La Révolution, la langue nationale
Chapitre 8 La Révolution française: la langue nationale (1789-1870) Plan du présent article ors7 Sni* to View 1 Les multiples changements de régime 789-1799: la Révolution française – 1799-1814: le consulat et l’Ernptre 814-1830: la Restauration possession de l’Afrique. Par ailleurs, certaines innovations comme les chemins de fer, la navigation à vapeur, l’électricité, le téléphone, eurent un effet considérable, soit sur l’unification linguistique à l’intérieur des États, dont la France, soit sur la pénétration des langues les unes par les autres.
L’amorce de l’industrialisation et de l’urbanisation ntraîna des conséquences similaires. À la veille de la Révolution, la France était encore le pays le plus peuplé d’Europe (26 millions d’habitants) et l’un des plus riches. Néanmoins, tout ce monde paraissait insatisfait. Les paysans formaient 80 % de la population et assumaient la plus grande partie des impôts royaux, sans compter la dîme due à l’Église et les droits seigneuriaux, alors qu’ils recevaient les revenus les plus faibles. a bourgeoisie détenait à peu près tout le pouvoir économique, mais elle était tenue à l’écart du pouvoir politique.
Pendant ce temps, la noblesse vivait dans l’oisiveté, et l’Église possédait 10 % des terres les plus riches du pays. En 1786, le ministre des Finances de Louis XVI, Charles-AIexandre de Calonne, fit promulguer une loi visant à faire payer des impôts aux propriétaires fonciers. Il faut dire que la guerre contre la Grande-Bretagne en Amérique avait coûté au Trésor français milliards d’euros d’aujourd’hui (ou de dix milliards de dollars US). une somme colossale qui avait ruiné la France! Comme si ce n’était pas assez, l’effort du roi de France ne permit même pas de récupérer le Canada.
Le nouvel impôt destiné à renflouer les caisses de l’État fut évidemment fort mal accueilli par les détenteurs de privi renflouer les caisses de l’État fut évidemment fort mal accueilli par les détenteurs de privilèges en France; ceux-ci s’opposèrent à cette loi. Devant cet échec, Louis WI convoqua en août 1788 les états généraux. c’est-à-dlre l’assemblée censée représenter le pays en trois tiers : la noblesse, le clergé et le peuple (le tiers état). Le tiers état exigea l’élaboration d’une constitution pour le pays (selon le modèle inspiré des États-Unis), l’abolition des droits éodaux et des impôts injustes.
Rien qui puisse renflouer les caisses de l’État! Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les révoltes populaires aient fini par éclater, d’autant plus qu’elles avaient été préparées par la classe bourgeoise depuis longtemps. Le 11 septembre 1789, les députés de l’Assemblée constituante, réunis pour délibérer sur le droit de veto accordé au roi Louis XVI, se répartirent spontanément de part et d’autre du président • à gauche, les opposants au veto (révolutionnaires et libéraux), à droite les partisans du roi (royalistes et réactionnaires).
Depuis lors, cette répartition des députés par affinités marqua partout dans le monde les clivages entre une droite, réputée conservatrice, et une gauche, réputée révolutionnaire ou réformiste. puis le peuple — les sans-culottes — prit la Bastllle le 14 juillet 1789, s’empara le 10 août 1 792 des Tuileries, la demeure du roi. Il fit exécuter Louis XVI le 21 janvier 1793 (après un simulacre de procès) sur la place de la Révolution (précédemment appelée «place Louis XV», aujourd’hui «place de la Concorde»).
Si c’est le peuple qui, en définitive, fit la Révolution, c’est la bourgeoisie qui ccapara le pouvoir. La période révolutionnaire Révolution, c’est la bourgeoisie qui accapara le pouvoir. La période révolutionnaire mit en valeur le sentiment national, renforcé par la nécessité de défendre le pays contre les armées étrangères appelées par les nobles en exil qui n’acceptaient pas leur déchéance. 2 La guerre aux «patois» sous la Révolution (1789-1799) Ce mouvement de patriotisme s’étendit aussi au domaine de la langue.
Pour la première fois, on associa langue et nation. Désormais, la langue devint une affaire d’État: il fallait doter d’une langue nationale la «République unie t indivisible» et élever le niveau des masses par l’instruction ainsi que par la diffusion du français. Or, l’idée même dune « République unie et indivisible», dont la devise était «Liberté, Fraternité et Égalité pour tous», ne pouvait se concilier avec le morcellement linguistique et le particularisme des anciennes provinces.
On aurait pu s’attendre, au contraire, que la Révolution puisse se montrer ouverte aux patois, aux usages non normalisés et aux variétés «basses» de la langue. Ily a bien eu quelques Français qul ont renté de promouvoir les langues locales, omme ce fut le cas de Jean-François Marmontel (1723-1799), un encyclopédiste et grammairien célèbre en son temps: Dans cette espèce d’aristocratie composée de deux puissances souvent contraires l’une à l’autre, on ne savait à laquelle obéir. Le peuple, dit-on, s’exprime ainsi.
