geste
Académie de Montpellier-Cercle d’étude en Art/Danse-2007 Réfléchir sur le « Geste » « Nous nous trouvons ici, face au problème essentiel que pose le geste : est-il un système de communication comme les autres, ou plutôt une pratique où s’engendre le sens qui se transmet au cours de la communication ? » (Julia Kristeva). Swipe View next 67 Académie de Montp Elèves de l’atelier arti 9 rt/Danse-2007 Photos Christian Cordat 2007 68 Petites réflexions sur le geste…. Chantal Saint-Leger* Le programme de l’option facultative de danse s’articule autour de la notion de geste.
Bien u’évidente dans un premier abord, cette notion n’en demeure pas moins ambiguë comme en témoigne la difficulté que nous avons à cerner le geste dans les travaux d’élèves. Nous quelle trace de ce premier geste reste-t-il dans la chorégraphie finale? Le traitement artistique du geste permet-il encore de repérer le geste initial? Pour répondre à ces questions, il faut au préalable analyser le texte officiel pour en saisir les présupposés philosophiques. Que dit le programme du geste, de son prélèvement et de son traitement artistique? À quelle conception de l’homme, de la société et de l’art se rattache-il?
Que dit le programme ? – Le programme de la classe terminale propose: ‘ une réflexion sur le rôle du corps comme outil de création et de pensée’ – Il remarque : « C’est à partir de ses marquages corporels, sociaux, professionnels qu’il s’agit de définir le geste. » – Il soutient : « Censeignement de la danse s’attache à découvrir l’identité corporelle de chacun dans la vie quotidienne comme dans la pratique artistique. Il permet à l’élève de reconnaître ses propres marquages, ses modelages culturels, et de façon générale, une certaine instrumentalisation du corps dans le contexte social. » 69 GESTES UNIVOQUES / PLURIVOQUES
Gestes de refus : Gestes à plusieurs sens : 2 OF Eg soulèvement et l’abaissement des sourcils rapidement et une seule fois, accompagné d’une expression grave ou contrariée du visage signifie « non Main enserrant le nez : en France, le geste de la main enserrant le nez en décrivant un mouvement en arc de cercle comme pour visser signifie « ivre En Afrique de l’est, ce geste signifie « ce n’est pas grave Effleurement du menton : en Italie du sud, ce geste d’effleurement du menton par le dos des doigts plusieurs fois de suite, la tête rejetée en arrière, signifie « non ndex contre index : au Moyen-Orient, es index serrés latéralement l’un contre l’autre signifie « accord conclu » En Afrique du nord, ce geste signifie « amitié étroite 70 Académie de Montpellier-CercIe d’étude en Art/Danse-2007 L’analyse de ces remarques permet de mettre en évidence deux conceptions paradoxales du corps et du geste et une approche particulière de la démarche artistique. – Le corps « objet », est façonné, construit par la culture, par la civilisation imposant ses lois, ses normes, ses intérêts. On parle d’un corps « instrumentalisé », d’un corps dépersonnalisé, anonyme, vidé de sa subjectivité, qui peut même être asservi et anipulé. De cette approche du corps découle une con te comme produit d’un Eg qui a une Identité propre et qui se libère du carcan idéologique imposé par la société.
Ce corps artistique joue et se joue des représentations communes, il s’approprie, transforme et interprète le matériau gestuel commun. De cette approche du corps, on peut déduire une conception active, libre, personnelle, authentique du geste. Le texte officiel pose aussi un présupposé artistique: « la pratique artistique s’organise à partir d’une observation et d’un questionnement sur les différentes occurrences du geste ». Le geste artistique est donc à élaborer à partir du geste observé dans les multiples dimensions de l’existence humaine. Il faut prélever puis, décontextualiser, transformer le geste commun pour trouver le geste dansé. On doit passer du monde ordinaire au monde artistique par la transformation du matériau commun « objectif’. geste artistique est ici l’acte créateur, celui qui métamorphose le matériau commun en présence poétique, en objet esthétique. Les gestes ordinaires acquièrent ainsi une autre dimension, ils rayonnent sous une autre lumière qui nous permet de les voir « autrement » sans toujours les reconnaître. Mais, avant de pouvoir prélever un geste encore faut-il savoir ce qu’est le geste, ce qui fait d’un mouvement un geste. Qu’appelle-t-on un geste ? Définition du dictionnaire: Petit Robert: A- Mouvement du corps (principalement des bras, des mains, de la tête) volontaire ou involontaire, révélant un état s cholo igue ou visant à exprimer, à exécuter quelque chose. OF Eg qu’il vous prenne en sympathie 71 A- Analyse de la première définition : e geste concerne essentiellement les extrémités parce que dans le monde commun, le geste de la main, le signe de la tête, le tapotement de pied est ce ui nous permet d’établir une communication avec les autres. S’il concerne principalement les extrémités du corps c’est parce que dans la communication ordinaire ce sont les parties qui bougent le plus aisément et qui accompagnent ou remplacent notre expression verbale « Les gestes de l’orateur sont des métaphores » dit p. Valéry. On peut faire beaucoup de gestes en parlant, on peut encourager quelqu’un de la voix et du geste.
