Enthousiasme
Certes, celle-ci s’inspire sur certains points des traditions précédentes, en particulier la critique anticléricale des Philosophes des Lumières et du roman gothique anglais ; mais, établissant une synth faisant, comme nous personnage des cara réinvente l’imaginair problématiques nou 2 Swip next page deux univers, au sein de ce nciliables, elle insi en scène des que.
C’est dans ce contexte de construction d’un type nouveau que s’inscrivent le drame de Hugo, et dans une moindre mesure, Notre-Dame de Paris. La gestion longue et difficile de Pune des éuvres qui a le plus contribué à forger le mythe du personnage, le drame Torquemada, du projet de la pièce, vers 1830, à sa publication, en 1882, couvrant une bonne partie du siècle, constitue un témoignage hautement représentatif des hésitations et des évolutions typiques de cette période.
Le Grand Inquisiteur : une création du XIXème siècle Etonnamment, la critique de l’lnquisition, même chez les anticléricaux, était peu répandue avant le XVIIIème siècle. Les exemples de son utilisation littéraire sont isolées : par exemple, chez Cyrano de Bergerac, elle sert de contre-modèle utopique : l’lnquisition est évoquée dans Les Empires de la lune comme l’attitude inverse de Pouverture d’esprit scientifique, que le narrateur rencontre lors de son voyage.
Le recours à l’lnquisition devient un lieu commun du discours philosophique à la période des Lumières, et se nourrit avant tout des récits des voyageurs, otamment celui de Charles Dellon, médecin qui fut emprisonné dans les cachots du Saint-Office de Goa : L’inquisition constitue, dans le discours anticlérical, la manifestation la plus éclatante de l’archaïsme et de Parbitraire catholique, la marque absolue de l’obscurantisme religieux.
Devenue le symbole de l’Ennemi contre lequel les philosophes luttent, l’lnquisition s’oppose du tout au tout au progressisme des Lumières, comme le montre cette citation de Montesquieu, reprise dans l’article « Inquisition » de l’Encyclopédie, écrit par Voltaire : « Si quelqu’un dans la postérité se dire qu’au XVIIIème siècle tous les peuples de l’Europe étaient policés, on citera l’lnquisition pour prouver qu’ils étaient en grande partie des barbares. L’lnquisition est bien sûr dénoncée avec virulence, mais en tant que système, qui encourage la délation et récompense les bas instincts – comme le résume Voltaire dans cette citation, qui ouvre l’article « Inquisition » de son Dictionnaire Philosophique : « L’lnquisition est comme on sait, une invention admirable et tout à fait chrétienne pour rendre le pape et les moines plus puissants, et pour rendre tout un royaume hypocrite » .
Les Inquisiteurs y sont, dans les narrations, peu individualisés : ils sont traités comme un rouage de cette machine inique, au même titre que les « familiers » ( espions laics 22 traités comme un rouage de cette machine inique, au même titre que les « familiers » ( espions laits a la solde du Saint-Office Un fait révélateur, sur ce point, est que, si l’on trouve une entrée « Torquemada » dans l’Encyclopédie, elle n’est pas consacrée l’lnquisiteur, mais au petit village espagnol du même nom…
Tout change au XIXème siècle : chez Hugo comme chez les utres, le Grand Inquisiteur devient le responsable unique des persécutions, qui sont expliquées avant tout par sa personnalité. J’en veux pour exemple cet extrait de la Légende des Siècles, qui semble faire du Grand Inquisiteur le seul acteur de l’lnquisition : « Cette torche lugubre, âpre, jamais éteinte, Sombre, que vous nommez l’lnquisition sainte, Quand j’ai pu voir comment Torquemada s’y prend, Pour dissiper la nuit du sauvage ignorant… Cette personnalisation est d’ailleurs d’autant plus frappante que cette accusation, formulée par un volcan péruvien, divinité aienne, gardienne d’une sagesse archaïque, ne correspond pas du tout à la réalité historique, puisque Torquemada n’a, en fait, jamais quitté l’Espagne… A cette période, le Grand Inquisiteur est donc devenu un symbole, résumant à lui seul l’lnquisition.
Cette personnalisation du thème va alors de pair avec un changement de registre dans le ton utilisé pour évoquer le personnage. Au XVIIIème siècle, le discours polémique s’indigne des abus inquisitoriaux, les récits insistent sur l’horreur des pratiques… mais, à l’inverse, les fictions de Voltaire ( Candide, Scarmentado ) ou Lesage ( Gil Blas.
Estevanille Gonzalès ) raillent l’inquisiteur comme un personnage ridicule ; il est un joyeux hypo Estevanille Gonzalès ) raillent l’inquisiteur comme un personnage ridicule ; il est un joyeux hypocrite, un être sans foi qui ne cherche en général qu’à tirer parti de sa fonction pour assouvir ses désirs sexuels ou s’enrichir ; ainsi, Voltaire, à l’article « nquisition » de son Dictionnaire Philosophique, n’évoque-t-il que Saavedra, un habile imposteur qui détait enrichi au Portugal en prétendant être, fausses lettres officielles à l’appui, le Grand Inquisiteur nommé par le pape dans ce pays.
Même lorsqu’il s’agit d’un tortionnaire dangereux et malveillant, faisant peser sur ses victimes un danger bien réel, comme dans Aline et Valcour, de Sade, le Grand Inquisiteur est tourné en ridicule : il suffit qu’une belle fille, pour lui échapper, lui fasse croire à ramour, pour qu’il devienne immédiatement doux comme un agneau ; le héros masculin, Sainville, même prisonnier au fond des cachots du Saint-Office, n’éprouve d’ailleurs vis-à-vis de lui qu’une condescendance amusée : « Partout ailleurs, j’avoue que le rire eût été ma seule réponse à des balourdises de cette espèce ; n n’imagine pas le mépris qu’inspire un juge quelconque, quand, renonçant à l’austérité de son ministère, il en descend, par libertinage ou par bêtise… » . A l’inverse, au siècle suivant, évoquer le spectre du Grand Inquisiteur est une chose grave. Au XIXème siècle, en effet, le personnage fait peur. Il est menaçant, terrifiant, se pare même d’une aura presque fantastique. Rares sont les auteurs qui, dans l’esprit des Lumières, se risquent à rire de lui, à l’instar de Mérimée dans sa saynète « Le Ciel et l’Enfer Le thème se charge en effet de l’imaginaire construit à la fin du 22 saynète « Le Ciel et l’Enfer ».
Le thème se charge en effet de l’imaginaire construit à la fin du XVIIIème par le roman gothique anglais : pour les auteurs romantiques, nourris de cet imaginaire, les deux univers sont irrémédiablement liés – comme le montre la remarque de Théophile Gautier, citant d’emblée l’une des auteurs phares de ce genre pour décrire le couvent inquisitorial qu’il est en train de visiter, celui de San Juan de los Reyes : « nous errâmes longtemps dans l’édifice abandonné, ni plus ni moins que des héros d’Anne Radcliffe on s’attend toujours rencontrer au détour d’une arcane un ancien moine au front luisant, aux yeux inondés d’ombre, marchant gravement les bras croisés sur sa poitrine, et se rendant à quelque office mystérieux dans l’égl•se profanée et déserte… L’atmosphère étouffante des cloîtres, les couloirs obscurs, la séquestration et la torture, l’atmosphère surnaturelle des romans frénétiques anglais s’intègrent naturellement aux fictions sur l’lnquisition.
Mais dans cette filiation non plus nous ne pouvons pleinement situer Porigine du personnage du Grand Inquisiteur : dans les omans gothiques, l’inquisition, loin d’être le tribunal inique que dénoncent les philosophes des Lumières, est une instance juste, qui châtie les excès des moines pervers et libère les innocents. L’lnquisiteur y est peut-être le seul moine qui fait preuve de droiture, face aux débordements, comme le dit Edward Peters dans son étude Inquisition : « Malgré leur théologie irrationnelle, leurs procédures injustes et la dureté de leur cSur, les inquisiteurs gothiques servent souvent le propos, plus ample, de la Justice littéraire : les innocen s 2 nquisiteurs gothiques servent souvent le propos, plus ample, de la Justice littéraire : les innocents sont toujours relâchés. Si la caractérisation du Grand Inquisiteur au XIXème siècle s’inspire sûrement de la tradition gothique du moine malfaisant, mi- homme mi-spectre, en particulier de la figure du dominicain Schedoni dans Le Couvent des Pénitents noirs, d’Ann Radcliffe, il faut insister sur le fait que ces figures diaboliques ne sont jamais rattachées à l’lnquisition : s’ils peuvent tenter d’utiliser cette institution pour accomplir leurs méfaits, et se venger des héros, ls ne peuvent parvenir à leurs fins ; ce sont les Inquisiteurs qui permettent le retour à l’ordre, et l’union des amants séparés par les religieux pervers, qu’il s’agisse de Schedoni, du moine ou de l’Abbesse, dans les romans éponymes de Lewis et de William Ireland. Le Grand Inquisiteur du XIXème siècle condenserait ces deux figures gothiques : il ressemble aux sombres moines qui hantent cet imaginaire, mais sont animés par la même aspiration à la justice que les inquisiteurs de ces romans.
Nous pouvons donc considérer que ce personnage est une création du XIXème siècle : le Grand nquisiteur tel que le éinvente le romantisme n’est ni le libertin jouisseur et ridicule des Lumières, instrument d’un pouvoir toujours choquant et arbitraire, ni un moine artificieux et manipulateur comme l’est Schedoni chez Radcliffe, ni le juge impartial, garant du retour l’ordre, des romans gothiques. Il est une figure profondément originale, une synthèse étrange de ces deux traditions : il est l’incarnation d’un pouvoir injuste, mais qui est profondément sincère, qui ne cherche 6 2 sincère, qui ne cherche en aucun cas à agir pour son profit personnel, qui croit vraiment servir Dieu : ainsi, chez Hugo, il orce le roi à refuser l’or des juifs, que le grand Rabbin était venu offrir pour faire cesser les persécutions contre son peuple ; dans le discours de Torquemada, le mépris de l’argent est palpable ; il s’écrie avec extase, devant l’évocation d’un bûcher : « Oh genre humain, je t’aime ! On peut d’ailleurs considérer que le passage du type des Lumières au type romantique est mis en scène par Mérimée au début de la saynète du Théâtre de Clara Gazul intitulée « La Femme est un diable » : Domingo et Rafael, deux inquisiteurs corrompus, fun glouton, l’autre débauché, véritables caricatures la Voltaire, sont placés brusquement sous l’autorité d’un jeune inquisiteur, Antonio, préfiguration du type nouveau : « le drôle est de bonne foi ou je me trompe fort, ou c’est un véritable Loyola. On dit qu’il en est à ne pas pouvoir distinguer un homme d’une femme. Oh, c’est un saint. L’lnquisiteur, au XIXème siècle, est motivé exclusivement par son désir de faire triompher sans partage l’ordre voulu par Dieu – comme le montre le jeu scénique que propose Hugo pour son Torquemada : « Il a l’SiI fixé sur le crucifix » , « ne voyant rien autour de lui » Pourquoi cette création ? Le jacobin réincarnation du Grand nquisiteur.
Partant de l’idée qu’une telle réinvention de l’Histoire et de la tradition littéraire devait être motivée par les mutations du contexte socio-politique, créant des angoisses et des interrogations nouvelles vis-à-vis du pouvoir et du bien-fond socio-politique, créant des angoisses et des interrogations nouvelles vis-à-vis du pouvoir et du bien-fondé de l’utilisation de la violence, j’ai cherché à mettre en évidence la rupture qui, dans l’imaginaire collectif, pouvait justifier le passage d’une représentation de I’lnquisition à l’autre. Je me suis très vite heurtée à ce que l’on pourrait nommer l’événement fondateur du XIXème siècle : la Terreur. « Terreur » est le terme que l’on trouve systématiquement et de façon répétitive dans les fictions, pour décrire la peur que provoque I’lnquisiteur chez ceux qu’il côtoie.
Le personnage de l’lnquisiteur, décrit comme effrayant mais sincère, aurait donc pu permettre, en particulier pour les républicains, de mettre en scène de façon indirecte les problématiques liées à 93, mais en empruntant un cadre historique lointain, qui n’était plus passionnel, car ne orrespondant plus à aucune institution réelle (l’lnquisition, même en Espagne, est supprimée par Napoléon en 1802, puis, après un court temps de rétablissement, définitivement par les Cortes, en 181 2 Nombreux en effet sont les auteurs qui ont superposé l’image de l’inquisition à leur description de la Terreur : de Louis Blanc à Adolphe Thiers, en passant par Michelet, l’analogie est récurrente, pour ne pas dire obsessionnelle.
Et surtout, ce rapprochement entre ces deux réalités historiques pourtant a priori ennemies ne se limite pas à Panalyse d’une ressemblance ans les moyens expéditifs de gouvernement, les condamnations en chaines allant jusqu’à se fonder sur des délits d’opinion notamment avec la « loi des suspects », à propos de laquelle Pierre Larousse écrit que « c’était des suspects », à propos de laquelle Pierre Larousse écrit que « c’était l’lnquisition pure » ; c’est surtout par un portrait, archétypal ou psychologique, des acteurs de 93 que l’analogie avec le Saint-office s’impose. Et derrière la caractérisation qui est faite des révolutionnaires français, se précise le nouveau portrait du Grand Inquisiteur, tel que le réinvente le XIXème siècle. Cette conjonction entre les deux univers s’opère en effet à plusieurs niveaux. Dans le portrait qui est fait des Jacobins, tout d’abord ; je me contenterai ici de citer en exemple deux extraits de Michelet et de Louis Blanc, repris dans l’article « jacobin » du Grand Larousse du XIXème : « les jacobins, par leur esprit de corps qui alla toujours croissant, par leur foi ardente et sèche, par leur âpre curiosité inquisitoriale, avaient quelque chose du prêtre.
Ils formèrent, en quelque sorte, un clergé révolutionnaire » ( Michelet ) ; « des croyances raides, une sorte de fanatisme calculé, l’intolérance u profit de nouveautés hardies, le goût de la domination, et, au fond, l’amour de la règle, voici de quels traits se compose l’esprit jacobin. Le véritable jacobin fut quelque chose de puissant et de sombre, qui tenait le milieu entre l’agitateur et l’homme d’Etat, entre I’lnquisiteur et le tribun. De là, cette vigilance farouche transformée en vertu, cet espionnage mis au rang des procédés patriotiques, et cette manie de dénonciation qui commença par faire rire et finit par faire trembler » ( Louis Blanc ).
D’ailleurs, de nombreux auteurs voient dans le lieu choisi pour eurs réunions la confirmation de cette influence dominicaine, et donc, dans l’imaginaire, leurs réunions la confirmation de cette influence dominicaine, et donc, dans l’imaginaire, inquisitoriale : « ce couvent de la rue Saint-Honoré, à Paris, où les dominicains jacobins imprégnèrent si bien les murs de passion purgative que le club d’athées qui l’occupa après les en avoir chassés adopta, avec leur nom, leur furie répressive » , comme le dira Paul Morand au XXème siècle, joue le rôle de preuve symbolique d’une filiation entre ces deux ordres ennemis : entre dominicains et révolutionnaires, entre oines et athées, les buts sont différents, mais les procédés sont les mêmes. Aux inquisiteurs médiévaux catholiques ont succédé les inquisiteurs modernes, nourris du progressisme des Lumières.