surealisme

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Nadja. Images, d’ esir et sacrifice. Magali Nachtergael To cite this version: Magali Nachtergael. Nadja. Images, d esir et sacrifice.. Postures, 2006, 7, p. 159-173. HAL Id: haishs-00746125 https://halshs. archives-ouvertes. fr/halshs-00746125 Submitted on 27 Oct 2012 HAL is a multi-discipli archive for the depos 5 documents, whether ey Swape nextp g may come from teaching and researc cientific research t. The documents abroad, or from public or private research centers.

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La rédaction de Nadja est rapide : elle débute en août 1927 au Manoir d’Ango, à proximité d’Aragon qui travaille à son Traité du style, et se termine à la fin de l’année après une interruption de quelques mois, période pendant laquelle Breton rencontre Suzanne Muzard, qui marquera de son anonyme présence la dernière partie du récit. Une pré-publication a lieu en automne3. A ce moment, Breton a déj? l’intention de Pillustrer de photographies, comme il le déclare dans une lettre ? Lise Meyer, datée du 2 septembre.

Quinze jours plus tard4, il dresse une liste Ce n’est qu’en 1 939 que Breton envoie des illustrations à Gaston Gallimard pour une réimpression des Vases communicants : l’édition originale n’en présentait aucune. Edition de référence : André Breton, Œuvres complètes, Tome l, éd. Gallimard, coll. La Pléiade, présenté par Marguerite Bonnet, 1 988, Paris. 2 2 5 partie un autre extrait sera publié dans le NOI 1 e La révolution surréaliste, « Nadja (fragment) mars 1928, éd.

Gallimard, avec la reproduction d’un tableau de Chirico qui ne figure pas dans l’édition définitive. 4 Lettre à Lise Meyer, 16 septembre 1927, cité par M. Bonnet, op. cit. , p. 1505. Cette lettre sera étudiée plus précisément dans notre deuxième partie. des clichés qu’il veut intégrer : au terme de ses investigations, il n’en manque que quatre. En 1963, deux lacunes seront comblées, deux ajouts augmenteront les quarante-quatre illustrations de l’édition originale et certains clichés subiront un recadrage.

Mais l’essentiel de l’appareil éditorial est défini à la fin de l’année 1927. La révision de 1963 trouve ses justifications dans la Dépêche retardée, avant-dire : d’après les termes employés – « améliorer un tant soit peu dans sa forme ! « légers soins », « patine » (Breton, 1988, p. 646) Breton considère de fait le récit comme un objet d’art ? restaurer, partie du patrimoine surréaliste à l’égard duquel Nadja fait figure d’icône. La singularité de Nadja tient en grande partie à son montage composite.

A la fois romanesque et autobiographique, le récit de a rencontre s’échappe tantôt dans la poésie pour se figer parfois dans « l’observation médicale, entre toutes neuro s cholo ique Ces oscillations se déploient au 3 5 confond avec la jeune femme, dont le statut essentiellement poétique est sous-entendu lorsque Breton déclare : « Nadja, la personne de Nadja est si loin » (Breton, 1988, p. 746). Victime de son propre aveuglement ou prédateur qui abuse d’un pouvoir trop vite gagné : la position de Breton est équivoque, alors que dans les paroles de Nadja pointent les symptômes d’une folie qui scelle tragiquement son destin.

Ce traitement particulier du personnage s’accompagne d’une ambivalence entre le réel, authentifié par les photographies, dans le cadre du « document pris sur le vif » et les effets poétiques qui sillonnent le texte. rajout de photographies, loin d’aseptiser le récit, accentue son « inquiétante étrangeté D. Il donne en effet matière au décryptage des signes qui jalonnent le parcours urbain des protagonistes. En outre, si les photographies témoignent Les deux ajouts sont « Ses yeux de fougère… » (p. 715) et « Les aubes – une vaste plaque indicatrice bleu ciel… » (p. 0). 5 de la fascination de Breton pour les images, elle apporte aussi une trace visuelle des personnes, objets, lieux qui participent à l’élaboration d’une œuvre surréaliste. Trace authenti ue d’une réalité mais aussi d’un travail 4 25 blanc est teintée d’une certaine nostalgie : elle pointe en effet un « ça a été » (Barthes, 1980, p. 120) dont il ne reste que rempreinte lumineuse. récriture de Nadja répond en effet à un désir de résurrection : la jeune femme internée, désormais hors du monde, n’a de présence que dans le livre auquel il incombe de la réincarner6.

