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00 Enf&Psy n033 15/12/06 8:57 page 113 Benoît Lesage HABITER LES ESPACES Naître à l’espace Prémices d’une cliniq or21 Sni* to View Une expression d’usage courant en danse est celle d’occuper l’espace… Cette formule ambiguë qui renvoie à une colonisation ou à la captation de l’attention d’une entité mal définie (comme on occupe un enfant turbulent) en évoque une autre que nous pouvons immédiatement relier à la clinique : si certains semblent en effet occuper l’espace, dautres l’encombrent !

Comme on dit d’un atelier modèle où chaque outil est bien rangé, on pourrait êver d’une place pour chacun et de chacun à sa place.. Or, trouver sa place, ne pas s’y figer, en faire un espace de rencontre et non un château fart ou une passoire trop lâche, savoir se dé-fixer sans se perdre ni se diluer, n’est pas un donné, mais un processus, une individuation. On ne s’occupe pas de l’espace aujourd’hui, du temps demain, de l’énergie du corps ou des émotions un autre Document téléchargé depuis www. airn. info 19/10/2013 20h44. C ERES – 41 . 137. 23. 131 L’étymologie du mot « espace » est, selon Alain Rey, obscure. Le terme est initialement employé avec une aleur temporelle : respace d’un instant, l’espace entre deux événements… Il est également question d’espace vital, c’est-à-dire d’un territoire revendiqué comme indispensable. Or, nous allons voir que, s’il existe sans doute des espaces vitaux, l’espace en lui-même est toujours vital.

De là à imaginer une réflexion sur l’espace comme un parcours vital, il n’y avait qu’un pas. OO Enf&psy n033 Page 114 Habiter les espaces me référant à des données pratiques : d’une part ma clinique en psychomotricité 1 et en danse-thérapie, d’autre part les approches psychocorporelles qui m’ont construit. L’objet de ce parcours est de tisser des liens, poser des questions, ouvrir des espaces de réflexion. Rien de plus. Document téléchargé depuis www. cairn. info – 19/10/2013 20h44. @ ERES 1.

Bien que n’étant pas psychomotricien DE, il m’apparaît que c’est dans PAGF 91 temps et l’espace — les deux catégories kantiennes a priori, c’est-à-dire qui s’appréhendent directement par intuition et non par une construction de l’esprit Le fait human par excellence est peut-être moins la créatlon de l’outil que la domestication du temps et de l’espace, c’est-à-dire la création d’un temps et d’un espace humains. Selon lui, la capacité d’organiser l’espace est concomitante de celle de symboliser, ce qu’attestent notamment les représentations graphiques (gravures, peintures… . Dès sa naissance, l’homme aménage donc respace, et s’extrait d’un espace subi en édifiant un habitat distinct du chaos extérieur. La spatialité des chasseurs-cueilleurs diffère de celle des pasteurs-cultivateurs : les premiers témoignent dune perception dynamique, itinérante, qui consiste à parcourir l’espace en en prenant conscience, tandis que les seconds construisent un espace rayonnant, un territoire, qui s’édifie omme une suite de cercles successifs, repoussant les limites du connu (A. Leroi-Gourhan, 1964).

Ces deux spatialités répondent ? deux modes de représentation du monde qui coexistent et donnent lieu à des mythologies spéclfiques : celles des chasseurscueilleurs regorgent de trajets, d’itinéraires, de héros qui parcourent le monde et assujettissent des monstres ou des entités sauvages. L’apparent fouillis de Lascaux s’organise dès lors qu’il est appréhendé comme trajet, ce qui n’est pas sans évoquer dans un tout autre registre les jardins japonais, qui s’appréhendent, eux aussi, dans une circulation, sur un mode kinesthésique.

Les pasteurs-cultivateurs structurent, quant à eux, un espace rayonnant, centré sur l’habitat, en particulier le grenier, la réserve 3 1 structurent, quant à eux, un espace rayonnant, centré sur l’habitat, en particulier le grenier, la réserve alimentaire. Le paradis terrestre est un bel exemple de mythologie de pasteurs-agrlculteurs, de même que les cosmogonies chinoises ou précolombiennes qui évoquent un monde ordonné surtout nommé.

