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LA NOTION DE SEUILS DE CROISSANCE URBAINE COMME ENJEU STRA EGIQUE DU PROJET URBAIN EWA BEREZOWSKA-AZZAG, MAITRE DE CONFERENCES, DIRECTEUR DE RECHERCHE ECOLE POLYTECHNIQUE D’ARCHITECTURE ET D’URBANISME, EPAU, ALGER Introduction S’il est admis aujourd’hui que la ville est organisée comme un écosystème, il est possible alors d’envisager son fonctionnement comme celui d’un organisme vivant doté d’une morphologie (structu fonctionnelle), d’une forme de l’intelligenc sa capacité de gouve son développement ysl or 18 Sni* to e urbain) et d’une ortage politique de Pour aller jusqu’au bout de cette logique, on peut alors affirmer ue, comme pour tout organisme vivant, son développement obéit à un cycle de vie: naissance, croissance, maturité, mais aussi le déclin.

Nombreux exemples des agglomérations essoufflées, saturées, polluées et polluantes, insuffisamment approvisionnées en eau et en énergie, en manque de l’investissement vital pour leur survie économique et au bord de l’explosion sociale, témoignent à travers le monde de cette logique de déclin. Dans les pays en voie de développement, soumis à un fort taux d’urbanisation, le cancer de l’urbanisation anarchique et de l’étalement spatial sans précèdent ronge les gglomérations, aggravant la fragmentation et les dysfonctionnements déjà existants. Pourtant, la démarche de développement durable reconnaît d’excellence scientifique et technologique lui permettant d’accéder au panthéon patrimonial des témoins de notre époque.

L’urbanisation viable, vivable, équitablement répartie et équilibrée devient par conséquent la préoccupation primordiale de notre siècle, quelque soit la latitude géographique, le système politique ou l’échelle territoriale d’aménagement concernée. Cet objectif de maintien de croissance urbaine est cependant, aradoxalement, difficilement conciliable ? l’échelle locale avec la vision du cycle de vie propre à l’écosystème urbain. C’est pourquoi, depuis la conférence de Rio en 1992 et avec le lancement des Agendas 21 locaux ? travers la majorité de grandes villes des pays développés et en voie de développement 1 , le concept de développement durable urbain s’impose désormais comme base d’une planification urbaine nouvelle.

La maitrise de l’étalement urbain, dont les effets néfastes sont aujourd’hui communément reconnus, devient l’une de cibles principales de la démarche de DDIJ et entre comme réoccupation majeure dans la planification spatiale. Orientée jusqu’à présent sur une réglementation de l’occupation du sol entre l’urbanisé, urbanisable et non urbanisable, accompagnée d’une programmation obéissant aux prévisions démographiques déclarées comme un impératif ? prendre en charge et calculée aux limites de rentabilité des investissements, cette planification centrifuge pouvait laisser comprendre, théoriquement, que l’étalement urbain peut être admis à l’infini tant que les sols urbanisables soient déclarés disponibles et que les opérations d’urbanisation ainsi enclenchées restent rentables.

La préoccupation de durabilité par contre impose d’abord, de manière tout à fait logique, un retour sur la ville existante par le 18 d’abord, de manière tout à fait logique, un retour sur la ville existante par le renouvellement urbain, pour amorcer ensuite un véritable mouvement d’engouement pour les théories de la compacité morphologique présentées comme une panacée à l’étalement urbain et comme une solution miracle pour diminuer les impacts environnementaux et les dysfonctionnements socioéconomiques et spatiaux dus à l’allongement des distances. Mais si, effectivement, e resserrement des tissus, leur mixité et leur inscription à l’intérieur d’un périmetre donné considéré comme infranchissable permettent de pallier aux inconvénients induits par l’éloignement urbain, la question de la capacité de charge d’un tel pérlmètre se pose immédiatement.

On oublie souvent que la ville, organisme complexe fonctionnant grâce à l’interaction de trois milieux de vie (économique, social, environnemental), est dotée d’une activité intense, qu’elle consomme (eau, énergie, air, matière première, sol), transforme et rejette (déchets de tous types) comme tout organisme vivant et que par onséquent la densité des activités humaines influe sur son fonctionnement. Comme dans un organisme humain si les échanges métaboliques ne sont pas régulés, les influx nerveux ne contrôlent pas les gestes et le cerveau n’impulse plus l’action. Un emballement peut alors survenir qui mène vers le dérèglement total du système. La comparaison de la ville avec un organisme vivant est depuis longtemps utilisée en urbanisme pour décrire certaines analogies morphologiques (système circulatoire, tissus, poumon vert, etc. ), au point qu’il devient trivial de sy référer.

