Dissertation : Arthur Rimbaud, Blaise Cendrars, René Char. Les poètes souvent s’inspirent de leurs propres expériences pour nourrir leur écriture. Pour autant, ne parlent-ils que d’eux-mêmes ?

essay B

Dissertation : Arthur Rimbaud, Blaise Cendrars, René Char. Les poètes souvent s’inspirent de leurs propres expériences pour nourrir leur écriture. Pour autant, ne parlent-ils que d’eux- mêmes ? Premium Aurianel_ecuziat anpe,’19 22. 201S 9 pages Objet d’étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours Le sujet comprend Texte A : Arthur Rimb 1870-1872. Texte g : Blaise Cend Jeanne de France, org d, e Douai, in Poésies, Sni* to View rien et de la petite (vers 1 à 42), in Poésies complètes, 1913. Texte C : René Char, « Cadolescent souffleté Les Matinaux, 950.

Texte A : Arthur Rimbaud, Cahier de Douai. Le poète Rimbaud a produit toute son œuvre poétique alors qu’il n’était lui-même qu’un adolescent. On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. — Un beau soir, foin des bocks et de la limonade 1 , d’un pâle réverbère, Passe une demoiselle aux petits airs charmants, Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père… Et, comme elle vous trouve immensément naïf, Tout en faisant trotter ses petites bottines, Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif… Sur vos lèvres alors meurent les cavatines 8 .

Foin des bocks et de la limonade : le poète renonce à boire de la bière (les bocks) et de la limonade La promenade : espace bordé d’arbres, où l’on se promène à pied D’azur sombre : de ciel sombre Piqué : tacheté Griser : rendre un peu ivre On divague : on laisse errer nos pensées, on déraisonne Le cœur fou Robinsonne : le cœur s’échappe et vagabonde Cavatine : air d’opéra pour soliste Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août. Vous êtes amoureux — Vos sonnets La font rire. Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût. ??? Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire…! — Ce soir-là… — vous rentrez aux cafés éclatants, Vous demandez des bocks ou de la limonade… — On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade. Texte 3 : Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France. compagn e de Jeanne, une jeune fille parisienne. En ce temps-là j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance j’étais à 16 000 lieues 1 du lieu de ma naissance

J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était alors si ardente et si folle Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Ephese 2 ou comme la Place Rouge de Moscou Quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et j’étais déjà si mauvais poète Que je ne savais pas aller jusqu’au bout. Le Kremlin 3 était comme un immense gâteau tartare Croustillé d’or, Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches

Et l’or mielleux des cloches… Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode 4 j’avais soif Et je déchiffrais des caractères cunéiformes 5 Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit 6 s’envolaient sur la place Et mes mains s’envolaient aussi, avec des bruissements d’albatros Et ceci, c’était les dernières réminiscences 7 du dernier jour Du tout dernier voyage Et de la mer. Pourtant, j’étais fort mauvais poète. Je ne savais pas aller jusqu’au bout. J’avais faim Et tous les jours et toutes *AGF 3 CFq ans les cafés et tous les vitrines et toutes les rues

Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres 8 qui tournaient en tourbillons sur les mauvais pavés J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives Et j’aurais voulu broyer tous les os Et arracher toutes les langues Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent.. Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe 1 Et le soleil était une mauvaise plaie Qui s’ouvrait comme un brasier.

J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma aissance J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux Lieue : mesure de distance approximativement égale à quatre kilomètres Le temple d’Ephese, considéré dans l’Antiquité comme la quatrième merveille du monde, fut incendié en 356 Kremlin . citadelle impériale située au cœur de Moscou 4 Novgorode : ville de Russie Caractères cunéiformes : écriture ancienne de Mésopotamie qui combine des signes en forme de clous triangulaires 6

Les pigeons du Saint-Esprit : dans la tradition biblique, la colombe symbolise l’Esprit saint 7 L’ADOLESCENT SOUFFLETÉ 1 Les mêmes coups qui renvoyaient au sol le lançaient en même temps loin devant sa vie, vers les futures années où, quand il saignerait, ce ne serait plus à cause de l’iniquité 2 d’un seul. Tel l’arbuste que réconfortent ses racines et qui presse ses rameaux meurtris contre son fût 3 résistant, il descendait ensuite à reculons dans le mutisme 4 de ce savoir et dans son innocence. Enfin il s’échappalt, s’enfuyalt et devenait souverainement eureux.

Il atteignait la prairie et la barrière des roseaux dont il cajolait la vase et percevait le sec frémissement. Il semblait que ce que la terre avait produit de plus noble et de plus persévérant, l’avait, en compensation, adopté. Il recommencerait ainsi jusqu’au moment où, la nécessité de rompre disparue, il se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et plus fort. Souffleté : giflé Iniquité : injustice Fût : tronc de l’arbre Mutisme : état d’une personne qui refuse de parler ou est réduite au silence