Article Ridc 0035 3337 1997 Num 49 2 5434
M. Charles Jarrosson Les modes alternatifs de règlement des conflits. Présentation générale ln: Revue internationale de droit comparé. Vol. 49 N02, Avril-juin 1997. pp. 325-345. Citer ce document / Cite this document : Jarrosson Charles. Les modes alternatifs de règlement des conflits. Présentation générale. ln: Revue internationale de droit comparé. Vol. 49 N02, Avril-juin 1997 _ pp. 325-345. doi : 10. 3406/ridc. 19 http://www. persee. fr 0035-3337 1997 nu RI. D. C. 2-1997 ‘p cript/article/ridc 49 _ LES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES CONFLITS PRÉSENTATION GÉNÉRALE Charles JARROSSON * .
On fait souvent allusion à l’ironie de l’histoire ; il existe également une ironie de la géographie. Cest ici, à Damas, que saint Paul fit passage qui scella son destin. Or, quelques années plus tard, c’est même saint Paul qui, dans la lettre qu’il leur adresse, fustige les de leur durée. Afin de réagir à cet état de fait, c’est assez naturellement que, menes par le goût de la recherche ou par des considérations d’efficacité et d’économie, les regards se tournent ailleurs, vers d’autres modes de règle ment des litiges, parfois regroupés sous l’appellation de «justice ouce 3.
La naissance — ou le renouveau — des modes alternatifs de règlement des conflits a d’abord pris corps dans les pays de Common Law (aux États-Unis surtout), mais font l’objet d’une attention croissante dans les pays de tradition romano-germanique. Cet essor va de pair avec une certaine désaffection pour le droit et les solutions juridiques, comme si le droit était moins qu’hier l’instrument privilégié de la recherche du 1* Épître Professeur aux Corinthiens, à l’Université1 .
Paris 6,5. Il (Panthéon-Assas). 326 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARE 2-1997 juste. On souhaite parfois s’écarter non seulement du droit procédural, PAGF OF autrement que les procédés juridictionnels classiques : le procès devant le juge étatique ou l’instance arbltrale. 4. Cest d’abord dans la déception suscitée par les modes juridiction nels de règlement des litiges qu’il faut chercher l’origine de l’engouement pour ces autres modes de règlement des différends.
Et ce n’est pas un hasard si c’est au sein de la société qui connaît les plus grands procéduriers, la société américaine, que le mouvement a pris le plus d’ampleur. Cette constatation conduit de nombreux observateurs ? considér que la greffe ne prendra pas dans la vieille Europe, car on n’y connaitrait pas les débordements constatés outre-Atlantique, notamment en raison de la différence de procédure utilisée 3. Selon eux, les modes alternatifs de règlement des litiges seraient un antidote inventé par ceux-l? memes qui ont produit le poison 4.
Cependant, une observation plus attentive révèle que dans les pays de tradition romano-germanique, même si la pratique n’est encore guere répandues, un besoin est né, auquel ni le juge étatique ni l’arbitre peuvent aujourd’hui répondre 5. L’attente légitime des parties ne réside plus nécessairement dans Japon Journées de la Société de législation comparée, 1988, p. 255. Les caractéristiques procédurales de la Common Law, telles que la dlscovery ou la cross examination alourdissent considérablement la procédure, ce qui rend plus nécessaire une « alternative Y.
Par ailleurs, la discovery a pour effet de permettre à chaque partie de connaitre précisément les éléments dont dispose son adversaire ; ainsi, les cartes étant connues, la recherche d’une solution négociée est facilitée. 4 V. pour un exemple de ce débat, R. COULSON : « Will the growth of ADR In America be replicated in Europe ? Journal of International Arbitration, vol. 9, sept. 1992, p. 39 et la réponse de J. WERNER, dans la même revue, vol. 10, dec. 1993, p. 45: « Will European brains be set on fire ? Si l’on s’en tient aux institutions organisant la conciliation (Source Bull. our internationale d’arbitrage CCI, nov. 1994, p. 6), les chiffres, c’est une constante, incitent à la modestie. Ainsi, pour la CCI, entre 1988 et 1995, 2 000 demandes d’arbitrage ont été déposées ; dans le même temps, seulement 54 de conciliation l’ont été. Sur ces 54, 16 ont ?té acceptées par l’autre partie et, sur ces 16, 5 succès ont été obtenus. Depuis 1996, les résultats seraient meilleurs. Pour le règlement du CIRDI, depuis 1966, on dénombre trois saisines de la Commission de conciliation, mais un seul succès.
