Leconte
Notes Journée d’études du 9 avril Contact des langues : quelques modèles issus de la sociolinguistique francophone Fabienne Leconte Maitre de conférences, Université de Rouen, EA 4305 Linguistique, Didactique, francophonie Fabienne. leconte@univ•rouen. fr Pour l’ouverture de cette journée « Contacts de langues et interactions j’ai choisi de présenter quelques francophone parce q semblent moins con l’anglophonie. Je m’e lier les modèles prés or 18 linguistique s tourné vers io-historiques de leur émergence en respectant l’ordre chronologique.
J’ai en outre largement privilégié les ituations sociolinguistiques d’Afrique noire parce que ce sont celles que je connais le mieux et parce qu’elles me semblent plus proches de la situation éthiopienne pour des raisons tant geographiques que de plurilinguisme généralisé. De ce fait, j’ai fait l’impasse sur les francophonies maghrébines et américaines. La France représente un cas extrême d’identification d’un pays ? une langue unique.
Le mouvement est ancien, amorcé sous l’ancien régime au 16 et 17ème siècle à la fois contre le latin, langue savante, et contre les autres langues régionales e francisation des provinces sera plus marqué, notamment par le biais de l’école présente dans chaque commune à partir de 1830 puis obligatoire à partir de 1884. Le monolinguisme de l’Etat français est donc une construction socio-historique de longue durée, qui s’est largement appuyée sur l’école. Cette politique linguistique de francisation a été exportée durant le dix-neuvième siècle et le début du vingtieme dans les colonies.
L’enseignement dans les colonies françaises s’est fait exclusivement en français avec des visées assimilationnistes mais aussl humanistes et universalistes. A l’inverse les colonisateurs anglais, allemands ou belges faisaient une plus large place aux langues locales dans les systèmes scolaires en Afrique. Cette politique de scolarisation dans la langue du seul colonisateur s’est accompagnée d’une politique de dévalorisation des langues locales qualifiées de dialectes ou de patois.
Dans le même temps, la polltique d’imposition du français sur le terrltoire national s’est aussi faite en dévalorisant les langues régionales, qualifiées elles-aussi de dialectes et de patois. Par ailleurs, on peut dater la naissance de la linguistique moderne au début du vingtième iècle par la publication posthume du cours de linguistique générale (CLG) de Ferdinand de Saussure. Le cours publié par les élèves de De Saussure envisageait « la langue en elle-même et pour elle-même ». A ses débuts, la linguistique moderne fut résolument monolingue.
Les travaux du contemporain de Saussure, Antoine Meillet (1928) qui notait que les langues étaient influencées par le PAGF 18 Saussure, Antoine Meillet (1928) qui notait que les langues étaient influencées par leurs voisines n’ont pas eu le même succès. Mais il est vrai que la publication du CLG en 1916 a correspondu ? la naissance de nombreux états en Europe centrale et orientale suite à l’effondrement des Empires Ottomans et Austrohongrois au moment de la première guerre mondiale (1914-1918).
Cétude, la description des langues « en elles-mêmes et pour elles-mêmes » a permis aux jeunes états d’Europe centrale et orientale de se doter chacun d’une langue officielle souvent unique, quand bien même l’intercompréhension était possible avec ce qui était parlé de l’autre côté de la (toute nouvelle) frontière. On pourrait prendre aujourd’hui l’exemple du bulgare et du macédonien et plus argement de l’ensemble du groupe des langues slaves du Sud.
Des premières recherches en lien avec les situations sociales Dans ce contexte : construction de la nouvelle science linguistique exclusivement monolingue à ses débuts, Etat français représentant l’identification la plus poussée d’un pays à sa langue officielle, il n’est pas étonnant que la sociolinguistique française naissante dans les années soixante-dix se concentre d’abord sur la variation sociale ? l’intérieur du français dans la lignée des travaux de Labov aux Etats-Unis.
Ces travaux réuniront par exemple des (socio) linguistes et des ociologues autour des travaux du sociologue P. Bourdieu. On s’intéresse alors aux questions de rapports de classe et langage, on cherche les corrélations entre reproduction sociale et langue, notamment par le biais de 18 biais de l’école. Ces travaux se situent dans une vision essentiellement monolingue. C’est la variation diastratique du français qui est visée. Les contacts de langues ne sont pas présents dans ces travaux.
Un second groupe de recherches s’intéresse particulièrement à la situation des langues régionales qui sont reconnues depuis la loi Deixone en 1951. Il s’agit du basque, du breton, du atalan et de Poccitan. On interroge de même la situation de certaines langues régionales qui n’ont pas eu de reconnaissance officielle parce que langues frontalières, assimilées à la langue officielle de l’autre côté de la frontière. Le corse était alors assimilé à l’italien, le flamand au néerlandais et l’alsacien à l’allemand.
