La négritude de Léopold Sedar Senghor
On pense, cependant, surtout aux courants artistiques et littéraires de la période : cubisme, simultanéisme, primitivisme, naissance d’une passion française pour le jazz et l’art improvisé. Le surréalisme aussi, déterminant pour les premiers penseurs de la négritude, ces quelques étudiants africains et aribéens qui se rencontrent au début des années 1930 à Paris.
De cette confluence entre avant-gardes et diasporas on dérive souvent directement la prise de conscience ainsi que la fierté retrouvée d’une identité noire jusqu’alors dénigrée, écrasée par le colonialisme et enfin redécouverte et sacralisée comme « négritude A son tour cette renaissance expliquerait la distance très tôt prise par les luttes anticoloniales africaines par rapport au communisme et l’invention du panafricanisme et de nouvelles formes de nationalisme. Le discours de la « renaissance » est toujours téléologique et asque en général la genèse complexe et souvent contradictoire de nouvelles formes d’expérience. Ici sont en fait en jeu, sur une période assez longue, différentes populations, différents mouvements, motivations politiques et culturelles et des stratégies individuelles contradictoires. La plupart des transitions essentielles eurent lieu au cours de la décennie cruciale qui suivit la Première Guerre mondiale et pourtant, bien qu’elle soit la plus riche, cette décennie est moins étudiée de ce point de vue que la suivante.
C’est probablement que cette dernière, rétrospectivem 44 étudiée de ce point de vue que la suivante. C’est probablement que cette dernière, rétrospectivement, semble entièrement dirigée vers les grandes célébrations de la négritude : Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire et Ce que l’homme noir apporte de Léopold Sédar Senghor, œuvres toutes deux publiées en 1939 [3] Aimé Césaire, ibid. ; Léopold Sédar Senghor, « Ce que… [3] .
Le mythe d’un retour inévitable à la source d’une identité jusqu’alors cachée, ou niée, en dit certes beaucoup sur son temps (et plus que sur cette identité), mais plus intéressant ncore est d’étudier la multiplicité et les conflits de sa genèse, et tout ce qui en a été oblitéré. Populations 3 Il est notoirement difficile de se former une idée précise de la taille de la population d’Afrique subsaharienne présente en France pendant l’entre-deux-guerres.
Dans son ouvrage de référence Les Mouvements nègres en France, 1919-1939, Philippe Dewitte cite un recensement du ministère des Colonies de 1926. Il dénombre 2 580 résidents provenant d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et de Madagascar [4] Philippe Dewitte, Les Mouvements nègres en France,… 4] . La population clandestine ayant été probablement au moins deux fois plus importante que celle recensée, on peut estimer qu’il y avait jusqu’à dix mille Africains subsahariens, dont un tiers à Paris.
Ils étaient en majorité travailleurs manuels, serveurs, domestiques et, dans les villes portuaires, marins, dockers. Par contraste, le recensement comptait seulement vingt-trois étudiants africains officiellement inscrits. Léopold Sédar Senghor se souvenait avoir été en son temps run des dix étudiants africains à pa is [5] Nadine Dormoy Savage, 4 44 ouvenait avoir été en son temps l’un des dix étudiants africains à paris [5] Nadine Dormoy Savage, « Entretien avec Léopold Sédar… 5 4 Pendant la Première Guerre mondiale, plus de 160 000 soldats des colonies d’Afrique occidentale et équatoriale sont venus combattre en France ; trente mille n’en sont jamais revenus [6] Marc Michel estime que si l’on y ajoute les soldats… [6] . Certains, déjouant les mesures de rapatriement, sont restés pour travailler en métropole, dans des conditions souvent si mauvaises qu’à la fin des années 1920 le mythe de cette Mère Patrie pour laquelle ls avaient risqué leurs vies était plus que terni.
Il est Important de noter que leur aspiration avait été jusqu’alors une assimilation totale ; la plupart rejetaient, s’ils en étaient conscients, la perspective de ceux qui préconisaient désormais, en particulier au ministère des Colonies, le remplacement de la politique d’assimilation par une politique de développement séparé et d’association — que ce soit au nom du respect de la diversité des cultures ou pour reconnaître honnêtement ce qu’avaient véritablement été les buts de la colonisation.
En France la presse oire de l’époque dénonce majoritairement ce tournant comme contraire non seulement aux intérêts des Noirs, mais aussi aux idéaux républicains français et à l’idée de « mission civilisatrice », thème récurrent alors. Ces populations avalent le statut d’« indigènes sujets de l’Empire, et non de citoyens, à l’exception des « originaires » du Sénégal, résidents des quatre villes créées par le colonisateur.
Ces « originaires » formaient en grande partie une élite assimilée et jouissaient de droits civiques français depuis s 4 grande partie une élite assimilée et jouissaient de droits iviques français depuis le xixe siècle ; ils avaient en particulier le droit d’élire un représentant à l’Assemblée nationale.
Ils se considéraient français par essence et noirs seulement par accident : de couleur noire, non d’identité « nègre En 1914, ils avaient élu le premier membre noir et africain au Parlement, Blaise Diagne (1872-1934), qui défendit avec succès leurs intérêts en faisant campagne pour l’incorporation de soldats africains dans l’armée française pendant la Première Guerre mondiale. Il obtint ainsi la loi Diagne de 191 6, qui confirmait et garantissait ux « originaires » leur nationalité française [7] Voir Michael C.
