruelle On ne voit point de bergère fidèle, Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour, Doit faire pour jamais renoncer à l’amour. Aimable ardeur, MUSICIENNE Franchise heureuse, Sexe trompeur, Que tu m’es précieuse ! deux cœurs sont fidèles ! Est-ce tout ? Je trouve cela bien troussé, et il y a là-dedans de petits dictons assez jolis.
Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être variée. Sont-ce encore des bergers ? C’est ce qu’il vous plaira. Allons. Quatre Danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le Maître à danser leur commande, et cette danse fait le premier intermède. Acte Scène MONSIEURJOURDAIN, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE À DANSER, LAQUAIS Voilà qui n’est point sot, e trémoussent bien.