Les logiques du désir chez Freud et Lacan
LES LOGIQUES DU DÉSIR ENTRE NÉVROSE ET PSYCHOSE Benoît Didier De Boeck Supérieur I Cahiers de psychologie clinique 2005/1 – no 24 pages 13 à 32 ISSN 1370-074X Article disponible en ligne à l’adresse: psychologie-clinique Document télécharg 1 6/04/2014 21h01. C pour citer cet artlcle : ue-cahiers-de or 36 05 87. 111 . 8. 82 – Benoît, « Les logiques du désir entre névrose et psychose cahiers de psychologie clinique, 2005/1 no 24, p. 13-32. DOI 10. 3917/cpc. 024. 013 Distribution électronique Cairn. info pour De Boeck Supérieur. @ De Boeck Supérieur.
Tous droits réservés pour tous pays. ?galement interdit. Document téléchargé depuis www. cairn. info – 1 6/04/2014 21h01. @ De Boeck Supérieur LES LOGIQUES DU DÉSIR ENTRE NÉVROSE ET PSYCHOSE 1 6/04/2014 21h01. @ De Boeck supérieur – 87. 111 . 8. 82 – Tout lecteur attentif de Freud et de Lacan aura constaté que ces deux auteurs orientent différemment la question du désir. Notre propos, dans ce qui va suivre est de prendre la mesure de cette différence et d’ébaucher quelques pistes de réflexions sur la nature de cette différence. Est-elle une contradiction ?
Une antinomie ? Lacan complète-t-il Freud ou bien le rend-il obsolète ? Dans l’un ou l’autre cas, quel est le rapport entre ces deux versions du désir ? Doivent-elles se réconcilier ou se concilier et comment ? Très brièvement, nous devons d’abord redessiner, à grands traits, les lignes saillantes des élaborations théoriques de ces deux auteurs. Nous proposerons alors notre hypothèse concernant l’articulation de ces logiques. Le point central de ce présent travail est la lecture précise d’un article de Freud sur le diagnostic différentiel entre névrose et psychose.
Le démontage de la minutieuse logique argumentative de ce texte permet, par analogie, de faire apparaître le rapport ‘étayage mutuel des logiques du désir telles que nous les avons artificiellement (conceptuellement) extraites des corpus freudien et lacanien. 6 Psychologue au Centre d’Accueil et de Traitement du Solbosch, 1050, Bruxelles. Le présent article est une reprise et une réarticulation de thèmes développés dans notre thèse intitulée « Les rapports complexes du désir et de la loi.
Essai épistémologique et clinique à partir des toxicomanies, des perversions et de certaines formes de meurtre 27 Benoît DIDIER* Les logiques du désir entre névrose et psychose 1 A. Bourguignon, P. Cottet, J. Laplanche, F. Robert- Traduire Freud, pans, puf. , 1989, p. 95-96. 2 C’est-à-dire son univers sémantique n’est donc pas strictement comparable au nôtre. Si nous nous référons aux remarques des traducteurs de l’édition des Œuvres Complète de Freud en françaisl le terme allemand « Wunsch traduit par le terme français de « désir », signifie plus précisément l’idée d’un souhait, d’un vœu formulé.
Le vocable français ajoute un mouvement de convoitise, mouvement qui est rendu en allemand par « Begierde » ou « Lust La théorie du désir chez Freud prend une tournure ue l’on pourrait dire « technique car il s’agit pour lui de rendre compte, dans un projet métapsychologique2 , du fonctionnement d’un modèle d’appareil psychique. La théorie du désir chez Freud est à trouver principalement dans l’énoncé selon lequel le rêve est un accomplissement (déguisé) de désir. our Freud, le désir ne se confond pas avec le besoin, et n’est donc pas lié à la conscience comme le pense la tradition philosophique3 . Si les restes diurnes peuvent jouer le rôle de l’entrepreneur du rêve, c’est le désir inconscient et infantile qui en est « le capitaliste . Il reste à expliquer les raisons pour lesquelles, dans le rêve, ce qui est transféré du capitaliste ? l’entrepreneur est précisément une mise de fonds, une quantité La réponse à cette question « ne manquera pas de jeter une lumière sur la nature psychique du souhaiter »S , la nature du désir inconscient.