Lambert, « From Citizenship to Negritude : [7] . Or sa campagne de recrutement avait été menée dans l’ensemble des colonies françaises d’Afrique occidentale. Une fois la guerre finie, ces soldats pensèrent que leurs souffrances et leurs sacrifices, cet « impôt du sang », créaient désormais une dette du sang » pour la République, que Passimilation et la pleine citoyenneté française viendraient solder pour toutes les populations des colonies.
Que les « originaires », sans aucune raison autre que leur lieu e résidence, soient mieux traités que le reste des soldats coloniaux aurait été manifestement injuste. Mais l’administration française ne le vit pas du même œil et octroya des pensions d’invalidité réduites aux anciens combattants des colonies, tout en confirmant leur statut d’« indigènes [8] Voir Marc Michel, Les Africains et la Grande Guerre…. [8] C’est fun des tournants dans la perception de la colonisation française par les colonisés. Les tirailleurs sénégalais 6 44 Les tirailleurs sénégalais et autres troupes coloniales désabusées restées dans la métropole, ainsi que les immigrants landestins étaient courtisés par des syndicats souvent sous influence communiste et commencèrent à acquérir une conscience politique par leur biais. En 1921, suivant les directives du Comintern qui enjoignaient de travailler avec la classe ouvrière des colonies, le parti communiste français crée l’Union intercoloniale, dont la publication principale, Le Paria, est dirigée par un nommé Nguyên Ai Quôc — l’un des nombreux pseudonymes du futur Hô Chi Minh.
Ai Quôc était particulièrement intéressé par la question du colonialisme en Afrique et plus largement l’oppression des peuples d’origine fricaine. Avant de se rendre à Londres, puis à Paris, il avait vécu aux Etats-Unis durant la Première Guerre mondiale, habitant, semble-t-il, à Harlem où il aurait assisté alors à l’un des premiers meetings de Marcus Garvey, bien que, d’après la chronologie, cela soit improbable [9] William J. Duiker, Hô Chi Minh, A Life, New York, Hyperion,… [9] , et déclara plus tard avoir été témoin de lynchages dans le Sud.
Le paria n’eut jamais un lectorat important, mais la police le prenait très au sérieux et achetait la plupart des exemplaires pour tenter d’empêcher sa diffusion ans les colonies (participant ainsi, de fait, à son financement). Comme plusieurs publications similaires, il visait à donner une conscience anticoloniale, mais cette conscience était dénuée de tout sens d’identité ou de fierté raciale du fait de son caractère intercolonial. Les autorités surveillaient de près tous les immigrants des 44 du fait de son caractère intercolonial.
Les autorités surveillaient de près tous les immigrants des colonies et les rapports secrets reflètent surtout la crainte d’une solidarité intercoloniale susceptible de conduire à une bolchévisation des masses usqu’alors non politisées. Ils craignent en particulier une « fraternisation entre Jaunes et Noirs » sous l’influence de militants vietnamiens [IO] Philippe Dewitte, Les Mouvements nègres en France,… [10] . Quant à un sens national africain, il ne peut être que rarement discerné au début de cette décade.
Brent Hayes Edwards rapporte, à titre d’exception, une fable remarquable publiée par Nguyên Ai Quôc dans L’Humanité, où il tenait une chronique en septembre 1922. Il y imagine la célébration, en 1998, du cinquantième anniversaire d’une République africaine supposément créée en 1948. La République qu’il imagine est « fédérative » et résulte d’une révolution communiste organisée sous l’influence d’un « camarade blanc » [1 1] Edwards Brent Hayes, The Shadow of Shadows, Positions…. 1 6 Une seconde population parisienne d’origine africaine, très différente de la première, est celle qui venait des colonies de la Caraïbe. Le roman de Claude McKay, Banjo (1929), contient peut- être la meilleure description de la différence entre ces deux populations noires de la métropole, en particulier concernant leur perception de la situation coloniale, et introduit le troisième oint de vue dont nous parlerons dans un moment, celui des Américains.
McKay, l’un des grands écrivains de la Harlem Renaissance, était jamalcain d’origine et avait donc une bonne connaissance de la Caraïbe, mais une perspective différente tant de celle des Cari donc une bonne connaissance de la Carabe, mais une perspective différente tant de celle des Caribéens francophones que de celle de la plupart des autres écrivains de Harlem. Il passa six mois en Union soviétique en 1922 et vécut ensuite une décennie en Europe, principalement en France.
II était donc sans illusion sur le mythe d’une France non discriminante, ythe commun parmi les intellectuels afro-américains qui opposaient la bienveillance française à la ségrégation américaine. Banjo distingue clairement les Immigrants récents d’Afrique des populations des colonies plus anciennes — Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion qui avaient été embarquées vers le Nouveau Monde plus de deux siècles avant la colonisation de l’Afrique.
Les immigrants antillais avalent la citoyenneté française et pendant la Grande Guerre s’étaient battus dans des régiments réguliers et non pas coloniaux [1 2] Durant la Seconde Guerre mondiale, les Forces françaises… [1 2] . Leur nombre était estimé à plusieurs milliers à Paris et plusieurs dizaines de milliers en France. 7 Ces négropolitains appartenaient généralement à la bourgeoisie des Antilles et/ou avaient obtenu des bourses du gouvernement.