Quant aux langues parlées dans les Départements d’Outre Mer (DOM) et Territoires d’Outre Mer (TOM), notamment les créoles, il fallut encore attendre pour que progressivement elles obtiennent une reconnaissance officielle et des places dans l’enseignementl. Ces chercheurs reprennent en les critiquant les modèles diglossiques de Ferguson (1959) et de Fishman (1967) : deux langues de statuts inégaux, apparentées ou non, se partagent les fonctions et les usages dans une société.
Lambert Félix Prudent (1981) réfute l’idée de deux entités distinctes créole vs français et propose la notion de continuum pour décrire les usages martiniquais dans lesquels les énoncés se situent entre un pôle créole (basilectal) et un pôle français (acrolectal). La majorité des énoncés se situant 8 français (acrolectal). La majorité des énoncés se situant entre ces eux pôles et pouvant être qualifiés de mésolectaux. Au travers de l’exemple créole, langue née de contacts, c’est l’influence du contact des langues sur la forme même des langues qui est interrogée.
Proposition qui sera largement reprise par la suite. La seconde critique porte sur le caractère stable et consensuel des situations diglossiques. C’est qu’à partir des années soixante-dix, les revendications culturelles et réglonalistes sont fortes et remettent en cause le modèle centralisateur et monolingue qui semblait faire Cette reconnaissance, progressive, sera effective lors de la arution du rapport Cerquiglini en 1999 qui fera état de 75 « langues de France » ; reconnaissance confirmée lors de la sortie de l’ouvrage B. Cerquiglini (dir. , 2003, Les langues de France, paris, PI_JF. A cette occasion la Délégation Générale à la Langue Française, organisme du ministère de la culture, deviendra la DGLFLF : Délégation générale à la langue française et aux langues de France. consensus dans la société française. Deux langues régionales sont par ailleurs parlées des deux côtés des Fhyrénées, le basque et le catalan, dont la pratique était violemment réprimée usqu’à la mort en 1975 du dictateur espagnol Franco et de l’avènement de la démocratie dans ce pays.
On ne parle plus alors de diglossie mais de conflit linguistique, les dominés n’acceptent plus leur domi PAGF s 8 des différentes langues citées vont évoluer différemment en France et en Espagne. Instrument de libération, le basque et le catalan seront normalisées, langues coofficielles de leurs provinces respectives, largement employées dans la vie publique et enseignées à l’école. Leur usage peut apparaitre désormais comme contraint pour des migrants venant d’autres régions du pays ou d’Amérique latine. En revanche, en France leur domaine d’usage stagne.
On assistera aussi dans les années 1970 et 1980 à la naissance de la langue corse, qui sera détachée de fltalien par la volonté des Corses qui, de surcroit, considèreront comme langue unique des variétés différentes, certaines étant plus proches de l’italien standard que d’autres. Jean-Baptiste Marcellesi, sociolinguiste Corse ayant effectué sa carrière à l’université de Rouen, a analysé cette naissance de la langue corse tout en œuvrant à une reconnaissance en travaillant par exemple à la création d’un CAPES2 de Corse.
J-B Marcellesi proposera le oncept de langue polynomique pour décrire la situation d’une langue qui trouve son unité non pas dans ses réalisations mais dans la conscience des locuteurs. Au-delà de ces situations particulières brossées à très gros traits, ce que l’on voit apparaître, c’est l’importance des communautés parlantes dans le devenir de ces langues ; l’importance des questions identitaires et politiques dans l’évolution des situations sociolinguistiques.
Dans chaque situation, variation sociale en français et échec scolaire, revendications identitaires régionales, les travaux sociolin uisti ues ont toujours ét ?chec scolaire, revendications identitaires régionales, les travaux sociolinguistiques ont toujours été fortement en phase avec des dynamiques sociales fortes Toutefois, la majorité de ces travaux portant sur les langues régionales et remettant en cause la notion de diglossie s’est attachée à des situations binaires : langue régionale/ langue dominante et officielle.
Or cette binarité semble de plus en plus étroite alors que la population immigrée s’accroit en Europe et que l’on regarde vers l’Afrique, noire surtout, continent dans lequel le plurilinguisme est la règle, le monolinguisme l’exception. Il faut alors forger d’autres concepts qui rendent compte de la complexité du plurilinguisme africain. Par ailleurs à partir des années 1960, on s’est posé beaucoup de questions sur le choix des langues officielles et de scolarisation dans les pays nouvellement indépendants.
