164 Hugo Les Contemplations
wv ». comptoirlitteraire. com André Durand présente « Les contemplations » (1856) recueil de Victor HUGO pour lequel on trouve ici une présentation générale puis successivement « Vere novo » (page 2) orq2 Sni* to View « Melancholia » : deuxi me pisode (page 3) sixième épisode (page 5) « Ô souvenirs ! printemps ! aurore ! » (page 8) « Demain dès l’aube » (page 10) « J’ai cueilli cette fleur » (page 13) Bonne lecture ! éveloppe une philosophie composite et syncrétique, réconciliant christianisme, pythagorisme et panthéisme. Livre I : « Aurore » Dans ces vingt-neuf poèmes, Hugo évoqua sa jeunesse, ses remiers émois d’adolescent (« Lise »), ses souvenirs de collège (« À propos d’Horace »), ses premières luttes littéraires (« Réponse ? un acte d’accusation »), ses impressions de promeneur ému par la beauté de la nature (« Vere novo », « Le poète s’en va dans les champs ») ou le spectacle bucolique (« La fête chez Thérèse »). Vere novo » Comme le matin rit sur les roses en pleurs ! Oh ! les charmants petits amoureux qu’ont les fleurs ! Ce n’est dans les jasmins, ce n’est dans les pervenches Qu’un éblouissement de folles ailes blanches Qui vont, viennent, s’en vont, reviennent, se fermant, Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement. ? printemps quand on songe à toutes les missives Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives, À ces va-t-il confiés au papier, à ce tas De lettres que le feutre écrit au taffetas, Au message d’amour, d’ivresse et de délire Qu’on reçoit en avril et qu’en mai l’on déchire, On croit voir s’envoler, au gré du vent joyeux, Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux, Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme, Et courir à la fleur en sortant de la femme, Les petits morceaux blancs chassés en tourbillons De tous les billet PAGF 9 n sortant de la femme, Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons De tous les billets doux, devenus papillons. Analyse Un hymne au printemps de la nature qui est aussi celui des êtres humains, qui sont amants, qui s’écrivent des lettres, dont les amours ne durent pas plus d’un mois, les lettres étant déchirées et leurs «petits morceaux blancs» devenant des papillons qui participent eux aussi au printemps. Le poème commence par l’évocation des papillons (les amoureux qu’ont les fleurs), passe aux missives par une sorte d’association d’idées (car on appelle aussi «papillons» de petits textes) et y evient à la fin : c’est d’une très agréable fantaisie.
Quelques remarques de détail : «les roses en pleurs» : parce qu’elles ont reçu la rosée du matin ; la progression amour – ivresse- délire : ça a donc l’air très sérieux et la contradiction arrrive au vers suivant , l’analogie traditionnelle entre la fleur et la femme ; L’alexandrin est parfois tout à fait régulier (coupé en deux hémistiches égaux), parfols très coupés (vers 5, 14), présentant aussi un habile enjambement avec «ce tas / De lettres» qui met en relief la surprise voulue par le poète. Livre Il : « L’âme en fleur » Dans ces vingt-huit poèmes, Hugo célébra son amour pour Juliette Drouet, la plupart des poèmes étant inspirés par elle : il évoqua les premiers émois de leur rencontre, leurs promenades dans les vergers et les forêts ; il immortalisa les moments de bonheur (« Hier au soir », « Mon bras pressait sa taille frêle ») et les épreuves vécues en commun les désaccords (« Hier au soir », « Mon bras pressait sa taille frêle ») et les épreuves vécues en commun, les désaccords, les réconciliations ; note pour elle des impressions de voyage (« Lettre »), lui écrit qu’il a rêvé d’elle (« Blllet du matin »).
Livre Ill : « Les luttes et les rêves » Dans ces trente poèmes, Hugo dénonça la misère sociale et morale dont il était témoin : les scandales, la guerre, la tyrannie, la peine de mort (« La source », « La statue », « La nature »), la misère des sociétés modernes (« Melancholia »), le livre s’achevant par un grand poème (« Magnitudo parvi ») qui décrit la contemplation du poète tenant par la main son enfant et sondant avec elle le mouvement des astres. « Melancholia » Le poème est une interprétation de la gravure célèbre de l’Allemand Albrecht Dürer : un ange, accablé d’une indicible tristesse, songe et médite. our Victor Hugo, cette tristesse de l’ange a son origine dans l’injustice sociale. Il avait déj? exprimé sa pitié même dans « Les feuilles d’automne » (« Pour les pauves »), dans « Les chants du crépuscule », dans « Les rayons et les ombres » (« Rencontre »).
