chimie
La préface Le procès des « Fleurs du mal » s’ouvre le 20 août 1857. Il a été précédé, comme c’est souvent et encore le cas, d’un bombardement de presse. Gustave Bourdin, dans « le Figaro » du 5 juillet : « L’odieux y côtoie l’ignoble, le repoussant s’y allie ? l’infect. » Ça ne suffit pas : nouvelle attaque le 12 juillet dans le même journal, car le ministère de l’intérieur fait du journalisme et même de la critique littéraire. II est à noter que Flaubert a été acquitté un peu plus tôt pour « Madame Bovary mais Flaubert bénéficie d’un bon environnement social.
Baudelaire, pas du out, et d’ailleurs son beau-père, le puissant général Aupick, vient Swipe to page de mourir. La réputa découvert. L’accusation porte su sur ratteinte à la mo mauvaise. Il est ? or 13 Sni* to View ligieuse d’un côté, et tteinte à la morale religieuse : « le Reniement de saint Pierre », « Abel et Caïn « les Litanies de Satan « le Vin de l’assassin Curieusement, ces pièces ne seront pas condamnées, comme quoi l’époque faiblit déjà sur l’orthodoxie religieuse (presque plus personne n’y croit). LIRE Poèmes interdits En revanche, la morale publique tient encore le coup.
Sont donc isés les poèmes suivants : « les Bijoux « Sed non satiata », « le Léthé « A celle qui est trop gaie D, « le Beau Navire « A une mendiante rousse », « Lesbos », « Femmes damnées « les Métamorphoses du vampire ». Plus important que la religion, il y a le mystère de « la Femme Il est en danger. La condamnation portera sur six poèmes de cette liste, les immortalisant du même coup. La Cour de Cassation réhabilitera Baudelaire le 31 mai 1949. Vous avez bien lu : quatre-vingt-douze ans après, sans parler des désastres de deux guerres mondiales.
Ernest Pinard (qui a déjà requis contre Flaubert) défend la morale ublique, c’est-à-dire la morale tout court. Son discours est épatant. Jugez-en « L’homme est toujours plus ou moins infirme, plus ou moins faible, plus ou moins malade, portant d’autant plus le poids de sa chute originelle qu’il veut en douter ou la nier. Si telle est sa nature intime tant qu’elle n’est pas relevée par de mâles efforts et une forte discipline, qui ne sait combien il prendra facilement le goût des frivolités lascives sans se préoccuper de l’enseignement que Pauteur veut y placer. ? Notez bien « mâles efforts » et « forte discipline La dlscipline est la force principale des armées. Il y aura beaucoup de mâles français à faire massacrer. Ernest Pinard, c’est évident, adore faire ce réquisitoire. On peut supposer que, la veille, il a lu ces poèmes osés à Mme Pinard. On entend celle-ci : « Arrête ces cochonner 13 entend celle-ci : « Arrête ces cochonneries, Ernest ! » C’est tout émoustillé par cette chaude soirée que monsieur le substitut arrive à faudience.
Là, il se déchaîne, il récrit les poèmes, il les résume en faisant saillir, dans son style, les sujets scabreux. Dans « le Léthé il voit « une vierge folle dont la jupe et la gorge iguë aux bouts charmants versent le Léthé b. Pourquoi « vierge folle » ? On n’en sait rien, mais l’expression ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd, ce sera Rimbaud (qui a 3 ans à l’époque) dans « Une saison en enfer Dans « les Bijoux D, Pinard voit une « femme nue, essayant des poses devant son amant fasciné » (a-t-il demandé ce service à Mme Pinard ? Cest probable). ? Les Métamorphoses du vampire surtout, l’inspirent. Il voit une « femme vampire étouffant un homme en ses bras veloutés, abandonnant aux morsures son buste sur les matelas qui se pâment d’émoi, au point que les anges impuissants se amneraient pour elle Bien entendu, tous ces mots se trouvent dans le poème, mais une fois transcrits par Pinard ils deviennent des clichés piteux. Des bras « veloutés » ? Mais non, Baudelaire a écrit « redoutés ». Mme Pinard avait peut-être des bras un peu veloutés, mais devait cacher avec circonspection sa nature de vampire.
Nous rions de Pinard, et nous avons tort. De même que les sa nature de vampire. vampires se métamorphosent, la censure se déplace, se rhabille, se grime, change apparemment de but, mais conserve la même structure. Je me fais fort, aujourd’hui, de rendre les poèmes de Baudelaire scandaleux ou insignifiants pour des professionnels de la publicité, du porno, de l’Audimat, des conseils d’administration, des marchés financiers. Ils sont trop compliqués, ces poèmes, élitistes, contraires aux « gay and lesbian studies », on peut même y discerner une vieille composante religieuse malsaine.
