La mort sur scene

essay B

Alors que ce siècle est un siècle de philosophes, dans lequel les lumières de la raison doivent illuminer l’esprit humain, il est étonnant de constater que des genres narratifs fictifs soient appréciés : en effet, la raison s’appu scientifiques, tandis que la fiction e part l’imagination et à l’ill iècle Swip next page un • s expériences i laisse une grande osophes du XVIIIe considéraient bien ces œuvres comme des œuvres argumentatives, à condition que le lecteur puisse comprendre leur portée argumentative. Dès lors, dans quelle mesure les œuvres de fiction peuvent-elles convaincre le lecteur de façon efficace ?

Nous verrons dans un premier temps qu’un récit fictif, par comparaison avec les genres de l’argumentation directe, peut être plus plaisant et davantage apprécié par le lecteur ; puis nous étudierons dans un second temps les limites et les dangers dans l’argumentation que eprésentent les que le lecteur a beaucoup de plaisir à suivre : c’est le cas de Candide de Voltaire, publié en 1 759, qui retrace les ridicules aventures du jeune personnage éponyme : pour agrémenter le plaisir de lecture, certains éléments comiques permettent de dérider le lecteur, comme la leçon de « métaphysique appliquée » de Pangloss dans le premier chapitre, ou encore le ridicule des noms propres comme le château de Thunder-ten- tronkh, dont les sonorités se moquent de la noblesse allemande. Pourtant, la morale que peut tirer le lecteur de certains épisodes du périple de Candide reste érieuse : c’est ainsi une vive dénonciation de l’esclavage qui est faite travers la rencontre d’un nègre mutilé lorsque Candide approche de Surinam. Afin de séduire son lecteur pour mieux l’amener à s’immerger dans le récit, Voltaire mêle donc des éléments de comique au conte philosophique, ce qul permet d’impliquer davantage le lecteur dans le récit, et donc dans l’argumentation indirecte qui y est développée.

De même, le recours à une œuvre de fiction pour développer une argumentation indirecte permet au lecteur de s’identifier certains ersonnages, ce que ne permettent pas les genres de l’argumentation directe comme le traité ou l’essai par exemple. En s’identifiant à certains personnages, non seulement le lecteur s antage dans le récit, mais 2 réfléchir progressivement sur la notion de progrès et à rester relativement critique face aux progrès scientifiques du XXeme siècle, alors même que ce roman narre les découvertes d’un lointain ancêtre anthropopithèque. Dans le roman également, la fiction peut donc être un moyen efficace de convaincre le lecteur, de l’amener à réfléchir sur certaines questions importantes en doptant, de façon logique, les idées de l’auteur.

De plus, les œuvres de fiction permettent d’émouvoir le lecteur en le confrontant à des situations vraisemblables mais fictives. En faisant appel l’émotion du lecteur, le récit fictif permet d’aller au-delà de la simple conviction du lecteur, elles le persuadent des idées défendues . ainsi, dans le discours du vieillard dans le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, publié en 1772, le vieillard s’exprime de façon simple et claire qu rend encore plus perceptible sa détresse. En accusant Bougainville et les voyageurs ‘avoir utilisé le vol et la violence contre les Tahitiens, le vieillard se fait un porte-parole des philosophes des Lumières et se livre à un plaidoyer en faveur de la tolérance et de la non-violence.

Par un discours qui inspire la pitié pour le peuple tahitien, l’argumentation indirecte dans cette œuvre permet donc de persuader et de convaincre le lecteur de la nécessité des idées chères aux 3 l’argumentation directe : pour être efficace, l’argumentation indirecte doit être comprise par le lecteur, et c’est ce dernier qui doit tirer les conclusions et la morale du écit qui lui est proposé : dans ces conditions, le lecteur doit comprendre luimême le sens caché de ce qu’il lit, il peut partager une sorte de complicité avec l’auteur et se sentir ainsi valorisé : dans les Fables de La Fontaine par exemple, publiées en 1668, la morale n’est pas toujours exprimée ; de plus, le lecteur peut prendre comme un jeu de trouver la morale avant de la lire au bas de la fable. Dans les deux cas, le lecteur peut se sentir proche de l’auteur, ce qui facilite beaucoup sa conviction.

