Les bases constitutionnelles du droit adrninistratif
En tant que branche du droit, le droit administratif se présente comme un corps de règles dotées d’une spécificité au moins relative au sein de l’ordre juridique: selon que cette spécificité sera rapportée, soit l’bête auquel elles s’appliquent (l’administration), soit Eure contenu intrinsèque (contenu exorbitant du droit commun), on sera confronté à une définition large ou étroite; et le diagnostic qu’on sera amené à porter sur l’évolution en cours sera dans les deux cas fort différent.
Mais le droit administratif peut aussi être envisagé, d’un point de vue sociologique, comme un champ de production juridique spécialisé, caractérisé par une certaine cohésion et disposant d’une autonomie au moins relative; l’existence d’un droit administratif est indissociable de la création d’un juge spécial, le juge administratif, qui a contribué à forger droit administratif
premier boy malpoli I empâta 22, 2011 | 62 pages l’objet auquel elles s’appliquent (l’administration), soit des règles particulières ; et l’intervention de professionnels chargés de l’interprétation et de la diffusion des solutions journalistiques a contribué à transformer le droit administratif en une ouvre systématique et cohérente. Dans la hiérarchie des producteurs de savoirs juridiques.
Ces deux facettes du problème sont en fait indissolublement liées, si l’on admet que ‘automatisation d’une branche du droit n’est jamais l’expression d’une nécessité objective et d’une logique purement interne au rôtit: produit d’un certain état des para- 12 LE DROIT ADMINISTRATIF EN MUTATION tiques et des représentations sociales qu’elle concourt objectiver! En la traduisant dans le langage du droit, elle est aussi le reflet des stratégies corporatives déployées par les professionnels concernés pour asseoir leur autorité dans le champ juridique et social ; les équilibres réalisés étant par essence instables et variant en fonction de multiples paramètres, on assistera à la réévaluation incessante des découpages disciplinaires et des positions respectives occupées par les spécialistes des différentes branches du droit.
La p ace du « droit administratif », entendu ainsi à la fois comme corps de règles et corps de professionnels, dépend d’une double détermination: d’une part, il subit, en tant que savoir juridique, la concurrence d’autres savoirs relatifs à l’administration, d’autre part, il est amené, en tant que savoir juridique spécialisé, à se situer par rapport aux autres branches du droit. C’est dans/ par la relation duel entretenue avec, d’un côté la science administrative, de l’autre le droit constitutionnel, que le droit administratif acquiert sa véritable dimension.
Dans l’histoire du droit administratif ces aspects sont en fait indissociables : l’imposition progressive de la grille de lecture juridique pour expliquer le phénomène administratif a coïncidé en effet avec une suprématie conquise au sein du droit public; l’ « âge d’or » du droit administratif est marqué par sa reconnaissance à la fois comme savoir total, voire exclusif, sur l’administration et comme noyau central, voire fondateur, du droit public (1 ).
L’évolution récente se caractériserait par un mouvement de reflux sur ces deux plans : tandis que la capacité explicative et l’efficacité pragmatique du droit administratif sont fortement remises en cause, l’essor spectaculaire du rôtit constitutionnel semble le ramener à une position plus modeste, voire subordonnée, au sein de l’ordre juridique; disqualifié comme savoir technique, indispensable au bon fonctionnement administratif, le droit administratif se trouve au même moment, par une coïncidence troublante, supplanté dans la hiérarchie des savoirs juridiques (Il).
Si cette analyse comporte une part de vérité, elle mérite cependant d’être fortement nuancée: tandis que la vision de l’ « âge d’or » du droit administratif est largement factice et tend à prendre au pied de la lettre les discours autogestionnaire des intéressés, la thèse d’un droit administratif en crise, et menacé d’implosion, apparaît illusoire: non seulement le droit apparaît pour l’administration plus que jamais comme une contrainte incontrôlable, à l’heure où le discours de l’état de droit insiste sur les vertus de la médiation juridique, mais encore la constitutionnaliser progressive du droit administratif, loin de signifier la mort de celui-ci, lui confère sans doute des points d’appui plus solides. A cet égard, la victoire du « droit constitutionnel », déc. sans doute des points d’appui plus solides. A cet égard, la victoire du « droit constitutionnel », décrite par certains aurifères du Conseil constitutionnel, apparaît plutôt comme une victoire à la apparus, dans la mesure où elle est assortie d’une dérive des significations originaires. I. Voir la démonstration faite par H. Celles du « caractère idéologique de la distinction droit privé-droit public » (Théorie pure du droit, 1934, Emme de. , dalles 1 962, pp. 372 s.
SCIENCE ADMINISTRATIVE ET DROIT CONSTITUTIONNEL 13 1 – L’HÉGÉMONIE DU DROIT ADMINISTRATIF L’idée selon laquelle le droit administratif a été jusqu’ une période récente la discipline-reine, autour de laquelle gravitaient tous les savoirs administratifs et se trouvait élargie le droit public entier, est devenue un véritable lieu commun. Les explications de cette suprématie sont nombreuses : e prestige d’un Conseil d’état ayant résisté toutes les secousses et construisant de toutes pièces un droit spécifique ; la continuité administrative s’opposant la discontinuité constitutionnelle; l’accent mis sur les garanties juridiques et l’exigence de limitation de l’état par le droit,? mais aussi l’enracinement profond d’un droit apparu sous la Monarchie absolue, qui elle-même n’avait fait que laïciser certaines techniques administratives de ‘guise.
Cette thèse doit être cependant assortie de certaines nuances et correctifs : l’hégémonie du droit administratif, entretenue par la faiblesse constitutive du droit constitutionnel qui lui permet d’apparaître comme le ne s’établit réellement qua la fin du sixième siècle, lorsque la conjugaison d’une jurisprudence audacieuse et de travaux doctrinaux d’envergure lui confère ses lettres de noblesse ; jusquiames la juridiction administrative avait été l’objet d’une contestation permanente 2 , au point que son existence était apparue à plusieurs reprises menacée, et les entrouvertes renaîtront encore périodiquement au cours du X>(me siècle 3 ? Par ailleurs, cette hégémonie, lentement conquise (A) comporte des zones de fragilité (B).
A) fondation L ‘hégémonie du droit administratif résulte de la consolidation progressive, tout au long du sixième siècle, d’un champ que l’héritage impérial rendait pourtant vulnérable: le renforcement de l’indépendance du juge administratif et les progrès de la jurisprudence allaient se conjuguer avec un travail de systématisation doctrinal, débouchant sur la constitution d’une véritable discipline ; doté d’une solide armature jurisprudences et onctueuse, le droit administratif pouvait prétendre ramener à lui une science administrative qui avait manifesté quelques velléités d’émancipation et apparaître comme l’élément stable du droit public. 1) La monopolisation des savoirs administratifs a) En dépit de ses racines historiques et de l’appui qu’il trouvait dans l’existence d’une juridiction administrative, la position du droit administratif est restée précaire jusqu’ années 1 870 : non seulement le droit administratif éprouve alors bien des difficultés à franchir les étapes lui permettant d’accéder au statut de « droit » à part entière, en informant sa « juridiction », 2. Loucha (D. ), « Quelle légitimité pour le juge administratif? Entière, en confortant sa « juridiction », 2. Loucha (D. ), « Quelle légitimité pour e juge administratif? « , ni Droit et politique, POUF 1 993, p. 141. 3. Gênent (M. ), ibid., p. 153 et caillasse 0. ), « Sur les enjeux idéologiques et politiques du droit administratif. Aperçus du problème à la lumière du changement », AIDA 1982, p. 361. 14 mais encore il se trouve concurrencé par d’autres savoirs sur l’administration,? le droit administratif n’apparaît que comme un élément d’une science administrative plus vaste eu le dépasse et l’englobe. Ces difficultés d’implantation du droit administratif dans l’univers juridique sont attestées par un ensemble de signes.
D’abord, la persistance des attaques contre le juge administratif, dont l’indépendance par rapport au pouvoir est suspectée et qui n’est pas considéré, notamment par les libéraux, comme un véritable juge: très vives sous la Restauration, ces attaques reprendront de plus belle à la fin du Second Empire, au nom de la lutte contre I' »étatisme » ; mais au milieu des années 1890 encore, des propositions visant à la suppression de la juridiction administrative seront ressentes 4 ? Ensuite, les vicissitudes de l’enseignement du droit administratif dans les facultés de droit: la chaire de droit administratifs créée à la faculté de droit de Paris par l’ordonnance du 21 mars 1819 au profit de gérance sera supprimée pour raisons politiques le 6 septembre 1 822, avant d’être rétablie en 1 828 par le gouvernement libéral au profit du même gérance (suppléant: macabre) ; des ensuite créées à Caen, Toulouse etc. mais le mouvement ne s’achèvera qu’au cours des années 1840 et la p ace de l’enseignement dans le cursus universitaire sera fluctuante. La conception qui a présidé à la création des écoles de droit en 1 804, écoles destinées à préparer aux professions judiciaires et dont l’enseignement sera centré sur l’étude du code civil, reste dominante : l’enseignement dispensé dans les facultés de droit est tourné essentiellement vers le droit privé ; et le droit administratif reste considéré comme une discipline marginale, dont la juridiction est sujette caution.
Enfin, le travail de systématisation de la nouvelle discipline ne s’effectuera que très progressivement: les premiers ouvrages à destination des étudiants , et étonnamment celui de gérance 7 , restent conçus sur le mode de la compilation puis de la divulgation de la jurisprudence 8 ; ce n’est qua partir des années 1860 qu’une organisation plus rationnelle de la matière est esquissée, la notion d »‘administration publique » devenant alors la « notion fondatrice » permettant de tracer les contours de la discipline et d’ordonner les développements 4. Voir bureau (F. ), « Les crises du principe de dualité de juridictions », RAFLA 1990, no 5, pp. 724 as. 5. L’expression « droit administratif’ figure en 1807 dans le « projet d’instruction » élaboré par les inspecteurs généraux des accules de droit; en 1 805 est seulement créée à l’école de droit de Paris au enseignement de « droit civil dans ses rapports avec l’administration publique ».