création de valeur, gouvernance et performance des entreprises
La gouvernance des entreprises socialement responsables The Governance of Socially Responsible Arms Jean-Jacques Pluchart Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, PRISM-Sorbonne CR-10-19 PRISM-sorbonne Pôle de Recherche Interdisciplinaire en Sciences du Management UFR de Gestion et Economie d’Entreprise – Université paris 1 Panthéon-Sorbonne 17, rue de la Sorbonn 7 http://prism. niv-parl . fr/ Cahiers de Recherch Pôle de Recherche ln es du Management Cahiers de Recherche PRISM-Sorbonne 10-19 The Governance of Socially Responsible Firms Résumé : La littérature académique consacrée à la gouvernance es entreprises socialement responsables (ESR) privilégie les analyses de contenus à celles de processus, les approches contractuelles aux approches cognitives et organisationnelles.
L’objectif de cette recherche ? visée exploratoire est de proposer une représentation de l’organisation de la gouvernance de l’entreprise adaptée au processus de création de valeur reponsibility, sustainable development, value creation, corporate governance Juillet 2010 C] Professeur, Université paris 1 panthéon-Sorbonne, PRISM Sorbonne :Jean-jacques. pluchart@wanadoo. fr j. -J. Pluchart / Cahiers de Recherche PRISM-Sorbonne / CR 10-19 INTRODUCTION Le développement durable devient un impératif à la fois social, environnemental et économique pour les actionnaires et les managers des entreprises.
Ces derniers doivent s’efforcer d’intégrer une créatlon de valeur financière immédiate pour les actionnaires (ou shareholders) et une création de valeur globale et durable pour les parties prenantes (ou stakeholders) de l’entreprise. La levée de cette contradiction leur impose de maitriser des théories et des usages éclectiques relevant des champs économique et juridique, mais également sociologique et éthique. L’alignement de leurs éclsions, de leurs discours et de leurs comportements sur ces référentiels implique une reconfiguration des modes de gouvernance de l’entreprise.
Le gouvernement de l’entreprise (corporate governance) recouvre l’ensemble des institutions, des règles et des pratiques qui légitiment le pouvoir des dirigeants » (Charreaux, 2006). Selon l’approche classique, elle porte sur la relation entre les actionnaires et les dirigeants. Elle suppose que les systèmes d’incitation et de contrôle de ces derniers dépendent de la structure de financement de la firme, et notamment de la composition de son actionnariat La Porta et al. 996). Selon l’approche étendue de la PAGF 8 cadre élargi à l’ensemble des stakeholders » ; «il doit être étudié dans une perspective systémique, tenant compte des processus concrets de création de valeur par la firme par une « gouvernance responsable » les administrateurs et les dirigeants de l’entreprise doivent donc chercher à intégrer aux objectifs économiques, des intentions sociales et environnementales (Perez, 2005).
Cette prescription répond notamment aux critiques formulées par Rajan et Zingalès (2001) ? l’encontre de la vision purement actionnariale de la gouvernance, selon eux inadaptée aux ouvelles formes d’entreprise. Elle répond également au souhait des dirigeants d’entreprises de pouvoir disposer d’analyses concrètes de situations de gouvernance et de dirigeance (Bournois et 2007). La recherche restituée dans cet article s’inscrit dans cette vision à la fois étendue et positive de la corporate governance.
Elle s’efforce de construire une représentation concrète du processus organisationnel de la gouvernance des entreprises socialement responsables. Les propositions avancées à partir de la revue de littérature sur la gouvernance partenariale, ont été testées auprès d’un échantillon e 27 administrateurs ou membres de comités stratégiques d’entreprises engagées dans un processus de responsabilisation sociale. Les résultats de la recherche, leurs portées, leurs limites et leurs perspectives, sont discutés en conclusion. 1 .
LES FONDEMENTS THEORIQUES DE LA GOUVERNANCE PARTENARIALE DE L’ENTREPRISE La littérature scientifique consacrée à la gouvernance partenariale recouvre un vaste champ cognitive et organisationnelle. 1 . 1. L’approche contractuelle de la gouvernance de l’entreprise La notion de responsabilité sociale de l’entreprise (notée RSE), initiée par Bowen (1953), epose, selon Donaldson et Preston (1995), sur le concept de « contrat social » entre l’entreprise et ses parties prenantes directes (actionnaires, salariés, fournisseurs, clients… et indirectes (administrations, collectivités locales, groupes d’intérêt, vecteurs d’opinion, société civile… ). Elle est définie par la Commission européenne, comme « l’intégration volontaire, J. -J. Pluchart / Cahiers de Recherche PRISM-Sorbonne / CR 10-19 par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et à leurs relations avec leurs parties prenantes ? (Livre vert, 2001).
Cette nouvelle « ardente obligation » a été traduite par la notion de « Triple Bottom Line » (Elkington, 1998), qui repose sur trois plliers respectivement économique (la recherche de la rentabilité et de la pérennité de l’entreprise), social et sociétal (la quête d’équité sociale et le respect des droits de l’homme), et environnemental (la volonté de protéger l’environnement et de présenter les ressources naturelles).
Caroll (1991) propose ainsi une pyramide à quatre étages de la RSE de l’entreprise: les responsabilités économiques, qui obligent l’entreprise ? roduire et à réaliser des profits ; les responsabilités juridiques, qui imposent à l’entreprise de se conformer à la législation et aux normes en vigueur; les responsabilités philanthropi ues qui témoignent de la volo rise d’améliorer le bien- 8 responsabilités éthiques, qui impliquent que l’entreprise respecte les attentes des parties prenantes et les codes de conduite établis par la société.