Le geste a donc d’emblée un sens social, il n’existe que dans la communication intersubjective, entre des êtres conscients qui échangent des informations, des sentiments, des ?tats de conscience ou des intentions. Tous les hommes communiquent avec leur corps, cette pratique est donc universelle, mais la différence des cultures impose des codes distincts qui renvoient à des valeurs et des significations variées. a- Mouvements du corps conscients et volontaires. Les membres d’un même groupe social partagent des gestes communs, les reconnaissent, les utilisent quotidiennement pour communiquer, pour créer des liens affectifs, pour se situer les uns par ra ort aux autres. Dans les gestes conscients et volontaires, s OF Eg 1997, P35. ). – les mouvements du corps involontaires: s publicitaires, les spécialistes de la « communication » parlent du « gestualisme », de l’étude des gestes involontaires, ceux qui trahissent nos véritables intentions par rapport aux autres. Nos gestes les plus courants peuvent constituer un langage psychoaffectif inconscient. Ils trahissent nos désirs inavoués et inavouables, nos comportements les plus prédateurs. On présuppose ici qu’il y a des codes cachés derrière les gestes des gens, codes qui organisent notre relation à autrui. Notre corps, nos gestes, nos actions, seraient soumis aux mêmes lois biologiques que celles qui gouvernent toutes les autres espèces nimales. Il est question de territoire, mais aussi de stratégies de domination ou de séduction.
Les gestes constituent un langage structuré, ce sont des signes composés d’un signifiant et d’un signifié, dont le sens doit être décrypté dans un contexte donné. 72 GESTES DE COMMUNICATION Se serrer la main. Photos élèves de lere L art-danse . lycée Jean Monnet Montpellier Se saluer de la main. Photos élèves de lere L art-danse . lycée Jean Monnet Montpellier c -Les mouvements du corps visant à exécuter quelque chose: es gestes du travail visent à exécuter quelque chose, gestes ppris, répétés, intériorisé 6 OF Eg mains, le visage, le regard, engage une posture, 73 une attitude générales du corps, une manière de porter sa verticalité. Les gestes du travail agricole ou artisanal construisent notre allure, notre démarche, déforment notre squelette .
On peut reconnaître la vie d’un homme à sa façon de se tenir, à sa physionomie générale…. Tout le corps est dans une position d’attente, de combat ou de résistance, il prend d’emblée en considération la présence des autres. B-Analyse de la deuxième définition : Le geste est acte, action au sens moral, symbolique, étaphysique. On peut demander à un vendeur de faire « un geste commercial », à un homme de pouvoir d’avoir un « geste de clémence », on dit d’un homme généreux qu’il a « le geste large ». En ce sens, le geste n’est plus le produit dun ordre social et culturel, il est ce qui va ? l’encontre des normes communes, des habitudes mentales, de ce qui est couramment admis.
Le geste est véritablement un acte qui transforme le cours ordinaire ou naturel des choses. Il est l’expression d’une conscience libre qui décide volontairement du chemin qu’elle veut suivre. Le geste est d’abord un mouvement de libération par apport à un ordre politique, social, moral, économique donné… Ici, comme l’indique Vilém Flusser, on insiste sur l’idée que le geste est un « mouvement qui ne peut être expliqué par ses causes ». Le geste n’a pour motif qu’une décision libre. Il n’est as déterminé, il est l’expressi choisi et construit par un OF ce qui doit être. Comprendre le geste, suppose que l’on reconnaisse la liberté du sujet agissant.
