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75 Crise et gestion de la responsabilité sociétale des entreprises du CAC 40 : Analyse de leur communication sur leur politique RSE entre 2006 et 2010 par Elizabeth Franklin-Johnson et Katia Richomme-Huet Elizabeth FRANKLIN-JOHNSON Doctorante Cerefige et PhD Ecricome Assistante de Recherche Euromed Manageme Katia RICHOMME-HU Docteur HDR en Scie Professeur Associé 8 p g Euromed Management, Marseille, France e 10 juillet 2007, l’agence de notation Moody’s baisse la note de titres liés aux prêts dits « subprimes » ; le 10 août, BNP Paribas annonce le gel de fonds de placement dont les itres sont adossés à ces mêmes subprimes (La Documentation Française, 2008). L’instabilité financière conduit rapidement ? l’effondrement du système, à l’intervention des États et des banques centrales, puis à la réalisation d’un risque systémique qu se traduit par la propagation de la crise à l’ensemble des pays et des secteurs économiques par contagion.
Dans le même temps, le modèle de gouvernance des entreprises traverse une crise de légitimité profonde, notamment depuis les grands scandales des années 2000 (comme Enron ou Parmalat, par exemple), qui est aggravée par la situation internationale u CAC 40 ont répondu à cette contrainte d’adéquation, entre leurs buts privés et l’intérêt général, et si les sociétés aux bilans financiers délicats ne se sont pas orientées vers des outils quantifiables, plus facilement maitrisables et moins volontaires, afin de répondre a minima à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE à présent) au sens de J. -p. Gond et A. Mullenbach-Servayre (2004). Dans ce but, nous mobilisons l’approche contractualiste (C. Gendron, 2000 ; I.
Dhaouadi, 2008) qui inclut théorie des parties prenantes et théorie intégrée des ontrats sociaux, et la théorie de la légitimité qui contraint les entreprises à justifier leur action à la fois par des discours et des indicateurs choisis en fonction de leur cible (J. Igalens, 2007). Dans cette démarche exploratoire qui cherche à étudier mai-août 2012 Dossier Il Financer autrement ? La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion no 255-256 – Finance 76 un phénomène selon une nouvelle perspective (C. Marshall et G. B. Rossman, 1995 ; H. Bergiund, 2007), il S’agit de répondre à une question essentielle : est-ce que les entreprises du CAC 40 annoncent une gestion différente de leur politique et leurs ratiques RSE dans la période rticulière générée par la crise financière de 2007 ? pour avons choisi d’analyser les 28 partir des éléments financiers et extra-financiers.
Dans un premier temps, nous présentons le cadre conceptuel de la recherche en définissant les principaux concepts mobilisés. Dans un deuxième temps, nous justifions les choix méthodologiques effectués en fonction de la finalité exploratoire de notre étude, en précisant l’échantillon retenu et en décrivant la collecte, puis l’analyse des données recueillies. Enfin dans un troisième temps, nous exposons les résultats de a recherche au niveau des discours et des pratiques publiés. 1. Les principales conceptions de la RSE Après avoir défini théoriquement la responsabilité sociétale des entreprises dans une perspective historique, nous nous intéressons à son intégration dans les firmes. 1. 1 .
Une perspective historique et théorique La question de la responsabilité et des obligations des entreprises remonte aux années 1930, avec la prise en considération des impératifs sociaux (essentiellement en interne, concernant les salariés) et politiques (vis-à-vis de la place et du rôle des organi- ations dans la société) ; puis, progressivement, la dimension environnementale (écologique et de préservation des ressources considérées comme limitées à partir des années 1970) favorise l’émergence d’un concept plus large. De fait, nous préférons l’appellation responsabilité sociétale, parce qu’elle englobe l’ensemble des attentes des parties prenantes (E. Freeman, 1984) et favorise une vision plus holistique des obligations de l’entreprise (H. R. Bowen, 1953), au-delà de sa simple fonction de production et de maximisation de profit (T. Levitt, 1958 ; M. Friedman, 1962). C’est pourquoi nous avons choisi de conduire notre analyse de la notion pas de 2E C’est pourquoi nous avons choisi de conduire notre analyse de la notion RSE dans les pas de J. -p. Gond et A. Mullenbach-Servayre.
En 2004, dans la Revue des Sciences de Gestion, ils cosignent un état de l’art toujours pertinent sur le concept de responsabilité sociétale des entreprises. Tout d’abord, ils en rappellent le caractère ambigu et critiquable , tandis que les uns (à savoir les parties prenantes) regardent et jugent ce qui les concerne directement en pratique (selon qu’ils sont salariés, ONG, actionnaires, etc. , les autres lui reprochent son manque d’assise conceptuelle (puisque notion essentiellement extra-académique) et ses applications instrumentales et manipulatrices (notamment les sociologues comme C. Gendron, 2000), voire quasi charitables dans leur acceptation anglosaxonne (L Ramboarisata et A. De Serres, 2010).