Le Mal avec une majuscule est intolérable, et je me demande même s’il n’y a pas dans ces élucubrations une atteinte à la bonne morale laïque, ou plus exactement des propositions métaphysiques insensées. La sexualité est saine, épanouie, obligatoire, rentable. De quoi nous parle cet aristocrate pervers ? Baudelaire n’a aucun succès aux Etats-Unis, c’est prouvable. En réalité, il s’agit de poésie, donc de musique, donc de complexité physique, donc d’intelligence, donc de désir, donc d’érotisme impossible à vulgariser.
Quand Baudelaire, dans « Lesbos parle de « balsers chauds comme les soleils » ou « frais comme les pastèques de baisers qui sont « comme les cascades « orageux et secrets, fourmillants et profonds j’ai, ou je n’ai pas, l’expérience personnelle de ces féeries de bouche. Des « filles au 3 profonds », j’ai, ou je n’ai pas, l’expérience personnelle de ces éeries de bouche. Des « filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses » ? Baudelaire les a rencontrées. Il sait quelque chose de l’autre sexe replié sur lui-même, et c’est là sa découverte, son extraordinaire nouveauté . ? Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs, Et je fus dès l’enfance admis au noir mystère Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs. » Selon la loi de composition du poème, Baudelaire répète le premier vers qui devient ainsi, solennel, le dernier d’un quatrain qui passe ainsi à cinq : ? Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre. » Voilà une proposition considérable : entre tous, sur la terre. Et cela, dès l’enfance admis au noir mystère. Baudelaire se présente donc comme un élu (pour qui se prend-il ? . Un élu en-dehors de la métaphysique et de son homosexualité masculine implicite : Laisse du vieux Platon se froncer l’oeil austère. (Ce vers est d’un humour délicieux). Le premier titre des « Fleurs du mal » (après celui de « les Limbes » vite abandonné) était « les Lesbiennes P. Le mot n’avait pas encore de connotation sexuelle marquée. On disait « tribades ? (c’est d’ailleurs le terme que Pinard emploie à l’audience). Mais on sait que Proust était plus qu’intrigué par Baudelalre, et qu’au fond i PAGF s 3 l’audience).
Mais on sait que Proust était plus qu’intrigué par Baudelaire, et qu’au fond il ne voulait pas admettre son hétérosexualité spéciale. A l’ombre des jeunes filles en fleurs ? Les voici. Elles protègent un « noir mystère et Baudelaire a été choisi pour le chanter, ce qui est éminemment condamnable. Un mystère doit le rester, surtout s’il est « noir Mais Baudelaire, ici, se dit le continuateur de l’admirable poésie de Sapho, et donc ‘Aphrodite. « Mère des jeux latins et des voluptés grecques Aphrodite ou Vénus ? Aphrodite, Sapho.
La « mâle Sapho » est à la fois « l’amante et le poète » : « Plus belle que Vénus se dressant sur le monde Sur le vieil Océan de sa fille enchanté. » Baudelaire affirme quelque chose de très précis : jusqu’à lui, tout le monde s’est trompé sur Vénus et ses alentours, alors que lui, dès l’enfance, est entré dans le « noir mystère », dont personne, au fond, ne veut entendre parler. II ne s’agit pas seulement de « lesbiennes même si (voir Proust) c’est de ce côté-là que uelque chose résiste et peut s’éclairer.
Ce que Proust imagne, Baudelalre le voit. Le narrateur de la « Recherche » passe son temps à essayer de pénétrer dans le « noir mystère objet de sa jalousie. peu importe, ici, que l’homosexualité féminine soit un déguisement de la masculine, c’est elle qui attire le récit, le charge, le fait brûler. Dans une conversa 6 3 déguisement de la masculine, c’est elle qui attire le récit, le charge, le fait brûler. Dans une conversation avec Gide, Proust va même jusqu’à dire que Baudelaire devait être lui-même homosexuel.
Eh non. Il est ce très étrange hétérosexuel admis au « noir mystère Albertine et Andrée, chez Proust, ne se dévoilent jamais, alors que Delphine et Hippolyte, dans Femmes damnées posent en pleine lumière. De là, on le sait, vient le tableau de Courbet, Le Sommeil ou Les Dormeuses, ou encore Paresse et luxure. On connaît les rapports étroits entre Baudelaire et Courbet. « La dormeuse du val » Mais c’est Manet qui fera le portrait de Jeanne Duval, la maitresse de Baudelaire, celle qui illumine Les Fleurs.
L’amour entre femmes implique, on le sait, le rejet et l’exclusion e l’homme conçu comme brutalité déflorante et bestialement reproductrice. C’est dans ce « pas d’homme » radical que Baudelaire s’introduit, en faisant parler comme jamais les actrices de cette récusation fiévreuse. Leurs baisers sont « légers comme des éphémères, qui caressent le soir des grands lacs transparents Leur plaisir est un désir d’oubli, d’enfouissement, de sommeil, de néant, de mort.