Cette distinction est reprise par l’historien de l’art, René Huyghe, qui décèle dès la préhistoire deux courants ORGANISER L’ESPACE Page 115 -41 . 137. 23. 31 – L’espace peut être dangereux, prédateur, menace de dissolution ou de phagocytose. Caillois évoque à ce propos la peur du noir, de l’espace now, dévorateur, qui anéantit l’existence des choses, y compris — et à commencer par — soi-même (R.

Caillois, 1938). Poser son existence et l’assumer, c’est donc aussi se distinguer de l’espace, ce qui, selon Bachelard, implique une densification : « Rendre concret le dedans et vaste le dehors sont, semble-t-il, les tâches initi iers problèmes d’une 1 habiter… » (M. Heidegger, 1954). Ce que nous démontre la clinique, psychiatrique ou neurologique, ‘est qu’hablter l’espace se soutient d’une expérience du corps.

Dans la lignée de Goldstein, Schilder, Merleau-Ponty et Sacks, Rosenfield analyse longuement comment se constitue et surtout se défait l’expérience du monde, en la rapportant à des données neurologiques précises. Il évoque ces patients asomatognosiques qui, perdant la relation à une partie de leur corps (suites hémiplégiques d’accident vasculaire ou de trauma crânien par exemple), perdent la notion même d’espace : pour le patient, c’est comme si la place qu’occupait la partie atteinte de son corps avait disparu… ?? e sentiment qu’ont les patients atteints d’une lésion cérébrale que la place (portion d’espace) occupée par un de leurs membres a disparu indique d’ailleurs que c’est en référence à l’image du corps que le cerveau crée la notion d’espace . le sens de soi qui donne à la jambe sa signification confère également sa signification à l’espace occupé par la jambe. L’image du corps est donc essentielle à la notlon d’espace » (l. Rosenfiedl, 1992).

Les pratiques psychocororelles permettent de préciser que, si l’expérience de l’espace implique celle du corps, la construction u corps se fait aussi dans son rapport à l’espace. Mais il s’agit 115 – 41 . 137. 23. 131 – majeurs, l’un centré sur la forme, l’autre sur le mouvement, dichotomie dont le classicisme et le baroque sont une illustration. Huyghe rattache ces deux courants à l’expérience du monde, radicalement différente, d t des sédentaires, ce qui PAGF s 1 monde, radicalement différente, des nomades et des sédentaires, ce qui rejoint l’analyse de Leroi-Gourhan (R.

Huyghe, 1967). Si j’insiste ici sur ces notions anthropologiques, c’est qu’elles me semblent éclairer l’expérience de l’espace et la clinique qui s’y rapporte. Page 116 de fonctions et non d’entités absolues. Nous parlons donc bien de spatialité et de corporéité, qui sont indissociables. Le corps se construit en se mouvant dans l’espace, la spatialité s’édifie par l’exercice du corps qui instruit ses limites, se densifie et se déploie à la fois, qui crée ainsi une situation qui rend possible l’adresse.

Le geste se coordonne dans cette posslbilité de l’adresser, de lui conférer un sens. 2. Le patterning a parfois mauvaise presse dans la mesure où il évoque les excès de la méthode Doman. La grande différence ici est dans le – . 41 . 137. 23. 131 – espect du rythme de l’enfant, et surtout dans le toucher sensible, qui s’oppose à Peffectuation d’une coordination mécan PAGF 1 trouve là une symétrie radiaire, rayonnante. On sait qu’en topologie, la forme importe moins que le caractère ouvert ou fermé d’une figure.

Sur le plan de fédlfication corporelle, cette spatlalité répond à un schème de mouvement qualifié par Irmgard Bartenieff de core-distal connection. Il s’agit d’une organisation du corps en étoile, où les six extrémités – tête, mains, pieds, coccyx — sont rapportées au centre situé par cet auteur au niveau des deux- roisième lombaires. Ce schème gouverne des mouvements d’éloignement / rapprochement entre les extrémités et le centre, et lorsqu’il est mis en œuvre de façon globale, des mouvements d’enroulement / ouverture.