André Breton crée une représentation de la grande absente, celle que l’on ne voit pas, l’irreprésentable : l’édition initiale ne présentait pas le montage de ses « yeux de fougères L’imprécision volontaire qui entoure cette image fonctionne comme une réverbération des autres figures féminines dont Breton évoque le passage : les anonymes, l’innomée de l’épilogue « Toi » – ou Fanny Beznos qui n’apparaît que de dos sur une photographie aux Puces de St Ouen.

Alimentant un certain flou fantasmatique autour des femmes, les jeux de regard concentrent alors toute leur force de éduction, aiguisent le désir au risque de le rendre tétanisant. Cette ‘stimulation’ presque artificielle respecte la conception apologétique qui éclatera au grand jour dans CAmour fou : « Le désir, seul ressort du monde, le désir, seule contrainte que l’homme ait à connaître » (Breton, 1937, p. 129). Déjà évoquée dans le Manifeste du surréalisme7, cette idéologie créatrice s’impose comme un des fondements de l’écriture de Nacra.

Les illustrations photographiques et la s 5 écrire un livre sur elle : « André ? André ? Tu écriras un roman sur moi. Je t’assure. Ne dis pas non. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste… », Nadja, André Breton, OC l, op. Cit. , p. 707 – 708. 6 3 qualifier du désir. L’errance de l’auteur, sa quête de l’amour et sa définition de la femme in absentia amènent le lecteur à établir des réseaux de correspondances qui, selon les souhaits de Breton, laissent le livre « ouvert comme un battant de porte h. Un panorama de la création surréaliste.

Nadja, à l’image des autres écrits de Breton, se veut une vitrine des pratiques et doctrines surréalistes. Tout d’abord, presque toutes les personnes mpliquées ont un lien avec le mouvement. Ces personnes réelles s’aventurent dans un récit où leur identité acquiert une immatérialité textuelle : elles deviennent des actants au service de « l’effet surréel La première partie du récit fait participer le lecteur au quotidien de la Centrale Surréaliste à travers les entrées et sorties d’une galerie de personnages : Louis Aragon, Marcel Duchamp, ristan Tzara, le mécène Jacques Doucet, etc. ui côtoient Victor Hugo avec Juliette Drouet, Arthur Rimbaud, Joris-Karl Huysmans ou encore Guillaume Apollinaire au d hrase ou d’une anecdote. 6 25 a rencontre avec Nadja laissent un nom au hasard d’une porte, d’une rue ou d’un souvenir, tissant un réseau préambulaire et pré-ambulatoire dans une ville qui apparaît peuplée d’ombres dont on ne trouve trace sur les photographies urbaines. Ce sont en effet sur des portraits faits en studio que les visages vont apparaître. Les clichés, pour certains signés Man Ray, jouent un rôle important dans l’élaboration d’un réseau où chaque personnage augmente l’impression de mystère.

La rencontre entre Paul Eluard et Breton, qui a lieu sur un « L’homme propose et dispose. Il ne tient qu’à lui de s’appartenir out entier, c’est-à-dire de maintenir à l’état anarchique la bande chaque jour plus redoutable de ses désirs. La poésie le lui enseigne. » (c’est nous qui soulignons), Manifeste du surréalisme, OC l, op. cit. , p. 322. 7 malentendu, est relatée avec un effet de suspens : « Il m’avait pris pour un de ses amis, tenu mort à la guerre. Naturellement nous en restons là. » Plus tard, ils se retrouvent liés par une correspondance, prélude aux présentations officielles et à la véritable reconnaissance.