Mais le prix à payer est une rage stérile, sans cesse renouvelée, comme s’il s’agissait de fuir un infini intérieur. On est donc bien en enfer, mais dans la révélation inouïe que la mort, au fond, jouit fémini 3 donc bien en enfer, mais dans la révélation inouïe que la mort, au fond, jouit fémininement d’elle-même. Qu’elle vienne sur scène pour le dire n’est pas du goût de la Société, on s’en doutait. Condamné. jeanne elle-même est une « âme cruelle et sourde un « tigre adoré un « monstre aux airs indolents ».
Son beau corps est « poli comme le cuivre De nouveau, il s’agit d’abîme et d’oubli, de baisers profonds comme un fleuve. On peut s’abreuver à ce courant comme un enfant, pourtant il ne s’agit pas de lait mais de léthé (Baudelaire, bien entendu, joue de Péquivoque sonore). Ce vin-là, il est exclu que les Pinard le boivent à travers les siècles. De plus, Jeanne est une métisse, une quarteronne, une femme de couleur, grâce à laquelle la poésie française trouve enfin ses plus éclatantes couleurs. Gabriel Lefebvre , Illustration pour A celle qui est trop gaie , 2005. GIF) Parmi les plus beaux vers de Baudelaire, ceux-ci, dans A celle qui est trop gaie « Ta tête, ton geste, ton air Sont beaux comme un beau paysage, Le rire joue en ton visage Comme un vent frais dans un ciel clair. » Cette fois, nous sommes avec une s ? ur (« mon enfant, ma s ? ur ?), c’est-à-dire dans une autre dimension incestueuse que celle de la mère froide (Baudelaire en sait beaucoup sur ce sujet). La s ? ur est belle comme un voyage et un paysage, la santé rayonne de 3 beaucoup sur ce sujet). La s ? r est belle comme un voyage et un paysage, la santé rayonne de ses bras et de ses épaules, les couleurs de ses toilettes correspondent à son « esprit bariolé » C’est une fleur de la Nature, insolente, qu’on a envie de « punir » (sadisme après la transe masochiste). Et là, les Pinard à travers les âges, voient avec horreur leur fille (qu’ils adorent), blessée ‘un coup de couteau au flanc (plaie christique), et le poète malade, à travers ces « lèvres nouvelles lui infuser son « venin Donc maladie vénérienne, syphilis, sida. Donc crime.
Baudelaire exagère : c’est maintenant le Cantique des cantiques (très peu lu, en général, par les Pinard), qu’il imlte, qu’il parodie, qu’il souille. Les Bijoux : « La très chère était nue, et, connaissant mon c ? ur, Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores. » Que voulez-vous, ces bijoux sont indiscrets, et le mot « bijou » lui- même, mêlant le faste à la nudité, ne me paraît pas, à moi, Pinard, à sa place. Diderot nous a dejà fait le coup, mais ce Baudelaire va plus loin, il flashe sur des négresses, et des étrangères (moue pincée des femmes Pinard à travers le temps). ar exemple, il voit une certaine Lola de Valence, et aussitôt, tac, un bijou rose et noir C’est un obsédé dangereux, surtout à cause de son goût dépravé du luxe. II l’avoue lui-même : il aime « à la fureur » « les chos PAGF 13 cause de son goût dépravé du luxe. Il l’avoue lui-même : il aime « à la fureur » « les choses où le son se mêle à la lumière Donc la femme nue (avec ses bijoux sonores) est couchée et « se aisse aimer Le désir de ce pervers monte vers elle, comme la mer vers une falaise (encore du naturisme parfaitement déplacé).
Là-dessus, face à son « tigre dompté la négresse « essaye des poses ». Baudelaire se lâche : il accumule des mots qu’on préférerait ne pas voir : bras, jambe, cuisse, reins, ventre, seins — il fait onduler tout ça et ose même comparer l’ensemble aux « grappes de sa vigne Singulier vigneron, n’est-ce pas. Mais il ne s’en tient pas là : la danse féminine est comparée à celle des « anges du mal venant déranger l’âme, calme et solitaire, sslse sur son rocher de cristal. Un vers comme « sa taille faisait ressortir son bassin » est ici franchement obscène.
Même chose pour « Sut ce teint fauve et brun le fard était superbe. » Et que penser de ce feu, de ce foyer qui « inonde de sang cette peau couleur d’ambre ? » Sommes-nous encore chez nous ? Le sieur Baudelaire, je tiens à le rappeler, a écrit, parmi tant dautres incongruités insupportables, deux vers sur la prostitution qu’il faut effacer des bibliothèques et de la mémoire humaine : « Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive, Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu…