LES TROUBLES D’APPRENTISSAGE DE LA LECTURE ET DE L’ECRITURE

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COMPTE RENDU DE L’OUVRAGE DE STANISLAS DEHAENE, LES NEURONES DE LA LECTURE, introd. Jean-Pierre Changeux, Ed. Odile Jacob, 2007 Sylvie Ferrando octobre 2007 L’ouvrage de Stanislas Dehaene (dorénavant SD), titulaire de la chaire de psychologie cognitive et expérimentale au Collège de France et membre de l’Académie des sciences, propose ici d’aborder le processus de lecture sous l’angle des neurosciences. ne telle approche, qui s’appuie sur les plus récentes d’éclairer d’un jour n acitivité propre à l’ho accomplissent le plus monde, et dont l’app rt édicale, permet adultes La préface de Jean-Pierre Changeux inscrit la démarche de SD ans la droite ligne de « l’homme neuronal », qui étudie le cerveau de l’homme par l’observation des circuits neuronaux. C’est dans les vingt dernières années, nous dit SD dans son introduction, qu’est née une véritable science de la lecture, susceptible de déboucher sur une neuroscience de l’éducation, à la frontière entre la psychologie et la médecine.

En effet, rares sont les chercheurs en sciences sociales qul aujourd’hui ont les connaissances nécessaires pour pouvoir appliquer ce programme. La plupart adhèrent à un modèle implicite du ceweau qui est celui de la plasticité généralisée et ‘est un organe fortement structuré qui fait du neuf avec du vieux. Pour apprendre de nouvelles compétences, nous recyclons nos anciens circuits cérébraux de primates dans la mesure où ceux-ci tolèrent un minimum de changement.  » Si nos gênes n’ont pas évolué pour nous permettre d’apprendre ? lire, c’est l’écriture qui a évolué afin de tenir compte des contraintes de notre cerveau. ne question demeure : pourquoi l’espèce humaine est-elle la seule, parmi les primates, à avoir inventé des symboles parlés ou écrits ? Deux concepts récents, celui de « théorie de l’esprit’ -c’est-à-dire a capacité d’Imaginer ce que pensent nos congénères- et celui dWespace de travail conscient » — un réseau neuronal où les idées se recombinent en synthèses nouvelles- pourraient contribuer ? cerner la singularité culturelle de l’esprit humain au sein de l’évolution biologique des espèces.

En effet, la lecture est une invention culturelle récente. Dans le chapitre 1er, SD détaille les mécanismes de la lecture. Tout lecteur dispose d’un capteur, l’oeil et sa rétine. Seule la région centrale de la rétine, la fovea, est riche en cellules photoréceptrices de très haute résolution, les cônes. Cette région, qui occupe environ 15 degrés du champ visuel, est la seule à capter les lettres avec suffisamment de précision pour permettre de les reconnaitre. Si cette région rétinienne est détruite, la lecture est impossible.

L’étroitesse de cette region explique également pourquoi nous bougeons incessamment les yeux au cours de la lecture. Mais, même au sein 5 également pourquoi nous bougeons incessamment les yeux au cours de la lecture. Mais, même au sein de la fovea, l’information visuelle n’a pas la même préclsion : maximale au centre, cette précision diminue vers la périphérie. C’est pourquoi la taille des caractères, sous réserve qu’elle n’excède pas un certain seuil, n’influe pas sur la facilité ou difficulté de reconnaissance des lettres.

Nous n’identifions vraiment que de dix à douze lettres par saccade : trois ou quatre lettres ? gauche du centre du regard, et sept ou huit lettres à droiite. Au- delà de cette zone, appelée empan de perception visuelle des lettres, nous ne sommes plus sensibles à l’identité des lettres, mais seulement à la présence des espaces qui délimitent le mot suivant : en nous fournissant des indices de longueur, ces espaces nous permettent de préparer la rochaine saccade afin que le regard atterrisse assez près du centre du prochain mot.

De plus, notre fenêtre de perception d’une ligne de mot est asymétrique: chez les lecteurs du français, la perception des lettres est biaisée en faveur de la droite, en sorte que nous percevons environ deux fois plus de lettres à droite du point de fixation du regard qu’à gauche. Cette asymétrie provident de la direction de lecture. Chez le lecteur de l’arabe ou de l’hébreu, dont le regard parcourt la ligne de la droite vers la gauche, l’asymétrie de l’empan visuel s’inverse.

Les saccades de l’oeil du ecteur chinois sont plus courtes, et rempan en est réduit d’autant, en raison de la plus grande densité d’infor sont plus courtes, et l’empan en est réduit d’autant, en raison de la plus grande densité d’information des caractères chinols. Il suffit de 50 millisecondes de présentation pour que la lecture progresse quasiment normalement (ce qui est très rapide). Si les petits mots grammaticaux comme les auxiliaires, les pronoms ou les articles sont parfois esquivés, presque tous les autres mots essentiels au contenu de la phrase (noms, verbes, adjectifs, adverbes) doivent être fixés du regard.