LES MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES CONFLITS 327 arrangements présentent toujours l’avantage de procurer aux parties la certitude de la solution. Les grands contrats lient les parties à long terme ; celles-ci n’ont donc pas les moyens de divorcer au cours de la réalisation de leur projet commun, et ressentent la nécessité d’inventer les conditions ‘intervention d’un tiers, sorte de tuteur de l’exécution du contrat, qui aplanira difficultés au fur et à mesure qu’elles se présenteront.
Ce tutorat doit cependant éviter les écueils que dressent devant lui certaines droit administratif notamment, lorsqu’il s’agit de contrats soumis a son régime. L’évolution des mentalités est loin d’être achevée. Certains craignent encore que proposer de recourir à des modes alternatifs de règlement de leur litige soit interprété comme un signe de faiblesse de leur part. Mais, les modes alternatifs ne feront jamais disparaître le contentieux classlque
Qu’on se rassure : il restera toujours des Chicaneau et des Pimbesche pour qui rien ne vaut un bon procès, ne serait-ce que parce que la passion les aveugle et leur dissimule jusqu’à leurs propres intérêts. Par ailleurs et d’un point de vue plus technique, tous les litiges ne s’accommodent pas du recours à d’autres modes de règlement ; il est nécessaire qu’il existe objectivement une marge de manœuvre au regard de la règle applicable ou PAGF S propension continentale à séparer les spécialités ralentit la réflexion et la pratique en la matière (y compris la formation de véritables médiateurs).
En effet, il faudrait que les juristes s’initient aux techniques de négociation et empruntent aux psychologues et sociologues des fragments de leur science. Le fait est que, dans de nombreuses matières, la réflexion sur les autres modes de règlement des conflits et leur pratique progresse. Les modes alternatifs de règlement des conflits sont portés par un courant de faveur et vantés avec l’enthousiasme des nouveaux convertis.
Les vertus qui leurs sont prêtées ne manquent pas d’attrait : souplesse, rapidité, écono mie et confidentialité, absence de juridisme inutile… Cette dernière qualité st intéressante si l’on veut bien se souvenir qu’un litige ne se présente pas dès l’origine en termes juridiques. Ses racines sont d’abord psychologiques (incompréhension) ou techniques (dysfonctionnement) ; là réside la vérita substance du litige, qui sera ensuite traduit en termes juridiques. ouvent, le débat perdra tout contact avec la difficulté d’origine et l’on plaidera alors sur le délai de prescription ou sur la nature de telle action judiciaire. La connaissance de la matrice du litige est une condition nécess aire pour aboutir à une sol 6 OF modes alternatifs de solution des conflits représentent un nouveau roduit sur le « marché juridique Cependant, leurs promoteurs devraient 328 comprendre qu’à trop charger le bât, ils pourraient épuiser la bête avant même qu’elle n’ait fait ses premiers pas.
Bien que les modes alternatifs ne se situent pas dans le non-droit, ils restent moins juridiques que l’arbitrage par exemple. Il serait inopportun de le regretter, la tâche des juristes étant ici de faciliter le recours a ces modes alternatifs, non de les stériliser par une « juridicisation » excessive. 8. Ce sera l’un des principaux objectifs de l’ensemble des tables rondes qui se succéderont que d’évaluer, matière par matière, le éveloppe ment des nouveaux modes de règlement des différends.
