LA FORCE DE L’ORDRE

essay A

Introduction Didier Bassin est anthropologue et sociologue. Il est professeur de science sociale ? l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études ? I’EHESS en Anthropologie politique et morale. Dans son ouvrage intitulé La force de l’ordrel , publié en 2011, il réalise une anthropologie de la police des quartiers, comme son sous- titre l’indique, en enquêtant, au travers d’une observation, auprès d’une brigade anti-criminalité Sni* to View de la région parisienne.

La méthodologie emplo ethnographique, app c or26 des analyses qualitati s. Ce compte-rendu de éthodologique et che pproche épistémologique déploy e dans cet ouvrage. Le questionnement qui motive ce dernier est alors multiple. Quel est le terrain et quelle est la population étudiée ? Combien de temps a duré l’enquête ? Quelles en ont été les difficultés ? Dans quel cadre théorique l’étude se situe-telle ? Comment ce dernier est-il légitimé ? L’enquête, présentée dans cet ouvrage, correspond-t-elle à ce cadre ?

Quelles sont les limites qu’il est possible de mettre en évidence ? Dans un premier temps, il s’agira de rendre compte des éléments méthodologiques résentés dans rouvrage. Puis, dans un second temps, il sera question de préciser le cadre cadre méthodologique et théorique de l’enquête en s’appuyant notamment sur la critique que fait Fabien Jobard de l’ouvrage, ainsi que sur la réponse ? celle-ci de Didier Fassin. – Didier Bassin, La force de l’ordre.

Une anthropologie de la police des quartiers, éditions du Seuil, collection La couleur des idées, 2011, 393 pages. Page 2 sur 13 l_Jniversité paris-Sorbonne — Master de Recherche de Sociologie (Ml) – Année 2013/2014 l/ Méthodes et théories déployées durant l’étude de Didier Fassin Didier Fassin expose les différents éléments de son enquête dans son introduction intitulée « Enquête »2. Nous proposons ici de présenter les éléments factuels de l’enquête ainsi que les éléments méthodologiques et théoriques qui sous- tendent cette dernière.

A) Observations non-participantes au sein d’une Brigade AntiCriminalité (BAC) et relations ethnographiques « je pus régulièrement venir à l’hôtel de police, converser avec les fonctionnaires présents, suivre leurs sorties en patrouille à pied ou plus souvent en voiture, participer à leur quotidien de our ou de nuit depuis leur prise de fonction jusqu’à la fin de leur seNice, encore que mon enquête nocturne se terminât souvent vers 1 ou 2 heures du matin lorsqu’ils faisaient une pause me permettant de rentrer dormir avant ma journée ordinaire de travail »3.

PAGF OF décrété face aux « évènements des émeutes des banlieues » ; dans l’ensemble, l’enquête a duré environ 13 mois. Durant cette période, Didier Fassin mène une approche d’analyse qualitative liée à la tradition ethnographique, à savoir robservation au sein du terrain, tout en s’y démarquant en e participant pas aux situations et interactions principales des policiers sur le terrain – approche relevant donc d’une observation non-participante4. En effet, s’il accompagnait assez régulièrement les agents des forces de rordre en patrouille, en aucun cas il ne s’est permis de réaliser la ou les « fonctions » du métier.

Comme il peut le rappeler, il lui ait arrivé de remarquer des contradictions dans les propos d’une personne ou des éléments susceptibles d’intéresser les policiers sans toutefois leur en faire part. De plus, ces observations n’ont pas ait l’objet d’entretiens structurés et formels privilégiant « des échanges Informels au moment du café, durant les longues heures passées à sillonner les rues, à l’occasion de passages dans un commissariat ou même en marge d’une intervention que nous commentions »5.

Cette non-participation dans l’observation s’accompagnait durant l’enquête d’une certaine forme de neutralité axiologique. Malgré certains situations qui pouvaient moralement et politiquement le révolter, en aucun il en faisait part aux policiers —même si cette position trouve inévitablement, de manière inhérente, ses difficultés. Ainsi, comme Didier Bassin l’écrit : « malgré la familiarité qui finissait par s’installer entre nous, en p PAGF 3 OF Ibidem pages 31 à 60. – Ibidem page 54. – « Contrairement à la forme canonique de l’ethnographie, j’adoptais donc ce qu’on pourrait appeler une posture dobservation non participante. C’était la seule que je jugeais éthiquement défendable, aussi bien vis-à-vis du public que des policiers » Ibidem page 55. Page 3 sur 13 Université Paris-Sorbonne — Master de Recherche de Sociologie avec certains équipages, je ne me départais pas de mon rôle d’observateur neutre et silencieux e me devais de respecter une stricte abstention »6.

Cette neutralité axiologique, ainsi que ses difficultés, semblent liés à la « relation ethnographique selon Didier Fassin. Comme ce dernier l’explique, la relation entre l’enquêteur et les enquêtés instaure nécessairement une tension entre la « complicité » et la « duplicité ». En effet, « d’un côté, on cherche à induire une proximité artificielle qui finit cependant par devenir réelle ; de l’autre, on s’efforce de maintenir une certaine réserve sur un projet intellectuel qul se constitue du reste au fur et à mesure ue la recherche progresse »7.

Cependant, si cette tension est inévitable dans le travail du chercheur, elle l’est de même pour les enquêtés -ces derniers ne se com ortant pas de la même façon en fonction de la p devant le chercheur, il change et se modifie en raison de facteurs endogènes et exogènes. C’est, semble-t-il, l’un des ponts importants d’un pont de vue méthodologique qui ressort de l’ouvrage de Didier Fassin : les terrains ne sont pas éternels.

Si à certains moments ils s’ouvrent, à d’autres, ils se referment. Deux éléments empiriques peuvent être ici convoqués pour illustrer ce point. Le remier concerne l’impossibilité de continuer la recherche lors de l’état d’urgence lié aux « émeutes de banlieues » du mos d’octobre et de novembre 2005 qui, durant cette période, a refermé le terrain sur lui-même. L’anthropologue n’a donc pas pu continuer sa recherche durant ces deux mois.

Le second élément est lié aux différents refus qui lui ont été adressé face aux demandes de poursuivre Penquête en juin 2007. Si ce dernier a eu un accord pour enquête en 2005, tel n’a pas été le cas lors de sa première demande en 2007-20088 ni lors de la seconde en 2009-20109, quand Didier Bassin décida de rolonger son étude par une observation similaire d’un autre terrain —volonté d’ « obéir à un principe de rigueur scientifique élémentaire »10.

Comme l’écrit Didier Fassin, « à chaque fois, le circuit recommençait à zero et les mêmes interminables négociations aboutissaient au même résultat »11. Selon ce dernier, cette fermeture du terrain et de l’objet d’étude a des causes que l’on pourrait dire structurelles et, d’autres, davantage liées à la conjoncture (politique). Concernant les causes d’ordre structurel, il relie cela à la « culture » du secret et de PAGF s OF Ibidem page 47. Demande effectuée dans un département voisin avec l’accord d’un commissaire divisionnaire mais il fallait y référer au directeur départemental de la Sécurité publique qui donna une réponse négative, le problème étant que cela tombait lors d’une date critique du calendrier politique. – Demande refusée malgré la multiplication des portes d’entrée et des accords officiels, après de nombreuses personnes rencontrées, allant jusqu’au ministre de l’intérieur, qui était ? cette période-là Brice Hortefeux. 0 – « Si la recherche ethnographique vise la connaissance pprofondie d’une configuration sociale particulière plutôt que la représentativité statistique d’une population sur la base d’un échantillonnage -le qualitatif plutôt que le quantitatif-, il n’en demeure pas moins utile de pouvoir comparer plusieurs de ces configurations afin d’éviter des généralisations à partir de cas singuliers obéir à un principe de rigueur scientifique élémentaire tout autant qu’à une exigence d’honnêteté à l’égard du monde policier » -ibidem pages 33 et 34. Ibidem page 35. Page 4 sur 13 Université Paris-Sorbonne – Master de Recherche de Sociologie ‘opacité, principes selon lui de Pinstitution policière, imposés par le politique. Toutefois, cette culture du secret et de l’opacité, objectivée sous la forme de la censure, n’est toujours que partielle et sporadiqu eture trouve, d’autre le politique, à travers le ministère de Plntérieur, depuis le début des années 2000. Elle se matérialise notamment par une pression croissante sur tous les niveaux de l’administration et avec des sanctions à l’encontre des préfets13.

Cette censure, qu’elle relève d’aspects structurels et/ou conjoncturels, a pour objectif de laisser aux esponsables politiques, le monopole de la parole légitime, notamment en période électorale. Didier Fassin ne manque pas de souligner toute la part de hasard et de contingence qui revient à l’ouverture de son terrain ; en effet, l’étude, qui aurait pu ne pas avoir lieu, s’est produite grâce à une rencontre faite lors d’une réunion en préfecture et qui a débouché sur l’accord du commissaire de la circonscription.

Cet élément ne manque pas de nous indiquer que derrière chaque interaction sociale se cache potentiellement l’opportunité d’ouvrir un terrain. C) Une ethnographie non-culturaliste Si l’enquête de Didier Fassin se situe clairement dans une perspective anthropologique, de dernier semble déconstruire et avertir le lecteur de certains préjugés qu’il est possible d’avoir concernant le travail de l’anthropologue. Selon Didier Fassin, on attend souvent deux choses de l’anthropologue : « on attend de lui de l’exotisme » et « on attend de lui une étude d’une culture » -préjugés et a priori hérités de l’anthropologie classique.