Puis, en fonction des champs de tension qui résistent (entre positivistes normativistes, volontaristes et utilitaristes, stratégie et éthique, mesures empiriques et développements théoriques), ils posent fondements existants à partir des théories des parties prenantes, ontractualiste (du contrat entreprise-société) et néo- institutionnaliste. Enfin, ils énoncent de nouvelles perspectives selon quatre approches (cf. Tableau 1) dénommées instrumentale (la RSE comme ressource stratégique), dynamique (processus d’apprentissage), psychologique (contrat non seulement social mais aussi psychologique) et critique (discours de légitimation). De fait, notre propre sensibilité et appréhension de la RSE reposent dans cet article plus sur une approche combinée de Tableau 1. Perspectives pour un renouvellement des fondements théoriques de la RSE Source : J. -P. Gond et A. Mullenbach-Servayre (2 4 28 renouvellement des fondements théoriques de la RSE Source : J. -P. Gond et A.
Mullenbach-Servayre (2004) contractualisme (théorie du contrat « sociétal ») et de critique (théorie de la légitimité) à cause du contexte spécifique des entreprises françaises du CAC 40, issu d’un assemblage de pratiques historiques : le fort ancrage paternaliste dès le XIXe siècle, le conflit social de 1936 et le Front Populaire, les œuvres sociales de la Seconde Guerre mondiale et Ventrée massive des femmes sur le marché du travail, l’essor des lois sociales entre 1945 t 1960, les évènements et faits sociaux dans les années 1960, les préoccupations sociales et environnementales formalisées dans le bilan social et la comptabilité dans les années 1970, les velléités de citoyenneté des personnes morales dans les années 1980 jusqu’à la RSE de la fin des années 1990, voire d’un néopaternalisme dans les années 2000 allié à une forte communication sur les bonnes pratiques de la première décennie du XXIe siècle. Nous en retenons que l’entreprise « en tant qu’acteur sociétal, ne peut se préoccuper de son seul bien-être, elle doit s’intéresser u bien-être de la société dans son ensemble » (J. -P. Gond et A.
Mullenbach-servayre, 2004 : 95) et ce, malgré une dimension idéologique positive puisque potentiellement influente et allouant de réelles implications aux parties prenantes (T. M. Jones, 1996). Cette approche permet de redonner une légitimité aux organisations, à condition d’en respecter les termes du contrat soci(ét) al au sens de T. Donaldso ee (1994). Il s’agit donc s E considération l’impact social et environnemental de leurs activités sur la société dans sa globalité, et ce, sans chercher à en obtenir un bénéfice direct (C. Adams t A. zutshi, 2004). 1. 2. L’intégration de la RSE dans les entreprises comme nouveau mode de gestion Gérer la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) entraîne a priori une autre façon de diriger, quasi incontournable (S. Mercier, 2000).
Pourtant, entre la théorie et la pratique, entre Foblgation légale et l’application managériale, se dessine essentiellement une implication minimale dans des démarches sociales et légales (A. Lindgreen et V. Swaen, 201 0), notamment dans la production de bilans de développement durable (CorporateRegister. com, 2010). Bien que perçu comme un outil stratégique permettant e développer un avantage concurrentiel (A. Neely, 1999), cela ne signifie pas pour autant la mise en place de véritables politiques d’entreprises (AC. Martinet et E. Reynaud, 2004). En effet, en France notamment, ces rapports viennent judicieusement remplacer la publication de bilans sociaux, facilitant ainsi une communication ciblée autour d’un argumentaire de façade (F.
Lordon, 2003) mettant en exergue les éléments environnementaux, plus favorables en temps de crise que les indicateurs sociaux. Face à une perte conséquente de leur légitimité (F. Tonkiss, 2009), les entreprises y voient un atout pour masquer eurs pratiques de gestion « inhumaine » et à demeurer à des 77 niveaux de règles légales minimales F. Mauléon etJ. Y. Saulquin, 2008). or, Si le fait d’avoir ent responsable est 6 2E (M. Epstein et K. Schneitz, 2002 ; J. Vanhamme et B. Grobben, 2009) et d’améliorer leur image (Y. Yoon, Z. Gurhan-Canli et N. Schwarz, 2006), il est intéressant d’étudier comment les entreprises ont prétendu répondre à la RSE pendant la période de crise.
En effet, ces situations particulières mettent une pression accrue sur les acteurs économiques qui se doivent d’éviter les possibilités ? de contestation, de revendication, de critique, voire d’action citoyenne (boycott) » (C. Bodet et T. Lamarche, 2007 : 3) ayant pour conséquence une réputation d’irresponsabilité sociétale au sens de M. Descolonges et B. Saincy (2004) et des déclinaisons économico-financières négatives. La figure 1 propose une représentation de cette confrontation entre les objectifs de l’entreprise et les attentes des parties prenantes aux différents niveaux. Figure 1. Représentation de l’impact de la crise sur les trois niveaux de la RSE.