Eh bien, alors, le peuple s’exprime noblement. p r. ] ar quelle vanité voulons-nous que, dans… notre «langue», tout ce qui est à l’usage du peuple contracte un caractère de bassesse et de vileté? Faut-il qu’une reine dise bonjour en d’autres termes qu’une villageoise? La démoc et de vileté? Faut-il qu’une reine dise bonjour en d’autres termes u’une villageoise? La démocratisation de la France ira jusqu’à donner naissance ? l’égalité de tous les locuteurs du français. Mais l’utopie égalitaire ne dura pas. Rien ne s’est passé ainsi.
Les individus qui ont fait la Révolution étaient le produit de l’Ancien Régime. Ils disposaient d’une solide éducation classique et ils savaient s’exprimer oralement. Lorsqu’il était temps de parler en public, ces bourgeois instruits ont su puiser dans la littérature des Lumières les idées, les mots, les phrases et les éléments de discours qu’il leur fallait pour impressionner les foules. Pour ce faire, ils ont eu recours à l’éloquence, que ce sot dans les discours de contestation, de dénonciation ou de revendication.
Alors que le XVIIIesiècle monarchique et absolutiste avait muselé la parole des individus, la Révolution permettait aux révolutionnaires de la libérer, suivant en cela le modèle des parlementaires britanniques et des assemblées américaines, ces dernières aboutissant à la Révolution à partir de 1776. En même temps, la marque de la langue anglaise sur le vocabulaire français se fera de façon plus insistante, car les institutions britanniques et américaines ont xercé une fasclnation certalne chez les Français. . 1 La atour de Babel » dialectale Pour les populations du royaume de France, le français restait largement une «langue étrangère». Au début de la Révolution, les dirigeants affichèrent une politique linguistique qui témoignait d’une grande tolérance à l’égard des patois ou des langues régionales. Comme il s’agissait de propager les idées révolutionnaires, il paraissait normal de les véhicu PAGF s OF régionales.
Comme il s’agissait de propager les idées révolutionnaires, il paraissait normal de les véhiculer dans les langues que les gens comprenaient. Loin d’imposer aux citoyens la langue de feu le roi, la République se voulait plurilingue et s’exprimait dans les diverses langues des Français. Le 14 janvier 1790, sur proposition du député François-Joseph Bouchette (1735-1810), l’Assemblée nationale française décidait de «faire publier les décrets de l’Assemblée dans tous les idiomes qu’on parle dans les différentes parties de la France».
Et le député Bouchette de dire: tout le monde va être le maître de lire et écrire dans la langue qu’il aimera mieux. » C’est à partir de paris qu’on rédigea des traductions des différents décrets destinés ? la population. Des bureaux départementaux, par exemple en Alsace, en Lorraine et en Bretagne, furent créés pour traduire sur place divers textes. En novembre 1792, la Convention chargea une commission afin d’accélérer les traductions.
De cette façon, la République croyait qu’il fallait recourir au multilinguisme parce que toutes les langues de France avaient droit de cité. Toutefois, la traduction fut rapidement abandonnée devant le manque de traducteurs, les coûts financiers et l’absence réelle de voulolr conserver les langues régionales. Aussitôt, les patois devinrent l’objet d’une attaque en règlel Les révolutionnaires bourgeois ont même vu dans les patois un obstacle à la propagation de leurs idées.
Bertrand Barère (1755-1841), membre du Comité de salut public (8 pluviôse an Il), l’organe de gouvernement révolutionnaire mis en place par la Convention nationale en avril 1793, déclencha une véritable offen 6 OF place par la Convention nationale en avril 1793, déclencha une véritable offensive en faveur de l’existence d’une langue nationale : La monarchie avait des raisons de ressembler à la tour de Babel; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue ationale, incapables de contrôler le pouvoir, c’est trahir la patrie…
Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous. Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous! Il ne suffisait pas seulement de favoriser le français, mais aussi de supprimer toute autre langue parlée par les citoyens.
Dans son Rapport du Comité de salut public sur les idiomes (voir le texte complet) qu’il présenta devant la Convention du 27 janvier 1794, Bertrand Barères’exprimait ainsi au sujet des « jargons barbares» et des «idiomes grossiers» qui ne peuvent plus servir que les «fanatiques» et les «contre- évolutionnaires»: Combien de dépenses n’avons-nous pas faites pour la traduction des 1015 des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes de France!
Comme si c’était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus sewir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires! Bertrand Barère, membre du Comité pour le salut public, n’était pas le seul à penser ainsi. La plupart des membres de la classe dirigeante développaient des idées similaires. Dans certains pays, un politicien qui tiendrait de tels propos en public aujourd’hui e ferait certainement rabrouer, à défaut de se faire lyncher.