J’ai souvent constaté l’impact dun travail sur ce schème chez des enfants qui n’ont pas mis en place la dialectique dedans-dehors ou qui semblent ne rien garder d’une expérience, l’annulant par des cris ou des morsures par exemple. Je l’aborde par le biais d’un patterning sensorimoteur qui s’attache à faire sentir la connexion entre les parties du corps. Pour ce faire, on peut tiliser des tissus, des bandes élastiques, voire dessiner sur la peau, et surtout recourir à un toucher précis et sensible, semblable ? celui qu’on met en œuvre en ostéopathie, qui permet d’accompagner le mouvement 2. ? un niveau encore plus archaïque, il faut souligner l’intérêt d’une densification de l’espace corporel, que je qualifierais de nourrissage proprioceptif ou approprioception. Il s’agit de donner à sentir à un enfant son corps, travail pour lequel on aura intérêt à s’adresser aux différentes catégories proprioceptives. Je m’adresse pour ce faire aux s èmes du corps : squelette, peau, uscles, organes, articula PAGF 7 1 m’adresse pour ce faire aux systèmes du corps : squelette, peau, muscles, organes, articulations…

II faut rappeler ici que la proprioception ne se résume pas à la perception de sa propriété, mais qu’elle se constitue selon Bullinger à la rencontre entre la sensibilité profonde, celle d’une partie du corps qui se met en forme pour Document téléchargé depuis www. cairn. info – – ESPACE page 117 41 . 137. 23. 131 – 41. 137. 23. 131 Le second niveau d’organisation de la spatialité se structure selon le pattern de l’architecture de l’oreille interne.

Or, les trois anaux semi-circulaires qui la constituent sont orthonormés, c’est-à-dire qu’ils forment entre eux des angles droits, et la résultante de l’intégration droite-gauche établit une perception précise des trois plans de l’espace, sagittal, frontal et horizontal. Il existe ainsi des noyaux du tronc cérébral qui réagissent électivement ? des mouvements ou à des erce tions dans ces trois plans (A. Berthoz, 1997). ce sec spatialité présente donc PAGF E 1 historicité. Là encore, le corps sert de schéma référent, de matrice projective, à partir de ses propres structures.

J’ai évoqué la mise lace d’un centre avec le schème de core-distal connection, schème basal sous-jacent qui demeure présent et continue ? soutenir certaines coordinations tout au long de la vie ; on peut le reconnaître dans des mouvements d’ouverture/fermeture globale du corps, il est lisible par exemple dans nombre de figures sportives : plongeon d’un gardien de but, arabesque en danse, figures en gymnastique artistique, et, de façon moins formelle, souvent réactualisé dans des mouvements de rattrapage ou de déséquilibre, notamment dans un contexte émotionnel…

Les autres schèmes de mouvement, pour lesquels certains ont roposé une filiation 3 , se conçoivent dans une autre spatialité ce n’est plus la relation dedans-dehors qui prime, mais la direction et l’adresse du déplacement et du geste en général. Nous trouvons là en premier lieu le schème dit spinal, organisé autour de la colonne vertébrale et de la ligne qu’elle inscrit dans le corps, et qul a à voir avec l’axialité.

Nous sommes en effet organisés, et ce depuis l’apparition des chordés, selon une symétrie axiale, longitudinale, qui avec la bipédie institue une direction 3. Bonnie Bainbridge Cohen, qui a créé le Body Mind Centering. 117 contacter quelque chose, PAGF ions recueillies. La constitution d’une zone habitable pour reprendre les termes mêmes de Bullinger (1997).

En ce sens, elle soutient la spatialité, et on peut se souvenir ici que les sensations vestibulaires et labyrinthiques qui nous viennent de l’oreille interne et sont généralement considérées comme le sens de l’espace font intégralement partie de la proprioception. page 118 Il semble que la transition entre ces deux organisations centrepériphérie et axialité longitudinale se fasse par l’oralité. La bouche devient en effet très rapidement, à la naissance, le lieu privilégié ‘organisation du mouvement, de la relation et de la présence du nourrisson.

On peut voir la naissance de l’oralité comme une spécialisation du schème de connexion centre-extrémités, accordant un rôle prédominant à la bouche, à l’image de certains invertébrés qui sortent une vésicule buccale pour capter leur nourriture et l’amener ensuite vers leur centre. Espace transitionnel et lieu de transit, fonctionnant sur le mode ouverture-fermeture, réplétionvidage, Pusage de la bouche mène à la maturation de l’axe vertébral, point sur Albert Coeman et Marie