Lorsque la crise financière atteint la sphère des affaires (cf. Annexe 1), elle impacte nécessairement les stratégies sur les autres domaines. En clair, pour maintenir les niveaux de profit pour les actionnaires, le court terme est privilégié et les coupes drastiques ciblées sur des licenciements boursiers, des gels d’investissements, voire des délocalisations. Mais au-delà des poncifs immédiats, il convient de proposer une grille de lecture afin de mieux repérer les réponses fournies par les entreprises. Nous optons pour une conception contractualiste de la RSE qui, dans l’optique exploratoire de cette recherche, permet une première analyse.
Malgré un manque évident de bases théoriques et des difficultés pratiques quant à la définition de la nature des groupes constituant les parties prenantes ou de leurs i pratiques quant à la définition de la nature des groupes constituant les parties prenantes ou de leurs intérêts parfois antagonistes, la théorie des parties prenantes propose une vision plus extensive et plus complexe de la stratégie, non limitée aux seuls actionnaires ou aux concurrents, intégrant alors des variables sociopolitiques, des notions d’éthique et de porosité des frontières de Pentreprise (D. Cazal, 2011). De plus, bien que critiquable parce qu’individualiste et libérale (D. Cazal, 2011), cette approche a néanmoins dominé la période 1984-2005 (l. Dhaouadi, 2008) et la crise a certainement limité 78 les potentialités de développement de la conception politique. C’est pourquoi nous estimons pertinent de conserver cette approche après 2005, et d’étudier la période 2006-2010 selon les critères mis en exergue par l’auteur dans le tableau suivant afin de vérifier la conception de la RSE par les entreprises du CAC 40, qui se situent plutôt dans ce compromis entre volontarisme et libéralisme. Tableau 2.
La conception c de la RSE selon l. système économique. Garantir la stabilité du contexte sociétal dans lequel opèrent les entreprises. Concepts clés Le contrat social. Les parties prenantes. Les principes de justice. Conception de la RSE Les entreprises ont Poblgation éthique de contribuer à l’augmentation du bien-être de la société. Elles doivent satisfaire les intérêts de leurs parties prenantes sans violer les principes de justice. La grille de lecture étant définie, nous allons aborder la procédure de recherche afin de répondre à notre question quant à la estion de la RSE selon les entreprises du CAC 40 durant les années 2006 à 2010. 2.
Le Design de la recherche Compte tenu de notre objectif de recherche, nous avons opté pour une méthodologie quartative, permettant le recueil et l’analyse de données secondaires issues d’archives. 2. 1 . Une méthodologie qualitative pour une finalité exploratoire Cobjectif général de la recherche est de déterminer les pratiques signalées par la population des entreprises du CAC 40 en matière de RSE dans un contexte particulier, à savoir la crise financière de 2007. Il s’agit donc de s’intéresser à l’analyse de cas concrets ans leur temporalité et le é singulière (IJ. Flick, écrits. Dans les deux premières méthodes, le biais le plus important repose sur la présence du chercheur et son interaction (intentionnelle dans le cas de l’entretien ou indirecte pour celui de l’observation) avec son objet d’étude.
De fait, l’étude de documents écrits permet de collecter des données, certes secondaires, mais sans intervention ri1 orientation préalable et a posteriori. La recherche clinique, notamment en psychologie, tend à considérer cette catégorie comme idéale pour cette raison (M. Villamaux, 2004). II s’agit ‘analyser des textes de nature et de forme diverses, que ce soit des écrits ou des oraux chiffrés, des documents officiels ou privés, distribués ou vendus (M. Grawitz, 1996). Dans le cadre des entreprises du CAC 40, où le discours tient une grande place (oral ou écrit), la collecte d’archives privées – au sens de documentation des organisations (M. Grawitz, 1996) – constitue une mine de renseignements relativement complète.
Alors que ces documents peuvent être difficilement accessibles, d’autres, publiques et obligatoires, sont mis en ligne sur les sites officiels des entreprises (C. Adams, 2002 ; C. Adams and G. Frost, 2006). Le chercheur avisé pourra ainsi collecter des documents chaque année afin de se constituer une base considérable de données à exploiter de manière longitudinale ou croisée avec d’autres firmes, voire dans d’autres pays. Dans le cadre de la RSE, les rapports annuels sont obligatoirement publiés par les entreprises cotées afin de faciliter l’information de l’ensemble des parties prenantes sur ses activités et sa performance dans les domaines économiques, sociaux et environnementaux (article 116 de la loi NRE du 15 mai 2001). Ils sont considérés comme un 0 8