Fallait-il aller vers une « décolonisation des esprits » comme l’a entrepris la Guinée Conakry (Afrique de l’Ouest) qui, après avoir rompu avec la France en 1958, a instauré un enseignement dans quelques langues africaines du pays ? La plupart des pays colonisés par la France ont choisi l’option inverse et ont conservé le français comme langue fficielle, le plus souvent unique et langue de scolarisation, là encore le plus souvent unique.
Il ne s’est pas seulement agi de construire des modèles théoriques pour le plaisir de modéliser mais surtout de donner des outils aux décideurs des pays nouvellement indépendants pour construire des politiques linguistiques démocratiques et favorisant le développement. 7 8 pour Le concours national du CAPES (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire) permet ? ses lauréats d’enseigner dans les établissements secondaires français et d’y être titularisés.
La création d’un CAPES d’une langue régionale, qu’elle quelle soit, légitime fortement cette langue qui devient alors matière scolaire. Rappelons que la politique linguistique de francisation du territoire est largement passée par l’école, la reconnalssance des langues réglonales ne pouvait à son tour que passer (aussi) par l’école. Comment concilier le refus de l’aliénation linguistique et l’unité nationale ? Comment favoriser le développement du pays ? Vaste programme.
Un des chercheurs francophone qui aura le plus théorisé le plurilinguisme, notamment africain est L. -J. Calvet. Un de ses premiers ouvrages fut en 1 974 Linguistique et colonialisme : petit traité de glottophagie, qui fut beaucoup lu et discuté sur les campus africains francophones. Il a beaucoup écrit et continue à le faire, je ne présenterai pas l’ensemble de ces travaux, mais seulement deux d’entre eux qui peuvent être pertinents pour les situations de contacts de langues : la diglossie enchâssée et le modèle gravitationnel.
La notion de diglossie enchâssée je viens de souligner que la notion de diglossie – une langue dominante et une langue dominée se partageant les usa es dans une société— ne correspond pas aux situati situations ociolinguistiques africaines. L-J. Calvet proposera en 1987, dans La guerre des langues et les polltiques linguistiques, la notion de diglossie enchâssée qui permet de rendre compte de situations fréquentes sur le continent où la langue de l’ancien colonisateur, choisie comme langue officielle, domine toutes les autres.
Cette notion renvoie au fait que toutes les langues locales ne sont pas sur un pied d’égalité : certaines sont parlées par quelques centaines de locuteurs, d’autres par plusieurs millions sur le territoire de plusieurs Etats. Ces dernières sont des langues véhiculaires qui permettent la ommunication entre les différents groupes ethniques et, bien souvent, l’intégration à la ville, alors que l’urbanisation du continent se poursuit.
Les langues véhiculaires dominent à leur tour les langues vernaculaires ou ethniques. Cette domination se fait sur le critère du nombre de locuteurs, de la reconnaissance et éventuellement du prestige. Mals les langues vernaculaires ont souvent une fonction identitaire importante et sont utilisées pour la communication à l’intérieur du groupe On a donc une répartition tri-fonctionnelle : langue officielle ; langue véhiculaire ; langue vernaculaire et identitaire.
Ce schéma s’applique par exemple au Sénégal où le français, langue officielle et de scolarisation domine le wolof langue véhiculaire du pays : le wolof est parlé par 90 % de la population alors que fon estime l’ethnie wolofe à 40 gt. Les autres langues sénégalaises sont dominées par le wolof. On pourrait étendre ce schéma à d’autres pays comme la Tanzanie sont (anglais, ki-swahili, autres langues), le Mali (français, bambara, langues maliennes), etc.
La fonction véhiculaire n’est pas réservée à l’Afrique, l’anglais joue ce rôle au niveau mondial, il existait et il existe encore des langues amérindiennes ayant une onction véhiculaire en Amérique latine. Cette tri-partition fonctionnelle présente néanmoins des limites : elle ne rend pas compte de statuts qul peuvent être inégaux à l’intérieur de la catégorie vernaculaire, parce que certaines langues ont été érigées comme langues nationales dans les constitutions des Etats africains3 et pas d’autres, parce que certaines peuvent avoir une fonction véhiculaire bien que plus limitée.
Dans la lignée de ses travaux, on a mis en lumière l’écart qu’il pouvait exister dans les situations post-coloniales entre les usages d’une langue « son corpus » et son degré ‘officialisation et de reconnaissance dans la société : « son status un des linguistes français à l’origine de cette théorisation est R. Chaudenson. Ainsi au Mali, le français langue Les choix effectués par les Etats sont très variables.
Le Burkina, par exemple, a choisi de qualifier la soixantaine de langues parlées sur le territoire de langues nationales, le Mali en a choisi treize, le Sénégal six, la République démocratique du Congo ne reconnait quant à elle comme langue nationale que les quatre langues véhiculaires du pays alors ue l’on compte plus de deux cents langues vernaculaires.