Ainsi conçu, on peut comprendre que le geste est fondateur, il est l’acte par lequel un monde est nié et, éventuellement, un autre peut advenir. Les gestes des grands hommes, ceux ui éveillent les consciences deviennent mythiques, ils sont repris dans les rites. Ils symbolisent une attitude métaphysique, religieuse, morale dans laquelle se joue le sens de l’existence humaine. La répétition de ces gestes fondateurs dans les rites ravive la mémoire des hommes, régénère leur existence, redonne du sens à leur vie. es gestes initiaux deviennent les gestes sacrés du rite religieux: «Faites ceci en mémoire de moi » dit le Christ dans la Cène.
Les images d’Épinal représentent les attitudes solennelles des hommes qui ont changé le cours du monde: Socrate assis sur son lit buvant ranquillement la ciguë, Napoléon, la main sur le ventre contemplant sereinement la victoire de son armée.. Comment comprendre et interpréter philosophiquement ces deux dimensions opposées du geste: le geste comme produit socioculturel et le geste comme acte de pure liberté, capable de détruire et de construire? Le concept philosophique de « monde », élaboré par Merleau-Ponty permet d’éclairer les multiples dimensions d’un geste. Pour le phénoménologue, le monde est un ensemble d’éléments ayant un sens à partir d’un centre de compréhension, à partir de significations posées par la conscience.
On parle du onde scolaire, du mond du monde de Baudelaire, de Montpellier-Cercle d’étude en Art/Danse-2007 englobe des choses, des statuts, des attitudes, des structures d’espace, des façons de se rapporter aux choses, des gestes… Le geste est l’expression d’un monde. e geste est l’expression de notre conscience, de notre perception du monde, ou plus exactement, du monde dont nous sommes porteurs. Le monde est une façon de penser, de sentir, immédiatement présente dans notre corps et qui se manifeste de façon non verbale par le corps. Chaque geste est inséré dans un contexte, un monde, qui lui donne son sens, sa résence, sa forme, son intention. Ce n’est donc pas un acte mécanique ou fonctionnel qui définit le geste mais, l’ensemble des représentations, des images, des croyances, des souffrances, des désirs qui transpirent dans nos mouvements.
Ce qui importe, ce n’est pas ce qu’on fait mais la manière dont on le fait. Ainsi, lorsque le programme indique qu’il faut prélever les gestes dans différents domaines, il suppose que le geste est symbolique, c’est-à-dire, qu’il porte en lui-même l’expression dun monde, d’une manière de vivre dans une situation donnée . Les gestes quotidiens : se peigner, e regarder dans une glace, attendre etc.. sont en eux-mêmes signifiants, porteurs d’un état d’esprit qui se manifeste en nous et à travers nous, dont nous pouvons avoir conscience ou non. Geste du travail : Geste de battre. Photos élèves 1 eres L art-danse Lycée Jean Art/Danse-2007 On retrouve ici, la conception « objectale » du geste.
Ce que je fais dans un monde déterminé, réglementé, cadré, de façon consciente ou non et qui est éveillé, développé, imposé par le groupe social auquel j’appartiens. Le corps est globalement façonné par des principes, des lois, des valeurs qui nous déterminent: se tenir droit, écrire vec la plume, baisser les yeux devant le maître, contrôler ses pulsions. Mais le geste n’est pas uniquement une construction sociale que nous reproduisons sans conscience. Nous ne sommes pas que les produits de notre éducation, nous sommes aussi porteurs et créateurs d’autres univers de sens, d’autres mondes. Le geste est acte d’ouverture d’un monde. e geste est aussi et avant tout l’expression de notre liberté et de notre pouvoir créateur.
Il est l’expression de notre capacité à préserver notre Indétermination originelle face à la puissance réificatrice du conformisme et de la coercition sociale. Le geste de rébellion, le regard qui défie, le visage qui appelle sont des manifestations de notre humanité qui se révolte contre l’ordre traditionnel figé ou destructeur. Le geste est alors l’expression d’un refus, d’une opposition, l’affirmation d’une subjectivité qui réclame ses droits. Le monde, en ce sens, est bien celui qui est créé par une conscience libre, indéterminée, qui change le monde et construit de nouvelles réalités. Le geste du grand homme en appelle à la prise de conscience de la violence ou de l’injustice. Le este est alors porteur d’autres significations, d’une autre 0 9