Il n’est pas pourtant interdit de pousser la réflexion lus loin: si la comparaison morphostructurelle s’avère juste, pourquoi ne pas chercher d’autres, si la comparaison morphostructurelle s’avère juste, pourquoi ne pas chercher d’autres, fonctionnelles celles-ci ? Un géant humain certes, imposant par sa posture, mais fragile et Incapable de réaliser des exercices les plus simples lui assurant les moyens de sa survie. Pourquoi le corps humain n’atteint en moyenne que 165 cm de taille, toutes races confondues (Larousse 2004) ? Pourquoi la relation d’équilibre entre la taille et le poids, prouvée depuis des lustres, revêt une importance capitale pour le bien-être du corps umain ? Reportée dans l’urbain, l’analogie est troublante.

Il devient alors intéressant de se pencher sur la questlon du seul acceptable de croissance d’un organisme urbain et sur l’existence éventuelle d’une taille optimale, capable d’assurer un fonctionnement correct de l’écosystème urbain. Bien qu’un certain nombre des ajustements naturels spontanés, susceptibles de constituer des « soupapes de croissance », se produit constamment en ville (démolitions, reconstructions, réaménagements divers, développement de l’économie informelle, de nouvelles formes d’occupation du sol et des espaces publics, oncentration des flux en fonction des événements éphémères, réaction de réduction ou d’augmentation de consommation de l’énergie et de l’eau en fonction des changements climatiques et des modes de vie, etc. ), ils ne sont pas capables de réguler le fonctionnement global de cet organisme complexe.

La croissance urbaine obéit ? un cycle de vie très spécifique (Soleri 1980, Krier 1998, Rogers 2000), qui la mène au stade de la maturité2 au delà duquel deux solutions seulement sont envisageables: stopper la croissance à son seuil optimal et assurer la dynamique interne ainsi que la reproduction par multiplication, ou ien laisser faire et m 8 assurer la bien laisser faire et même encourager la croissance in situ, au risque de voir l’ensemble atteindre une taille démesurée et de perdre la capacité de réguler son fonctionnement. La compréhension de ce phénomène est nécessaire pour approcher correctement la notion de seuils de croissance. 1. Phénomène de croissance urbaine et ses limites La croissance urbaine, irréversible dans un monde de compétition économique, scientifique, technologique et des échanges culturels intenses, s’effectue théoriquement selon un processus en boucle en trois étapes, qui entrent ans un véritable jeu de « perpetuum mobile » urbain (fig. 1). On s’aperçoit, dans cette boucle, de l’existence de plusieurs seuils dont la maîtrise relève de la planification urbaine.

Arrivée à un certain seuil de tolérance fonctionnelle ou physique, la structure spatiale, sociale et économique de la ville se disloque et une dispersion, décolonisation périphérique s’ensuit, souvent en raison des avantages des coûts fonciers, de l’accessibilité plus facile et de la qualité de vie meilleure. Le jeu d’attractivité centripète cesse d’être efficace dès qu’un changement quantitatif rovoque des changements qualitatifs néfastes — commence alors le jeu de répulsion centrifuge. Ainsi, la croissance urbaine se fait par des jeux de concentration et de déconcentration qui obéissent à la règle de nécessité de dépassement d’une série de seuils donnée. Fig. 1 Perpetuum mobile de croissance urbaine et ses seuils (Berezowska-Azzag, 2000) 2.

Notion du seuil de crois manières (Petit Robert 2003): * soit comme un niveau d’intensité minimale d’un stimulus, au- dessous duquel une excitation n’est plus perçue (seuil d’audibilité) – c’est une définition d’origine hysiologique, qui peut cependant se rapporter au stimulus de rentabilité économique des opérations d’investissement et d’aménagement urbain, mais aussi à un certain seuil de rapprochement social nécessaire pour la cohésion de la société urbaine; * soit comme une limite supérieure, au delà de laquelle un phénomène physique ne provoque plus un effet donné (seuil de saturation) – c’est une compréhension qui permet de saisir les effets de surexploitation des potentialités d’un éléments composant de l’écosystème urbain, de surcharge d’un milieu ou encore l’importance de la taille d’une unité de gestion/ dministration urbaine qui rend possible la gouvernance réellement participative; ‘k soit comme le niveau d’un facteur variable dont le franchissement détermine une brusque variation des phénomènes liés à ce facteur (seuil critique) – c’est une définition couramment utilisée en physique, mathématique, économie, qui se rapporte aussi aux effets de la croissance démographique en milieu urbain; * soit comme un point limite de passage entre deux catégories du milieu, entre un état et un autre (notion souvent employée en sociologie, géographie, anthropologie, etc. , où un léger changement uantitatif provoque un changement qualitatif considérable (Lacoste, 2003) – par exemple le changement de structure de centralité ou le changement de hiérarchie des unités de st baine PAGF 6 8 jusqu’à présent uniquement sous leurs aspects économiques, de rentabilité financière des aménagements induits par un accroissement démographique prévisionnel donné au départ (Mallsz 1 972, Merlin 1987). Mais l’évolution de la science de l’urbain et l’apparition dans les années 90 du projet Urbain en tant qu’outil de développement durable ont considérablement changé le concept même du seuil. Le milieu urbain étant désormais considéré comme un écosystème urbain, son équilibre est constamment menacé par les mutations socio-économiques et spatiales qui accompagnent son développement.