A contrario, Didier Fassin cherche plutôt, dans cette étude, ? analyser l’ordinaire des agents de police, « sans rechercher la saillance des morceaux de ravoure ou des éclats de scandale c’est ici l’insig le plus signifiant »14 -il y PAGF 7 OF ici l’insignifiant qui est le plus signifiant -il y a donc dans cette enquête un certain refus de Pexotisme. De plus, il expose dans cette introduction, liée à la méthodologie employée, une critique profonde de l’approche culturaliste qu’il considère être une « théorie sociale pauvre »15.

Selon lui, cette dernière tend à essentialiser des traits et des caractéristiques sociales censés refléter l’homogénéité d’un groupe social. Or, ces traits et caractéristiques sociales dépendent de contraintes nstitutionnelles et politiques, tout comme de trajectoires biographiques et professionnelles. par ailleurs, l’un des aspects pauvres selon Fassin de l’approche culturaliste relève du fait qu’elle instaure un raisonnement circulaire et donc tautologique : on explique la culture par la culture.

Ainsi, comme le note ce dernier, « on suppose que les policiers font ce qu’ils font à cause de leur culture et que les raisons pour lesquelles ils le font constituent ce qui caractérise cette culture En somme, le problème lié à cette approche anthropologique classique est de mettre en vant l’exotisme, qui de fait met à distance l’objet étudié, et la culture, qui a le défaut de 12 – « Cette censure n’est toutefois ni totale ni permanente. Elle concerne certaines institutions seulement et s’impose à certaines périodes uniquement.

Elle délimite des zones d’exception au sens fort de ce qui manifeste le geste souverain de suspension de la règle démocratique. Que la police ne puisse plus faire l’objet d’observations et d’analyses indépendantes conduit à s’interroger sur ce qu’elle aurait à cacher ou sur ce que le pouvoir ne voudrait pas qu’on en dise » -Ibide PAGF ur ce qu’elle aurait a cacher ou sur ce que le pouvoir ne voudrait pas qu’on en dise » -Ibidem pages 32 et 33. 3 – « Un déploiement sans précédent de la censure à rencontre des policiers et des gendarmes, dont toute parole publique tombe sous le coup du devoir de réserve et donne lieu à des sanctions pouvant aller jusqu’à la révocation » -Ibidem page 37. 14 – Ibidem pages 43 et 44. 15 – Ibidem page 44. 16 page 5 sur 13 construire de l’altérité.

Si ces éléments d’ordre méthodologique et épistémologique semblent importants pour comprendre l’enquête de Didier Fassin, il est egrettable qu’ils ne soient pas plus explicités et expliqués -cette absence devant être mis en relation avec la volonté de l’auteur d’atteindre un lectorat plus large et plus important que le simple public universitaire. Enfin, il apparait que c’est ce rejet de toute approche culturaliste qui l’amène à prendre en compte la notion de « situation »17.

Cette notion souligne l’idée de changement, de pouvoir et de conflit selon lui, elle met en évidence l’inscription temporelle et spatiale des configurations. Ainsi, comme Didier Fassin l’écrit, les policiers et les habitants, dans leurs apports conflictuels, « étaient ris dans un jeu dont ils n’avaient pas défini les rèeles et do ces inscriptions spatiales et temporelles, la dimension historique. D) De la méthodologie à l’éthique Dans son ouvrage, Didier Fassin se pose aussi deux questlons, liant ici méthodologie et éthique.

La première pose la question de savoir où doit-on se situer dans une enquête en sciences sociales, la seconde nous amène à nous demander comment doit-on rendre compte des résultats. De la manière qu’Howard Becker, Didier Fassin se demande « de quel côté sommesnous ? »19. Cette question apparait a priori aradoxale et anormale si l’on se réfère à la neutralité axiologique de Max Weber. Cependant, selon l’auteur, « une stricte neutralité est illusoire »20.

En effet, que nous nous l’avouons ou non, nous prenons toujours plus ou moins parti. Cette question de la neutralité est donc un faux problème ; il s’agit selon Didier Fassin de savoir lequel des partis nous prenons et pourquoi. Ce questionnement amène Didier Bassin à développer une « posture critique à la frontière »21 . Cependant, cette posture est délicate face à un groupe social tel que les forces de l’ordre, observé par e dernier, qui est par certains aspects à la fois dominant et dominé.

C’est pourquoi, cette posture l’amène à se situer du côté des gardiens de la paix car il ne voit la réalité sociale qu’à travers eux, et ne peut donc pas tellement observer une autre réalité sociale 22. Concernant, l’étape d’écriture et de compte-rendu autour des résultats de l’enquête, trois années séparent la fin de l’étude du début du travail d’écriture. Cet écart ne relève pas seulement des impossibilités de oursuivre l’enquête, mais relève aussi de ce qu’il nomme