On imagine mal qu’un président de la Confédération suisse, un premier ministre belge ou canadien, ou un président de la République finlandaise pu suisse, un premier ministre belge ou canadien, ou un président de la République finlandaise puisse faire de telles affirmations à ses concitoyens. Ce serait un tollé. 2. 2 Le rapport Grégoire L’abbé Henri-Baptiste Grégoire (1750-1831), ancien évêque de Blois, demeure certainement l’une des principales figures dominantes de la Révolution française.
Devant le Comité de ‘Instruction publique, l’abbé Grégoire déclarait, le 30 juillet 1793: Tous les jours, rentrés dans le sein de leur famille, dans les longues soirées des hivers surtout, la curiosité des parents et l’empressement des enfants, de la part de ceux-ci l’avidité de dire, de la part de ceux-là le désir d’entendre, feront répéter la leçon et retracer des faits qui seront le véhicule de la morale ; ainsi l’émulation acquerra plus de ressort, ainsi l’éducation publique sera utile, non seulement à ceux qui font l’apprentissage de la vie, mais encore à ceux qui ont atteint l’âge mûr ; ainsi l’instruction et es connaissances utiles, comme une douce rosée, se répandront sur toute la masse des individus qui composent la nation, ainsi disparaitront insensiblement les jargons locaux, les patois de six millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale.
Car, je ne puis trop le répéter, il est plus important qu’on ne pense en politique d’extirper cette diversité d’idiomes grossiers, qui prolongent l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés. Leur anéantissement sera plus prochain encore, si, comme je l’espère, vingt millions de catholiques se décident à ne plus parler à Dieu ans savoir ce qu’ils lui disent, mais à célébrer l’office divin en langue vulgaire. Soulignons le terme «extirper» appliqué a BOF disent, mais à célébrer l’office divin en langue vulgaire. Soulignons le terme «extirper» appliqué aux «idiomes grossiers» qui prolongent «l’enfance de la raison» et «la vieillesse des préjugés ». Ce sont là des termes extrêmement forts destinés à dévaloriser les patois. ne fois la monarchie abolie, parler français, c’était affermir la démocratie; oublier les patois, c’était s’affranchir de la domination et de la dépendance. L’abbé Grégoire fut l’un des plus ardents pourfendeurs des patois durant la Révolution. Il commença une enquête sur les patois le 13 août 1790; il reçut seulement 49 réponses qui se sont étalées jusqu’en 1792. On peut lire le questionnaire de l’abbé Grégoire lorsqu’il fit son enquête sur la situation linguistique en France en cliquant ICI, s. v. p. Deux ans plus tard (1794), il remettait un rapport de 28 pages sur «la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser la langue française»: Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la angue française.
Si Grégoire a rédigé son rapport, c’est parce que la question de la langue apparaissait comme centrale dans la politique révolutionnaire. Grégoire dénonçait la situation linguistique de la France républicaine qui, «avec trente patois différents», en était encore «à la tour de Babel», alors que «pour la liberté » elle formait «l’avant-garde des nations». L’abbé Grégoire déclara notamment que la France n’avait plus de provinces, mais qu’elle avait encore trente patois qui en rappelaient les noms Nous n’avons plus de provinces, et nous avons encore environ rente patois qui en rappellent les noms. Peut-être n’est-il pas inutile d’e PAGF encore environ trente patois qui en rappellent les noms.
Peut-être n’est-il pas inutile d’en faire l’énumération : le bas- breton, le normand, le picard, le rouchi ou wallon, le flamand, le champenois, le messin, le lorrain, le franc-comtois, le bourguignon, le bressan, le lyonnais, le dauphinois, l’auvergnat, le poitevin, le limousin, le picard, le provençal, le languedocien, le velayen, le catalan, le béarnais, le basque, le rouergat et le gascon ; ce dernier seul est parlé sur une surface de 60 lieues en out sens. Au nombre des patois, on doit placer encore l’italien de la Corse, des Alpes-Maritimes, et l’allemand des Haut et Bas-Rhin, parce que ces deux idiomes y sont très-dégénérés. Enfin les nègres de nos colonies, dont vous avez fait des hommes, ont une espèce d’idiome pauvre comme celui des Hottentots, comme la langue franque, qui, dans tous les verbes, ne connaît guère que l’infinitif. Évidemment, tous ces «patois» sont perçus par l’abbé Grégoire de façon très péjorative.
Pour lui, des langues telles le corse, le vivaro-alpin des Alpes et le francique de la région du Rhin sont es idiomes «très-dégénérés», rien de moins. Les «nègres» des colonies parleraient un «idiome pauvre… comme la langue franques. L’abbé Grégoire ignorait totalement non seulement la langue franque des Francs, mais il ignorait aussi que les «nègres» parlaient une langue mixte, le créole. Quoi qu’il en soit, Grégoire ne nous a jamais fait part de ses critères de «dégénérescence» d’une langue. Il suffisait seulement que ce ne soit pas du français. Avec une sorte d’effarement, l’abbé Grégoire révéla dans son rapport de juin 1794 qu’on ne parlait «exclusivement» le français uniquement