Le schéma de travail retenu a séparé leurs divers champs d’application selon un décou pageclassique : droit civil des contrats, de la famille, de la responsabilité CIVile et des assurances, droit soclal, pénal, fiscal, administratif, internatio public. Un thème plus transversal a été également retenu : l’endette ment. 7 OF les appellations et définitions pour parvenir à dresser une typologie, on s’apercevra que les méthodes alternatives posent un certain nombre de questions dès lors que s’intéresse à leur utilisation effective. —APPELLATIONS, DÉFINITIONS ET TYPOLOGIE A. — Appellations et définitions IO. L’appellation la plus couramment utilisée est générique, et réside dans les initiales ADR correspondant à l’expression anglaise Alternative Dispute Resolution, à laquelle répond en Français, soit le RAD (règlement alternatif des différends ou bien encore résolution amiable des différends) 6, soit — et elle a notre préférence — les MARC (modes alternatifs règlement des conflits), soit encore la traduction québécoise de S0RRèl (solutions de rechange au règlement des litiges).
On remarquera qu’aucune e ces appellations n’est autonome, c’est-à-dire que toutes se situent par rapport et en contrepoint des modes traditionnels (juridictionnels) de règlement. Le mot alternatif n’ est utilisé en Français que par suite d’une traduction littérale, mais son emploi en l’occurrence n’est pas vraiment correct 7. 6 Les mauvaises langues, sceptiques quant à l’intérêt de la matière, assurent que les initiales RAD signifient « Rien à Dire 7 V. M. GREVISSE, Le bon usa e Ile éd. Duculot 1980, no 205, qu’ rappelle la mise même ouvrage signale que l’emploi du mot pour désigner l’un des termes d’un choix se développe, y compris ans certains dictionnaires et chez des auteurs fréquentables tels que Stendhal, A. France, Bergson, H. Bosco… LES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMEN DES CONFLITS 329 Son utilisation dans le sens de « terme d’un choix » correspond ? la volonté de retenir une voie originale par rapport à celle, classique, consiste à porter le litige par la voie contentieuse devant le juge étatique.
La fonction judiciaire contentieuse est donc évidemment exclue de notre champ de réflexion. Il en va de même plus généralement de toute l’activité juridictionnelle du juge, ce qui comprend en principe la juridiction cieuse, ême si cette dernière peut entretenir certains rapports avec le sujet. 11. Quant à l’arbitrage, il a certes été en son temps — et d’une certaine manière il reste encore — un mode alternatif de règlement des conflits. Mais il ne répond plus à toutes les attentes des parties ; il un mode juridictionnel et non pacifique de règlement des litiges.
L’arbitre, à l’issue d’un procès, tranche et impose une solution à des parties n’en connaissaient pas encore les termes lorsqu’elles s’étaient engagées exclu de nos réflexions. De même et par conséquent, faut-il exclure l’amiable composition, cette faculté particulière ttribuée parfols aux titulaires du pouvolr jurldictionnel, et qui n’a pas d’existence autonome en dehors de lui, car elle en est un accessoire qui consiste en un correctif laissé par les parties à la discrétion du sentiment d’équité du juge ou de l’arbitre. 2. On peut enfin citer, pour ny plus revenir dans ce rapport général, en raison de leur spécificité, Y Ombudsman Scandinave (Suède, 1809) et ses émules dans de nombreux pays : Médiateur de la République en France en 1973, au Portugal (1975), en Autriche (1977), en Espagne (1 978), en Pologne (1987). En Belgique, une loi du 21 mars 1991 a créé un édiateur auprès des entreprises publiques, et en Argentine il existe un pour la ville de Buenos-Aires… 13.
Comme leur nom l’indique, les modes alternatifs de règlement forment une catégorie ouverte, et donc mal délimitée qu regroupe un ensemble des modes de règlement des différends. On ne peut dès lors attendre de définition précise. L’expression désigne les modes, prlncpale pacifiques, de règlement des conflits, c’est-à-dire ceux qui visent ? mettre les parties d’accord sur la solution et qui ont en commun le plus souvent de faire inte t de se démarquer du