La plupart des bons lecteurs, qui lisent aux alentours de 400 à 500 mots par minute, sont proches de l’optimalité. La taille et la typographie (graisse, forme du caractère) de la lettre imprimée n’influe pas sur la reconnaissance de cette lettre, qui est invariante. De nombreuses expériences montrent également que, dans un temps très bref, et même inconsciemment, notre système visuel extrait les morphèmes des mots : ainsi, le mot fillette sera décomposé en fille-tte.

On parle d’effet d’amorçage, car la lecture d’un mot amorce la reconnaissance des mots reliés, un peu comme on amorce une pompe. Ce phénomène d’amorçage est à la fois morphologique/sémantique (comme mer et maritime, lu et lisons) et morphologique/non sémantique, comme bague et baguette, mandarin et mandarine. De même, notre système visuel decompose plus facilement les mots en constituents syllabiques qu’en phonèmes isolés ou dissociés de leur syllable d’appartenance.

Il existe en fait deux niveaux d’amorçage, l’un orthographique, l’autre phonologique, distincts mais dont la conver 5 deux niveaux d’amorçage, l’un orthographique, l’autre phonologique, distincts mais dont la conversion de l’un en l’autre est extrêmement rapide. Elle serait plus rapide encore SI l’orthographe du français était simplifiée. D’autres langues issues du latin, comme l’italien, ont adopté une orthographe plus phonologique. En revanche, le chinois est une écriture morphologique (caractère « simple », de prononciation syllabique) complétée d’un marqueur phonétique, qui donne l’intonation-accentuation).

Tous les systèmes d’écriture oscillent entre l’écriture des sens et celle des sons. La plupart des modèles de la lecture postulent que deux voies de traitement de l’information coexistent et se complètent. La meilleure preuve de l’existence de es deux voies vient de la neuro-psychopathologie : certains patients atteints d’une lésion cérébrale nommée « dyslexie profonde » ou « dyslexie phonologique » ont leur voie de conversion des lettres en sons sévèrement détériorée et ne parviennent plus à prononcer les mots rares, les néologismes et les mots inventés.

D’autres patients atteints d’une « ‘dyslexie de surface » doivent prononcer les mots pour les comprendre. Quant au lexique mental, à entrées multiples (orthographique, phonologique, grammaticale, sémantique), il se compose pour un individu moyen d’environ 40 000 à 50 000 mots -sans même enir compte des mots composés. Le chapitre 2, « Le cerveau au pied de la lettre », décrit les régions du qui sont impliquées dans la lecture, et leur organisation.

Dès 1892, le neurologue français J PAGF s 5 cerveau qui sont impliquées français Joseph-Jules Déjerine découvre que la lésion d’une partie des aires visuelles de l’hémisphère gauche entraîne la perte sélective et totale de la capacité de lire. Présente au même endroit chez tous les individus et dans toutes les cultures, confirmée par l’imagerie cérébrale, cette aire détecte automatiquement les mots écrits, même lorsqu’ils sont présentés trop brièvement our être consciemment détectés.

Elle transmet le résultat de cette analyse visuelle à deux grands ensembles de régions, situés dans des lobes temporaux et frontaux, qui représentent respectivement la sonorité et le sens des mots. Le neurologue Joseph-Jules Déjerine se trouve confronté en 1887 à un patient qui présente un trouble sélectif de reconnaissance des lettres (il reconnaît toujours les chiffres et son écriture reste à peu près intacte). Il s’agit d’une alexie pure.

Des expériences ont montré que c’était la partie arrière de l’hémisphère gauche qui était lésée (la région occipito- emporale gauche). Il y a au moins trois manières dont les lésions peuvent empêcher le bon fonctionnement de la région de la forme visuelle des mots : lorsqu’une lésion la détruit directement, lorsqu’elle est déconnectée en amont, c’est-à-dire coupée de ses entrées visuelles, ou encore lorsqu’elle est déconnectée en aval, et ainsi empêchée de transmettre le résultat de ses calculs à d’autres régions cérébrales.

Selon Petersen et al. (1989), les aires cérébrales mises 6 5 calculs à d’autres régions en évidence pour la première fois en 1988 par la caméra à positons (tomographie par émisslon e positons) sont les suivantes : par rapport à la fixation d’un point, la lecture muette (en haut ? droite) active les processus de reconnaissance visuelle des mots situés dans la partie arrière de l’hémisphère gauche, tout particulièrement les régions occipitales et la région occipito- temporale ventrale.