Souvent on y constate le dépassement de divers seulls: de tolérance au bruit, de saturation de transport en commun, de saturation de voirie et des réseaux techniques, de pollution atmosphérique ou hydrique, de saturation foncière, de saturation démographique par surdensification, de capacité du bassin hydrographique d’approvisionnement en eau potable, de capacité de l’atmosphère à absorber les gaz à effet de serre et ?viter la production des ilots de chaleur urbaine, de capacités de territoires à recycler les déchets urbains divers, etc. Les seuils urbains peuvent aussi être compris comme les limites au-delà desquelles l’accès à un centre n’est plus rentable pour un ensemble des activités ou de produits (Peski 1999). Le dépassement simultané de plusieurs types de seuils dans un périmètre urbain donné indique l’atteinte d’un régime critique de fonctionnement, au delà duquel l’instabilité du système peut être constatée.

La perte de l’équilibre de l’écosystème risque alors de provoquer des effets e commutation avec les territoires voisins. On parlera du seuil d’instabilité et du seuil de commutation urbaine, en fonction des capacités de résilience de l’écosystème. Il se produi 7 8 de commutation urbaine, en fonction des capacités de résilience de l’écosystème. Il se produit alors un effet de recomposition soit par un report des problèmes sur des alres plus ou moins étendues par la fragmentation de l’existant et l’étalement selon le principe de fractalité (développement spontané aréolaire, Pumain 1998), soit par ionisation de l’ensemble urbain existant (développement maîtrisé,

Krier 1998), qui peut conduire au rétablissement des équilibres par effet de « covalence urbaine » entre les sousensembles (Berezowska-Azzag 2000), soit encore – à l’échelle territoriale plus étendue – par la multiplication des pôles équivalents en réseau selon le principe de constructalité (développement maîtrisé optimisant, réticulaire, Poirier/Bejan 2003)3. 3. Apport de l’analyse des seuils à la planification urbaine durable L’analyse des seuils de développement urbain peut être effectuée de différentes manières: 1 . en confrontant les capacités de résilience4 des quatre milieux: ?conomique, social, environnemental bâti et naturel, selon une méthode systémique et une méthode d’analyse combinatoire (Fusco 2002) 2. en évaluant la compacité comme conformité de l’état de l’écosystème aux principes/objectifs de développement durable (aux indicateurs de développement durable).

Si la notion de la ville durable compacte émerge aujourd’hui (Saleri 1 980, Krier 1998, Rogers 2000, Ascher 2001, Hall 2003, Mangin 2004), pendant des décennies l’appréciation de la compacité urbaine se résumait à la mesure de quelques indicateurs traditionnels liés à l’intensité d’occupation u sol par le bâti et les activités humaines. Les villes arabes médiévales, réputées pour leur compacité, n’ont jamais été étudiées autrement qu’à travers ce ètres, pourtant elles sont autrement qu’à travers ce type de paramètres, pourtant elles sont riches en expérience de régulation de la taille démographique et des densités urbaines à partir des éléments environnementaux, sociaux, économiques, juridiques et institutionnels, qui pourraient servir d’exemple.

La démarche de développement durable qui place l’urbain dans un contexte écosystémique permet de déceler des ombreuses nouvelles appréciations de la densité: à chaque domaine-cible de DDU peut être associée 4 un paramètre de densité urbaine, pour peu que l’on élargisse sa compréhension de celle des densités traditionnelles (résidentielle, de l’habitat, d’occupation du sol COS et CES), à des notions aussi variées que la densité d’activité humaine DAH (Fouchier 1997), densité psychosociale liée à la perception et au vécu des espaces (Lacaze 1995), densité de consommation des ressources, d’émission des déchets liquides et solides, d’émission des nuisances et pollutions diverses (Randall 2003), densité sensorielle iée à l’indice de perception du climat et microclimat urbain, densité des flux optimale pour faciliter la mobilité et réduire la consommation énergétique, densité sécuritaire d’usage jour/nuit (humaine, du bâti) qui rend possible et effective aussi bien l’alerte que l’évacuation en cas de risques majeurs naturels, technologlques ou sanitaires (Dubois-Maury, Chaline 2004), densité de confort urbain qui témoigne de la capacité d’accueil et de l’accessibilité aux services et équipements urbains, etc. De plus, la densité est un paramètre négociable dans le contexte local, puisque l’élaboration des seuils de PAGF 18