anthologie

essay B

Anthologie sur le thème du voyage Charles BAUDELAIRE (1821-1867) L’invitation au voyage Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont I c or7 Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leu Sni* to View Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds,

La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret mince et vigoureux, Et des femmes dont l’oeil par sa franchise étonne. Guidé par ton odeur vers de charmants climats, Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encor tout fatigués par la vague marine, Pendant que le parfum des verts tamariniers, Qui circule dans l’air et m’enfle la narine, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers. Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire Arthur Rimbaud, bohème et illuminations je mien allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse et j’étais ton féal ,

Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. – Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse. – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur , Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur ! Joachim du Bellay, Les Regrets Heureux qui, comme Ulyss au voyaee, pauvre maison,

Qui m’est une province, et beaucoup davantage ? plus me plait le séjour qu’ont bâti mes aieux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine • Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l’air marin la doulceur angevine. Paul VERLAINE (1844-1896) Grotesques Leurs jambes pour toutes montures, Pour tous biens l’or de leurs regards, Par le chemin des aventures Ils vont haillonneux et hagards. Le sage, indigné, les harangue ; Le sot plant ces fous hasardeux ; Les enfants leur tirent la langue Et les filles se moquent dieux.

Cest qu’odieux et ridicules, Et maléfiques en effet, Ils ont l’air, sur les crépuscules, D’un mauvais rêve que l’on fait • Cest que, sur leurs aigres guitares Crispant la main des libertés, Ils nasillent des chants bizarres, Nostalgiques et révoltés ; Cest enfin que dans leurs PAGF3CF7 juins brûlent et les décembres Gèlent votre chair jusqu’aux os, Et la fièvre envahit vos membres, Qui se déchirent aux roseaux. Tout vous repousse et tout vous navre, Et quand la mort viendra pour voUs, Maigre et froide, votre cadavre Sera dédaigné par les loups ! Le voyage inutile Jules SUPERVIELLE, Le forçat Innocent

Sur la route une charrette Dans la charrette un enfant Qui ne veut baisser la tête Sous des cahots surprenants. La violence de la route Chasse Pattelage au loin D’où la terre n’est que boule Dans le grand ciel incertain. Ne parlez pas : c’est ici Qu’on égorge le soleil. Douze bouchers sont en ligne, Douze coutelas pareils. Ici l’on saigne la lune pour lui donner sa pâleur L’on travaille sur l’enclume Du tonnerre et de l’horreur. « Enfant cache ton visage Car tu cours de grands da sur nos cœurs des fleurs séchées fleurs de jadis Sont toujours là immarcescibles à nos cœurs tristes Je marcherai paisible vers les pays fameux

Où des gens s’en allaient aux horizons fumeux Et je verrai les plaines où les canons tonnèrent je bercerai mes rêves sur les vastes mers Et la vie hermétique sera mon désespoir Et tendre je dirai me penchant vers Elle un soir Dans le jardin les fleurs attendent que tu les cueilles Et est-ce pas ? ta bouche attend que je la veuille ? Ah ! mes lèvres ! sur combien de bouches mes lèvres ont posé Ne m’en souviendrai plus puisque j’aurai les siennes Les siennes Vanité ! Les miennes et les siennes Ah sur combien de bouches les lèvres ont posé jamais jamais heureux toujours toujours partir

Nos pauvres yeux bornés par les grandes montagnes Par les chemins pierreux nos pauvres pieds blessés Là-bas trop [près] du but notre bâton brisé Et la gourde tarie et la nuit dans les bois Les effrois et les lèvres Vinsomnie et les voix La voix d’Hérodiade en rut et amoureuse Mordant les pâles lèvres du Baptiste décollé Et la voix des hiboux nichés au fond des yeuses Et l’écho qui rit la voix la voix des en allés Et la voix de folie et de sang le rire triste De Macbeth quand il voit au loin la forêt marcher Et ne songe pas à s’apercevoir des reflets d’or Soleil des grandes lances des dendrophores

Pablo Picasso, « Les Bateleurs » huile sur toile, 1905 Jean-Baptiste Chassignet (1570? -1635? ) Jiay voulu voyager, à la fin le voyage Jiay voulu voyager, à la fin le vo a e (1570? -1635? ) J’ay voulu voyager, à la fin le voyage l’ay voulu voyager, à la fin le voyage M’a fait en ma maison mal content retirer. En mon estude seul jiay voulu demeurer, En fin la solitude a causé mon dommage. Jiay volu naviguer, en fin le navigage Entre vie et trespas m’a fait desesperer. Jiay voulu pour plaisir la terre labourer, En fin j’ay mesprisé l’estat du labourage. J’ay voulu pratiquer la science et les ars,

En fin je n’ay rien sceu ; j’ay couru le hasars Des combas carnaciers, la guerre ore m’offence : Ô imbecillité de l’esprit curieus Qui mescontent de tout de tout est desireus, Et douteus nia de rien parfaite connoissance. Philippe Desportes (1 546 – 1 606) J’ai longtemps voyagé, courant toujours fortune Sur une mer de pleurs, à l’abandon des flots De mille ardents soupirs et de mille sanglots, Demeurant quinze mois sans voir soleil ni lune. Je réclamais en vain la faveur de Neptune Et des astres jumeaux, sourds à tous mes propos, Car les vents dépités, combattant sans repos, Avaient juré ma mort sans espérance aucune.

Mon désir trop ardent, que jeunesse abusait, Sans voile et sans timon la barque conduisait, Qui vaguait incertaine au vouloir de l’orage. Mais durant ce danger un écueil je trouvai, Qui brisa ma nacelle, et moi je me sauvai, À force de nager évitant le naufra e, Musset Ainsi, mon cher, tu t’en reviens Du pays dont je me souviens Comme d’un rêve, De ces beaux lieux où l’oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d’Ève. Tu l’as vu, ce ciel enchanté Qui montre avec tant de clarté Le grand mystère ; Si pur, qu’un soupir monte à Dieu plus librement qu’en aucun lieu Qui soit sur terre.

Tu les as vus, les vieux manoirs De cette ville aux palais noirs Qui fut Florence, Plus ennuyeuse que Milan Ou, du moins, quatre ou cinq fois l’an, Cerrito danse. Tu l’as vue, assise dans l’eau, portant gaiement son mezzaro, La belle Gênes, Le visage peint, l’oeil brillant, Qui babille et joue en riant Avec ses chaînes. Tu l’as vu, cet antique port, Ou, dans son grand langage mort, Le flot murmure, Où Stendhal, cet esprit charmant, Remplissait si dévotement Sa sinécure. Tu l’as vu, ce fantôme altier Qui jadis eut le monde entier Sous son empire César dans sa pourpre est *AGF 3 rif 7 César dans sa pourpre est tombé :