L’information est ensuite transmise, selon la tâche, aux régions impliquées dans la representation du son (en haut ? gauche), de l’articulation (en bas à gauche) ou du sens (en bas ? droite). L’IRM fonctionnelle, autre méthode, permet de localiser les régions activées lors de la lecture. Les participants lisent mentalement des mots présentés à un rythme aléatoire. Parmi le réseau activé, la région de la forme visuelle des mots apparait systématiquement aux abord du sillon occipito-temporal latéral gauche, sur la bord de la clrconvolution fusiforme. D’après Ishai et al. 2000), et puce et al. (1996), la lecture, c’est-à- dire la reconnaissance des mots écrits, active une aire occipito-temporale toujours située entre les réponses aux visages et les réponses aux objets. Mais l’IRM et le TEP sont des méthodes d’exploration qui introduisent un délai entre le débit sanguin et sa réception, et donc une mprécislon. L’électro-encéphalographie (EEG) et la magnéto-encéphalographie (MEG) permettent dobtenir des mesures plus précises, ? 7 5 magnéto-encéphalographie (MEG) permettent d’obtenir des mesures plus précises, ? l’extérieur de la boîte crânienne.

D’après Allison et al. (1999), la reconnaissance des visages est traitée préférentiellement dans la region occipito-temporale droite, et les mots dans la gauche. Quelle que soit leur position sur la rétine, les mots que nous lisons convergent vers la région occipito-temporale de l’hémisphère gauche (invariance spatiale). Dans cette expérience, les participants lisent des mots présentés à gauche ou à droite du point de fixation du regard. On sait que les mots présentés à gauche de l’écran sont traités initialement par l’hémisphère droit, et vice-versa.

Vers 150-170 ms après l’apparition du mot, une première onde apparait du côté opposé au mot et est associée à l’activation d’une région visuelle située en arrière du cerveau et appelée l’aire V4. Vers 180-200 ms, une seconde onde apparaît, toujours du côté gauche. L’IRM confirme la convergence de l’activation vers la région occipito- emporale ventrale de l’hémisphère gauche (le corps calleux, épais réseau de connexions nerveuses). Les mots écrits peuvent être reconnus de façon non consciente ou subliminale.

Dans cette expérience un mot est présenté pendant 29 ms et pris en sandwich entre d’autres formes, ce qui le rend totalement invisible (effet d’amorçage). Pourtant, ce mot non conscient accélère les réponses des participants lorsqu’il apparait ensuite de façon consciente. L’imagerie cérébrale montre que la région occipito-temporale gauche est responsable de c consciente. L’imagerie cérébrale montre que la région ccipito-temporale gauche est responsable de cet effet d’amorçage : son activité diminue lorsque le même mot est répété, même quand sa typographie est modifiée (Dehaene et al. 2001). On sait que les neurones sont sensibles à la répétition : leur taux de décharge diminue rapidement lorsque l’on répète plusieurs fais la même image, tandis qu’il remonte ? un niveau élevé lorsqu’une image nouvelle est présentée. Le plus bas niveau, celui du traitement des lettres, est observé dans la partie arrière de la région occipito-temporale, et ce dans les deux hémisphères. A ce niveau, seules sont codées les lettres isolées. n niveau plus avancé d’invariance perceptive est atteint dans la région immédiatement antérieure de l’hémisphère gauche, un cm plus en avant.

Cette région repère la ressemblance entre des mots comme TREFLE et reflet. Toutefois, seule la région occipito-temporale gauche reconnaît l’invariance entre g et G. Son homologue de l’hémisphère droit reconnaît la ressemblance entre les mots de typographie identique SOUK et souk, mais pas entre ERG et erg (en raison de la graphie différente entre capitales et bas de casse). Les Français repèrent plus vite les mots qui ont un sens plutôt que les suites e lettres ou les suites de chiffres. Il y a imprégnation culturelle du cortex lors de l’apprentissage de la lecture.

Mais c’est la même réglon qui est activée quelle que soit la langue écrite (alphabet latin, caractères chinois ou japonais… ). Grâce à la magnéto-encéphal PAGF 5 langue écrite (alphabet latin, caractères chinois ou Grâce à la magnéto-encéphalographie, on a pu voir que, selon qu’on entende ou qu’on lise un mot, les voies d’entrée dans le cortex diffèrent, mais l’activité converge ensuite vers les mêmes aires du langage. Durant la lecture, l’activation débute dans le ôle occipital, vers 100 ms, puis vers 170 ms elle s’étend à la région occipito-temporale gauche, Siege presumé de l’analyse de la forme visuelle du mot.

Survient ensuite une explosion d’activité dans de multiples régions temporales et frontales partagées avec l’audition des mots (Marinkovic et al, 2003). Les psychologues postulent deux voies de lecture : – les mots réguliers et les néologismes sont reconnus par une voie de traduction des lettres en sons (conversion graphème-phonème) ; mots fréquents ou irréguliers sont identifiés dans un lexique mental qui donne accès à l’identité et au sens des mots.

Des expériences récentes montrent que les deux voies de lecture postulées par les psychologues correspondent bien à deux réseaux distincts d’aires cérébrales (celui du son et celui du sens). C’est la région temporale supérieure qui intervient dans la conversion des lettres en sons. L’imagerie cérébrale (IRM) distingue les régions visuelles (dans l’hémisphère gauche) activées par la vision d’une lettre, et les régions auditives activées par l’écoute d’un son (dans l’hémisphère droit). Mais toute une partie du cortex temporal supérieur est multimodale, c’est-àdire qu’elle s’active autant par l’écrit que par