Fran Ais

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Dans les ors du salon parisien où il évoque pour nous le film adapté de son roman autobiographique, sa présence est un miracle en soi. L’enfant livré à l’Allemagne en 1944 par la Hongrie, son pays, à l’instar de 500 000 de ses compatriotes juifs, a survécu. Il est rentré à Budapest en 1945, libre, mais sans destin. Depuis son prlX Nobel, qui fit de lui en 2002 le premier auteur magyar distingué, Imre Kertész parcourt le monde, donne des conférences.

Dans deux heures, il se rendra à Matignon pour un tête-à-tête discret, à l’invitation de Dominique de Villepin, qui ffectionne ces déjeuners littéraires. Pourtant, nulle hiérarchie dans sa générosité. Cest avec la même curiosité qu’il considère son interlocuteur, ministre ou journaliste. Sa concentration, son regard intense e ravissante façon ded us or 10 L’homme connait la to neKtÇEge desquels manier les pour un écrivain hon out comme cette petites gorgées. au premier rang mand. Un paradoxe, marquee par l’univers concentrationnaire ? ?La langue de Roth et de Schnitzler n’est pas la langue des nazis s’exclame Imre Kertész. La langue – et la langue allemande, insiste-t-il – fut l’une des clés e sa survie. Dans les camps d’abord, où dès les premières minutes, sur le quai de la sélection, le mot juste assure la «bonne» file. Un «sechszehn » pour visa : «seize ans», l’âge du droit au travail. Sous le joug communiste, ensuite, auquel on rés page résiste en lisant les auteurs pas encore traduits en hongrois, Thomas Mann, Kafka ou Camus.

Plus tard, c’est aussi d’Allemagne que viendra son premier lectorat. Kertész traduit Schnitzler, Nietzsche, Freud, Canetti ou Wittgenstein, et, après plusieurs séjours, s’installe à Berlin en 2001. Dès la fin des années 40 s’impose à lui le besoin impérieux de l’écriture. Des gagne-pain, articles ou pièces populaires et, très vite, le roman. «Ecrire pour blesser» devient son dessein avoué. La langue comme un scalpel à agiter devant les yeux du lecteur. «ll y a une grande fracture entre les mots et la réalité.

Comment restituer Auschwitz ? L’art seul peut s’approcher de ces limites. Cest cette réflexion sur le besoin de tout recommencer que j’appelle créativité. » Kertész refute la conviction d’Adorno, selon laquelle «après Auschwitz, écrire un poème est barbares. Il s’en expliquait en 2002 : «Auschwitz a mis la littérature en suspens. A propos d’Auschwitz, on ne peut écrire qu’un roman noir ou, sauf votre respect, un roman-feuilleton dont l’action commence à Auschwitz et dure jusqu’à nos jours.

Je veux dire par là qu’il ne s’est rien passé depuis Auschwitz qui ait annulé Auschwitz, qui ait réfuté Auschwitz. Dans mes écrits, I’HoIocauste n’a jamais pu apparaître au passé. » Nul ne sort indemne de la lecture d’Etre sans destin, l’histoire de Gyurka, déporté à 14 ans. Kertész a mis quinze années à l’écrire, uinze de plus à le publier. Il a choqué, osant parler du «bonheur des camps de concentration» et organisant tout son livre pour tendre vers la détonation des dernières phrases. ?Etre sans d 10 organisant tout son livre pour tendre vers la détonation des dernières phrases. «Etre sans destin» : la formule sonne comme un glas. Primo Levi, Jean Amery, Tadeusz Borowski, Paul Celan se sont suicidés. Imre Kertész, lui, a vécu, comme un démenti ? son propre anathème. Etre sans destin : la malédiction était-elle réversible ? «Non, elle est immuable s’exclame spontanément elui qui écrivit le cinglant et magnifique Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, sur son renoncement à donner la vie.

Puis, après le bref recueillement qui précède chaque réponse, il tempère «Elle peut l’être à condition d’aller jusqu’au bout du chemin.  » A la fin du roman, en effet, le garçon a le choix : oublier et faire semblant, ou décider de dépasser son existence sans destin. «C’est une question indivlduelle, tranche-t-il. L’ordre du monde n’a pas changé après Auschwitz. La vraie question est : considère- t-on Auschwitz comme une expérience circonscrite – Allemands ontre Juifs – ou bien universelle ? Pour moi, c’est une expérience universelle, qui concerne toute la culture judéo-chrétienne. ? Destin et liberté sont-ils conciliables ? Longtemps difficile à convaincre de l’utilité d’adapter son roman au cinéma, l’écrivain en a finalement écrit le scénario. Il s’interroge sur la complexité de faire un film consacré à la Shoah après le monument de Lanzmann, soulignant la question de l’authenticité. Faut-il ou non montrer un camp de concentration ? Kertész regrette par exemple l’incompréhension suscitée par La ie est belle de Benigni : «Pourquoi ne pas utiliser la forme du conte pour évoquer Auschwitz ?

La vie est belle de Benigni : «Pourquoi ne pas utiliser la forme du conte pour évoquer Auschwitz ? Pourquoi ne pas utiliser « humour ? » Le détachement suggéré par la langue dans le roman est recréé par le jeu impressionnant du jeune acteur Marcell Nagy. Plus que la représentation des camps eux-mêmes, c’est la description du mécanisme conduisant un adolescent à être dépossédé de sa personnalité naissante qui a été cruciale pour Kertész. La force du film réside dans le regard du Candide sur les événements qu’il subit et finit par considérer comme naturels.

Cette distance singulière marque tout le travail de l’écrivain et n’est pas sans rappeler Camus. «En hongrois, note-t-il, étranger était traduit par « indifférent », qui signifie « détaché », mais aussi ‘affranchi ». » Destin et liberté sont-ils concillables ? A la fin du livre, Kertész répondait non, choquant à nouveau. Il y a un avant, un pendant et un après. Voilà quelques jours, Kertész publiait en Hongrie son autobiographie, où il pousse encore plus loin le principe du ournal initié avec Un autre – Chronique d’une métamorphose. ?C’est un essai en dialogue, s’amuse l’auteur. Et un roman, si l’on suit la définition de Nietzsche : « Le genre du roman provient des dialogues de Platon ». une mise en scène de ma vie, en quelque sorte. » En France vient de paraitre Roman policier, une charge contre le régime totalitaire hongrois publiée en 1975, à la barbe des communistes. pour dénoncer les abus du système policier, Kertész n’a eu qu’à transposer les faits en Amérique latine… Sur fond de putsch, il y décrit la relation d’un fils et d 0