L’ironie peut également renforcer le sentiment de complicité entre le lecteur et l’auteur : puisque ‘ironie vient dun décalage entre ce qui est réellement dit et ce qu’il faut comprendre, le lecteur peut se sentir valorisé de comprendre le sens implicite développé par un texte : ainsi, l’ironie présente dans « de l’esclavage des Nègres » Montesquieu (1743) permet de transformer en réquisitoire un plaidoyer en faveur de l’esclavage, et d’impliquer davantage encore le lecteur dans cette réflexion. ———Cependant, le lecteur peut également mal comprendre l’ironie, et interpréter le contraire de l’idée développée : ainsi, il semble que les récits 4 eposent sur la seule compréhension du lecteur de l’idée démontrée ; le risque est grand qu’un lecteur, par inattention ou par ignorance, puisse déduire une fausse conclusion ou même l’inverse de la thèse défendue. Cest le cas pour le texte de Montesquieu évoqué plus haut, ou encore pour les Modestes propositions de J. Swift (1 723), qui reposent essentiellement sur la figure de l’antiphrase.

Les œuvres de fiction peuvent donc développer une argumentation efficace seulement dans le cas où le lecteur comprend le véritable but du récit : le lecteur doit donc être à la ois cultivé et sensé. En outre, les œuvres de fictions développent un récit : pris par le récit, le lecteur peut oublier la dimension éventuellement argumentative pour ne se concentrer que sur le plaisir procuré par le récit, sur son aspect divertissant. Ainsi, le conte de Rabah Belamri, extrait de Mémoire en archipel (1990), est lu à des enfants dès le début du texte : pris par le divertissement de l’exotisme, les images d’éléphants et de grands princes, il n’est pas impossible que la dénonciation de la loi du plus fort dans ce conte passe au second plan, oire disparaisse tout court dans l’esprit du jeune lecteur.

Il est étonnant de constater que des œuvres d’argumentation indirecte, comme les Fables de La Fontaine, soient encore aujourd’hui proposées à l’apprentissage par cœur dans les écoles primaires, car ces t ent une solide culture et S divertissante. De surcroît, les œuvres de fiction jouent généralement sur la notion de vraisemblance, donner l’illusion du vrai, mais elles ne sont pas pour autant vraies : c’est une réalité recomposée qui est donnée à voir au lecteur, non des faits. Pour convaincre le lecteur, les œuvres de fiction font appel un monde imaginaire, qui reconstitue de façon plus ou moins vraisemblable la réalité du monde : on peut s’interroger sur la validité de cette démarche, qui consiste construire du faux pour en déduire du vrai.

Ainsi, sur le thème de la loi du plus fort, les approches des auteurs ont été variées pour défendre le faible ainsi, la fable de La Fontaine intitulée « le loup et l’agneau » développe un dialogue fictif (et hautement improbable, puisque les animaux ne parlent pas) entre ces deux personnages qui fonctionnent comme des symboles du faible et du fort. Diderot, dans l’article « Autorité politique » de L’Encyclopédie (1775), défend également le faible mais à travers l’argumentation directe. Son raisonnement commence par une phrase simple, mais qui résume et énonce clairement l’idée principale, en se fondant non sur un discours fantaisiste entre deux animaux parlants, mais sur la logique des faits : « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres.

Le risque d’un récit S parait discutable : ses avantages sont nombreux, car elle permet au s’impliquer davantage dans le récit, de prendre du plaisir en lisant, ‘identifier aux personnages, éventuellement de ressentir une sorte de complicité avec l’auteur : tous ces éléments permettent de convaincre plus facilement le lecteur des idées défendues à travers le récit. Cependant, les œuvres de fiction, pour avoir une réelle portée argumentative, énormément sur le travail intellectuel du lecteur : les risques de mauvaise compréhension sont grands, et il peut sembler discutable de recréer un monde imaginaire pour convaincre quelqu’un d’idées bien réelles.