Il s’est préoccupé de plus en plus au long de sa vie du sort des misérables et a lutté contre toutes les formes d’injustice sociale. Ici, huit épisodes résument symboliquement toute la douleur humaine. 2 Deuxième épisode Le poète dénonce le travail dur et pénible des enfants, dénonce leur exploitation dans l’univers infernal de l’usine, puis exprime es sentiments et ses idées de justice et de liberté. Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit? Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit? Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules? Ils s’en vont travailler quinze heures sous les meules Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre, Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer. Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue. Aussi quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue. Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las. Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas ! Ils semblent dire à Dieu : « ‘Petits comme nous sommes, Notre Père, voyez ce que nous font les hommes l » Ô servitude infâme imposée à l’enfant ! Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant Défait ce qu’a fait Dieu ; qui tue, va-t-il insensée, La beauté sur les fronts, dans les va-t-il la pensée, Et qui ferait – c’est là son fruit le plus certain D’Apollon un bossu, de Voltalre un crétin !
Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre, Qui produit la richesse en créant la misère, Qui se sert d’un enf PAGF s 9 enfant ainsi que d’un outil ! Progrès dont on se demande « Où va-t-il? Que veut-il? » Qui brise la jeunesse en fleur ! Qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l’homme ! C’est avec réalisme que le poète nous décrit l’état physique des enfants. II insiste sur – leur mauvaise santé : «que la fièvre maigrit » ; – leur fatigue : «bien Ias» ; – leur manque de vitalité. Les couleur qu’il évoque sont pâles : «quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue ». Ces enfants sont victime des adultes qui les emploient pour le profit.
Victor Hugo insiste sur leur conditions de travail : «ils s’en ont travailler quinze heures sous des meules» II nous plonge dans le monde de l’usine, dur, glacial et usant, où subissent leur esclavage ces innocents qui sont des êtres jeunes et nars qui ne comprennent pas ce qui leur arrive : «lls ne comprennent rien à leur destin, hélas » Ils sont impuissants contre ceux qui les exploitent. Mais le poète sait rendre fantastique ce monde inhumain, employant de nombreuses métaphores et personnifiant les machines : «sous les dents d’une machine sombre» «monstre hideux qui mâche» – le «souffle étouffant» de cette si orte de dragon – «la serre» de cet oiseau de proie.
Dans cet univers froid et dur, «tout est d’airain tout est de fer», et la gradation est croissante pour rendre cet univers infernal : «prison ; bagne ; Enfer». Il oppose à la puissance des machines la faiblesse des enfants «accroupis sous les dents d’une machine sombre», qui ne sont que des serviteurs de la machine, des outils. Il glisse des adverbes de temps qui suggèrent le travail répétitif et monotone 6 9 machine, des outils. Il glisse des adverbes de temps qui suggèrent le travail répétitif et monotone : «éternellement» – «même mouvement» – «quinze heures sous les meules». Il utilise eaucoup de dentales pour suggérer la dureté du travail. Il dénonce avec force cette forme d’exploitation «qui tues.
Il pense aux conséquences physiques et intellectuelles que peut entraîner ce travail usant aqui ferait d’Apollon un bossu et de Voltaire un crétin», qui les mène à un épuisement général et même à la mort. Les jeunes travailleurs appellent à raide mais tout le monde ferme les yeux et reste sourd à leurs cris de détresse. Reprenant sans peut-être même les connaitre les arguments de Marx, il conteste l’industrialisation qui a pour conséquence la paupérisation du prolétariat, qul accroît l’injustice ociale : « Qui produit la richesse en créant la misères. Il va même jusqu’à remettre en question le progrès «dont on demande où va- t-il? Que veut il? ».
Il termine par la prévision terrible du triomphe d’un machinisme qui sera la réduction de l’être humain, et plus seulement des enfants, à l’état de machine. Il s’est montré ailleurs partisan du travail «sain» d’adultes et non d’enfants, d’un «vrai travail, sain fécond généreux ; qui fait le peuple libre et rend l’homme heureux». Par son réalisme et son pathétique, Victor Hugo nous montre les conditions déplorables des enfants dans le monde ouvrier. Il ondamne leur exploitation. Sixième épisode Le pesant chariot porte une énorme pierre ; 7 9 e pesant chariot porte une énorme pierre ; Le limonier, suant du mors à la croupière, Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant Monte, et le cheval triste a le poitrail en sang.