Freud déroule son exposé à partir de la situation de satisfaction du besoin de nourriture. L’enfant perçoit un besoin interne, et par son accès à l’appareil musculaire, il crie et gigote. Cela ne le calme en rien, la satisfaction ne pouvant Ici venir que de l’extérieur. Lors de l’expérience de sati rien, la satisfaction ne pouvant ici venir que de l’extérieur. Lors de l’expérience de satisfaction qui conduit à l’apaisement du besoin, celle-ci s’accompagne de la perception de l’objet satisfaisant. ? Un constituant essentiel de cette expérience vécue est l’apparition d’une certaine perception (celle de la nourriture, dans notre exemple), dont l’image mnésique reste désormais associée à la trace mémorielle de l’excitation de besoin. Dès que ce besoin survient une nouvelle fois, il se produira, grâce à la connexion établie, une motion psychique Document téléchargé depuis www. airn. info – – 28 1 6/04/2014 21h01. C De Boeck supérieur -87. 111 . 8. 82 qui veut investir de nouveau la perception elle-même, donc à proprement parler rétablir la situation de la première satisfaction. _Jne telle motion est ce que nous appelons un souhait; la réapparition de la perception est l’accomplissement de souhait, et le plein investissement de la perception à partir de l’excitation de besoin est la voie la plus courte menant ? l’accomplissement de souhait »6 . Le désir trouve ici son modèle et son origine dans la double expérience, réelle et hallucinatoire, de satisfaction. Il trouve son origine dans le rapport du besoin à la satisfaction du besoin, et se met en place sur le modèle de Phallucination, c’est-à-dire de l’investissement de quantités dénergie sur des traces mnésiques dans une sorte de court-circuit7 .
Si le besoin trouve une satisfaction (Befriedigung) dans faction spécifique, le désir, lui, trouve son accomplissement (Wunsch-erfüllung) dans la reproduction halluci PAGF s 6 spécifique, le désir, lui, trouve son accomplissement (Wunsch-erfullung) dans la reproduction hallucinatoire des perceptions devenues les signes de cette satisfaction. Désirer, c’est donc investir des traces mnésiques8 . Le Moi a une fonction d’inhibition et empêche que l’image mnésique de l’objet satisfaisant soit réinvestie de manière trop intense et qu’elle n’acquière l’indice de réalité.
La fonction du Moi est de ne pas faire prendre au sujet ses désirs pour des réalités ou, plus exactement, de lui permettre de ne pas confondre ses processus internes avec la réalité. Pour ce faire, il inhibe les processus primaires et initie les processus secondaires, c’est-à-dlre l’ajournement de la satlsfaction. Freud avait déjà élaboré ce modèle du désir dans « L’esquisse une psychologie scientifique »9 Le désir est donc foncièrement lié à l’activité psychique en tant qu’elle peut être caractérisée par le registre économique en termes d’investissements, de dépenses, et de satisfactions liées à ces dépenses.
Nous verrons plus loin que Freud ne cesse pas de tenter de conjoindre les deux points de vue économiques et topiques. Nous verrons que cela ne fait pas nécessairement bon ménage et nous trouverons quelques avantages à soutenir leur hétéronomie. 29 6 Id. , Ibid. , p. 619-620. 7 Sur le modèle des charges électriques à la surface des corps. D’où, on comprend comment les hystériques souffrent de réminiscences et l’on retrouve une certaine conception Document téléchargé depuis www. cairn. info 2 IO A.
Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947, coll. « Tel 11 J. Lacan, Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien, in Écrits, Paris, seuil, 1966, p. 814. 12 J. Lacan, La signification du phallus. Die Bedeutung des Phallus, in Écrits, op. cit. , p. 691. 13 « l’homme ne peut donc apparaître sur terre qu’à l’intérieur d’un troupeau. C’est pourquoi la réalité humaine ne peut ?tre que sociale » in A. Kojève, op. cit. , 7 6 négativité. À l’époque où Lacan fréquente le séminaire d’A.