A la question de l’incipit : « Qui je hante ? Eluard apporte une réponse indirecte à André Breton, ui supposait qu’il tenait en effet « le rôle d’un fantôme Le lien entre le jeune inconnu 5 sur le même mode, comme celle Benjamin Péret dont le portrait contraste par sa bonhomie riante. Prétextant une recherche documentaire, une femme vient en fait « recommander » un jeune littérateur : « quelques jours plus tard, Benjamin Péret était l? Cette figure féminine évanescente, vêtue de noir, a ici le rôle d’ange annonciateur dont « les traits échappent » (Breton, 1988, p. 658).

Elle réapparaîtra souvent, présage ou duplicata de la future Nadja et plus loin de « Toi ». Breton instaure ainsi une atmosphère qui a pour but de produire fascination et mystère autour de ses personnages. Robert Desnos pris en photo pendant une séance de « l’époque des sommeils » montre une image redoublée du poète endormi, comme si elle était extraite d’une bande cinématographique. Le commentaire lapidaire – « Je revois maintenant Robert Desnos… »8 semble l’écho d’un lointain passé qui maintient un flottement temporel entre ce qui ressort à la fois de l’apparition imaginaire et photographique.

On ne sait dans quelle réalité s’ancre la narration, ni la valeur psychique de cette vision. La description de la scène de bascule dans une emphase proche elle_même du délire apollinien. Les séances d’écriture et leur « valeur absolue d’oracle » donnent subitement au poète endormi les allures d’une Pythie moderne. Dans le même registre, Breton fait état avec Aragon d’anamorphoses inattendues Maison roupe » devient 79). Breton insiste à cet 8 5 certaine obliquité » afin de révéler « l’évidence de leur collusion » (Breton, 1 988, p. 681).

Parmi les personnages qui interviennent dans le récit, ceux qui dévoilent la part obscure du réel, qu’ils affleurent l’ésotérisme ou la folie, btiennent une place de choix. Les femmes dament pourtant le pion aux hommes, auxquels est plus volontiers associée la fonction résolument masculine de « poète voyant Mme Sacco, médium de la rue des Usines, ou Blanche Derval, actrice des Détraquées, sont les pivots qui conduisent vers un monde parallèle habité de présences fantomatiques, imaginaires ou fictives un monde clair-obscur, à la tête duquel Nadja s’impose comme chef de file.

Elle supporte en effet à elle seule la somme de ces représentations occultes qui surgissent progressivement dans le prologue. Avant l’arrivée de Nadja qui se répare en filigrane, cette introduction propose une forme de photographie de la création surréaliste et de ses principaux enjeux : spiritisme, folie, hasard et « pétrifiantes coincidences b.

La fonction de la photographie dans cet état des lieux peut être considérée comme documentaire : elle témoigne en effet visuellement des figures et objets qui ont occupé l’esprit de Breton pendant le récit qu’il fait. Cependant, elle maintient en tension la frontière entre le réel et l’occulte, engageant même la déréa arration. L’organisation 25 photographie. Dans son Avant-Dire de 1962 aussi avec le recul du temps

André Breton qualifie son entreprise « d’antilittéraire » et en incluant illustrations, estime avoir confectionné un « document pris sur le vif Le résultat final fait penser à un montage à deux entrées : l’un cinématographique, avec sa trame narrative, l’autre déconstruit, avec ses « saccades comme le serait un collage de Max Ernst. Ces documents témoignent aussi directement de l’activité artistique propre aux surréalistes : on retrouve les fétiches primitifs de Breton, les dessins de Nadja et l’affiche de l’Etreinte pieuvre » placés sur le même plan que les tableaux de Chirico.

Mais si Breton illustre son récit de photographies, ce n’est pas dans le seul but d’éliminer les descriptions (argument presque factieux et développé à l’occasion de la réédition) mais pour établir un réseau saturé de signes : Je vais publier l’histoire que vous connaissez en l’accompagnant cinquantaine de photographies relatives à tous les éléments qu’elle met en jeu l’hôtel des Grands Hommes, la statue d’Etienne Dolet, et celle de Becque, une enseigne « Bois-Charbons », un portrait de Paul Eluard, de Desnos endormi, la femme du musée Grévi que faille photographier 0 5