Il tire, traine, geint, tire encore et s’arrête. Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ; C’est lundi ; l’homme hier buvait aux Porcherons Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ; Oh ! quelle est donc la loi formidable qul livre 10 L’être à l’être, et la bête effarée à l’homme ivre? L’animal éperdu ne peut plus faire un pas ; Il sent l’ombre sur lui peser ; il ne sait pas, Sous le bloc qui l’écrase et le fouet qui l’assomme, Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l’homme ; 15 Et le roulier n’est plus qu’un orage de coups Tombant sur ce forçat qui traine les licous, Qui souffre, et ne connaît ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le manche, Et si le fouet se casse, il frappe avec le pied ; 20 Et le cheval, tremblant, hagard, estropié, Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ; On entend, sous les coups de la botte ferrée, Sonner le ventre nu du pauvre être muet ; Il râle ; tout à l’heure encore il remuait, 5 Mais il ne bouge plus et sa force est finie. Et les coups furieux pleuvent ; son agonie Tente un dernier effort , son pied fait un écart, Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard , Et dans l’ombre, pendant que son bourreau redouble, 30 Il regarde Quelqu’un de sa prunelle trouble ; Et lion voit lentement s’éteindre humble et terni, Son œil plein des stupe trouble , Et l’on voit lentement s’éteindre, humble et terni, Son œil plein des stupeurs sombres de l’infini, Où luit vaguement l’âme effrayante des choses… juillet 1838) Même si le poète a indiqué la date de juillet 1838, il a écrit e sixième épisode en 1855. Son immense pitié s’étend maintenant jusqu’aux bêtes qui souffrent et meurent en silence. Il nous montre un cheval, le «limonier» (vers 2 : cheval qui est attaché aux deux limons d’une lourde charrette) qul est soumis à la cruauté acharnée d’un «roulier» (vers 3), un voiturier qui transporte des marchandises sur des chariots, « la croupière» (vers 2) étant la longe de cuir qui recouvre la croupe et au bout de laquelle an passe la queue de l’animal dans une sorte d’anneau. L’enjambement du vers 3 au vers 4, en rendant l’essoufflement du cheval, indique la difficulté du trajet, omme le font les coupes nombreuse du vers 5.
Puis apparait la méchanceté du roulier qui est due à son ivresse : la veille, un dimanche, il s’est enivré aux «porcherons» (vers 7), un hameau situé au nord-ouest de Paris célèbre par ses cabarets et qui, annexé à paris, conservait une rue et une guinguette. Et le vers 8 désigne les conséquences de ce vin, qu’il a mauvais, tandis que les vers 9 et 10 dénonce «la loi formidable» du pouvoir qui s’exerce toujours sur plus faible que soi. La focalisation se fait ensuite de nouveau sur le cheval auquel le poète prête une pensée. Le 10 octobre 1843, se rendant ? Pampelune en diligence, Hugo se demanda ce que les bêtes pensent de l’homme qui les abruti à Pampelune en diligence, Hugo se demanda ce que les bêtes pensent de l’homme qui les abrutit de coups (« Alpes et Pyrénées »).
On peut considérer cette «ombre» (vers 12) qui pèse sur lui comme celle de cette «loi formidable» qui le soumet ? « la pierre» et à «[‘homme», qui sont, au vers 14, rendus par un parallélisme qui indique qu’en fait le travailleur est victime lui aussi de cette chose qu’est la pierre et, en fait, au-delà, de celui ? qui elle appartient, quelque constructeur. Au vers 15, le voiturier est réduit, par une puissante comparaison («un orage de coups») qui rappelle le «vin plein de fureur, de cris, de jurons» dont il est la victime, à sa fonction de tortionnaire, tandis qu’une métaphore fait du cheval un «forçat», ce qui annonce la protestation de Hugo contre le bagne qui resonnera dans « Les misérables ». «Les licous» (vers 1 6) sont les harnais.
L’allusion au «dimanche» dont la bête de somme ne bénéficie pas oppose le cheval à son maître qui, lui, a joui d’un repos, mais en a profité pour boire, pour s’abrutir, ce qui fait que, ce lundi, a victime trinque ! Les vers 18 et 19, par leur redoublement, traduisent un redoublement de la rage. L’accumulation de qualificatifs du vers 20 est un habile crescendo dans la souffrance de l’animal. Le «cou lugubre» du vers 21 est une hypallage par laquelle est attribué au cou l’effet qu’il a sur le spectateur de la scène. «La botte ferrée» rappelle que le roulier, ayant cassé son fouet, «frappe avec le pied», la trépidation ainsi créée se répercutant sur ale ventre nu» du «pauvre être muet », expression qui humanise le cheval. Mais sa mutité n’est pas totale : «il râle»,