Kojève, il s’introduit à la dimension du structuralisme et relit le « Cours de linguistique générale » de F. de Saussure. Cela marque son élaboration du désir d’une trace langagiere et restitue le désir dans l’ordre langagier. Le désir est distingué de la demande et du besoin, il naît précisément de l’écart entre la demande et le besoin. Le désir se formule également d’être celui de l’Autre, raccourci dont nous examinerons plus loin les quelques variantes. Dans son principe, le désir ne vise pas un objet réel, mais implique une relation au fantasme.
Constitutivement, car humain, donc dialectique et langagier, le désir est le lieu de l’écart entre la demande et la réponse, lieu de l’écart entre le manque et l’objet du manque. « Le désir s’ébauche dans la marge où la demande se déchire du besoin : cette marge étant celle que la demande, dont l’appel ne peut être inconditionnel qu’à l’endroit de l’Autre, ouvre sous la forme du défaut possible qu’y peut apporter le besoin, de n’avoir pas de satisfaction universelle (ce qu’on appelle : angoisse) »1 1 Pour Lacan, le désir est indissociable du manque et de l’inadéquation. ? C’est ainsi que le désir n’est ni l’appétit de la satisfaction, ni la demande d’amour, mais la différence qui résulte de la soustraction du premier à la seconde, le phénomène même de leur refente (Spaltung) »12 . On pourrait difficilement être plus clair. L’énoncé lacanien; « le désir de l’homme est le désir de l’Autre », est une forme condensée de plusieurs énoncés kojéviens. En effet, pour Kojève commentant la dialectique du maitre et de l’esclave de Hegel, le désir, pour ne pas être un 6 commentant la dialectique être un besoin, doit avoir comme objet un autre désir.
Cela implique qu’il y ait d’autres désirs à désirer, et donc un environnement socia113 . Cet environnement social n’est pas la bienheureuse vie en troupeau, mais une relation agonistique pour la reconnaissance14 . À ce stade fictif de l’anthropogenèse, – 87. 111 . 8. 82 30 15 A. Green fait remarquer que le sommet de la rencontre entre Lacan et Hegel est à situer autour du commentaire d’Hippolyte sur la « Verneinung h. Après ce texte, l’hégélianisme pour Lacan passe au second plan, au profit e la linguistique et de la topologie.
A. Green, le travail du négatif, Paris, Les Éditions de Minuit, 1993, p. 10. 16 J. Lacan, Propos sur la causalité psychique, in Écrits, op. cit. , p. 181. 17 « C’est ce moment PAGF q 6 Fonction et champ de la parole 87. 111 . 8. 82 le désir est encore la marque d’un sujet non encore advenu à Ihumanité, dans la mesure où son désir désire le désir de l’autre comme sa valeur. C’est le moment pivot dans le raisonnement où le désir se « délocallse » du sujet vers fautre.
Désirer un désir (nécessairement autre), c’est à la fois désirer e que fautre désire, auquel cas le sujet reste désirant, mais cela signifie également le désir que le désir de l’autre soit ma valeur (désir de reconnaissance). Le désir comme désir de l’autre revient dans cette deuxième signification à localiser » le désir chez l’autre. Dans le premier cas, le désir porte sur l’autre, dans le second, l’autre est porteur de mon désir. Cette citation selon laquelle « le désir de l’homme est le désir de l’Autre » est certainement aussi connue que celle où « le désir s’ébauche dans la marge… ».
Elle connaît quelques ariantes et nous pouvons remarquer que son emploi se fait de plus en plus abstrait en s’éloignant de son modèle original 15 . Dans le texte intitulé « Propos sur la causalité psychique n, (1 946), Lacan cite pratiquement Hegel et cette assertion prend une connotation très pragmatique. « Le désir même de l’homme se constitue, nous dit-il [Hegel], sous le signe de la médiation, il est le désir de faire reconnaître son désir. Il a pour objet un déslr, celui d’autrui, en ce sens que l’homme n’a pas d’objet qui se constitue pour son désir sans quelque médiation, ce qui apparaît dans ses b