Ces deniers sont issues de multiples instances: des organisations internationales (notamment l’ONU1 , l’OCDE, l’Organisation Internationale du Travail, les autorités européennes… ; des pouvoirs publics ationaux (notamment la loi française sur les Nouvelles Régulations Economiques de mai 2001, qui prévoit, dans l’article 1 16, l’obligation pour les sociétés cotées de faire état dans leur rapport annuel de la « manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ») ; des organismes certificateurs universels ou nationaux (concepteurs des normes ISO 9000, 14 000 et 26000, OHSAS 18001, AA 1000, SA 8000… ).
L’alignement sur ces référentiels implique une reconsidération de la théorie de la gouvernance, car il remet partiellement en cause la finalité de ‘entreprise, définie par la théorie classique (Friedman, 1970), visant la réduction des coûts d’agence, la sécurisation du capital de l’investisseur et la recherche de profit à court terme. Cet alignement étend les responsabilités de l’entreprise à la fois dans le temps (à long terme) et dans l’espace sociaeconomique (les parties prenantes).
Blair (1995) et Yoshimori (1995) opposent le concept « d’entreprise pluraliste » (ou de « firme plurielle ») ouverte sur ses partenaires, à celui « d ‘entreprise moniste » centrée sur ses actionnaires. Ils distinguent deux référentiels, espectivement financier (l’entre rise est définie comme un « noeud de contrats ») et PAGF s 8 comme une « communauté de pratiques »).
La « firme plurielle » doit, selon Glandwin et Kennely (1998), faire l’objet d’un « management durable basé sur cinq règles: l’inclusivité (les piliers du « Triple Bottorn ine » doivent être conjointement «soutenus»), la connectivité (ils sont interdépendants), l’équité (ils exigent un juste traitement des parties prenantes et des générations (actuelle et future), la précaution (les stratégies doivent intégrer, à un coût économique soutenable, la prévention des risques liés ux actions irréversibles sur Penvironnement et la société), la prudence (l’entreprise doit adopter une approche à la fois globale et progressive des actions en faveur du développement durable). Cette représentation pluraliste de la firme implique une redéfinition de la théorie de la création de valeur. Castanias et Helfat (1991 ) montrent que le dirigeant a intérêt à accroitre la valeur créée par son entreprise afin de consolider sa propre « valeur managérlale » sur le marché du travail.
Milgrom et Roberts (1992) proposent de substituer la notion de valeur partenariale à celle de valeur actionnariale, de partager cette aleur entre toutes les parties prenantes en fonction des contributions de chacun au processus de création de valeur. Ils observent que cette répartition influe directement sur le processus en raison des coûts de transaction engendrés par les conflits inévitables entre partenaires. Chacun d’eux supporte en 1 Auteur en 1997 de la Global Reporting Initiative (GRI), qui vise ? développer les directives en faveur de la communication sur les performances économiques, environnementales et soci prises. entreprises. effet un rlsque résiduel associé à son investissement spécifique dans l’entreprise.
Donaldson t Preston (1995) observent que les dirigeants « enracinés » dans l’entreprise exercent un rôle central dans la répartition équitable de la valeur créée. Brandenberger et Stuart (1996) proposent – suivant le principe de la rente ricardienne – de calculer et de partager la valeur partenariale par différence entre le coût explicite (ou prix d’achat effectif) et le coût implicite (ou coût d’opportunité mesuré par le prix minimal exigé par le partenaire) de chacune des ressources mobilisées dans la chaîne de valeur de l’entreprise. De telles approches, selon Charreaux et Desbrière (1998), supposent que les relations entre ‘entreprise et les parties prenantes ne soient pas simplement contractuelles, mais également co-construites dans la durée et dans l’espace.
Ils recommandent d’évaluer le système de gouvernance en fonction de sa capacité à créer de la valeur partenariale et à réduire les pertes de valeur dues aux conflits entre les parties prenantes. 1. 2. L’approche cognitive de la gouvernance d’entreprise Dépassant l’approche contractuelle, Charreaux (2000) privilégie les approches cognitive et positive de la gouvernance, qui visent notamment à identifier et ? développer les compétences et les connaissances exigées des administrateurs et des irigeants pour stimuler et orienter le processus créatif de l’entreprise. Penrose avait montré, dès 1 959, que l’origine de la croissance durable se situ acité d’apprendre et dans PAGF 7 8 accumulées.
S’inspirant de ces travaux, Argyris et Schôn (1978), fondateurs de la théorie de l’apprentissage organisationnel, représentent la firme comme une « organisation cognitive », Fransman (1998) redéfinissant la notion de « connaissances » comme recouvrant un « ensemble ouvert et subjectif d’interprétations contingentes aux modèles cognitifs des acteurs d’une organisation Aoki (1984, 2000) considère la firme comme étant une ? combinaison durable de ressources spécifiques » et la gouvernance comme un « système de contrôle des schémas d’information et de déclsion partagés entre les différents membres de l’entreprise». Carpenter et Westphal (2001) puis Hillman et Dalziel (2003) s’intéressent plus précisément au « capital humain » représenté par le conseil d’administration et ses comités associés et s’interrogent sur l’efficience de leur organisation. Ils analysent notamment l’allocation des ressources spécifiques (sous forme de conseils, d’expertise, d’informations sensibles, de relations utiles… ) apportées par les administrateurs t les dirigeants des grandes 1. 3. L’approche organisationnelle de la gouvernance de l’entreprise L’approche cognitive de la gouvernance comporte des implications organisationnelles.
Hart et Moore (1990) estiment que c’est le « système de gouvernance » qui doit assurer « l’alignement de la capacité à combiner des ressources sur la création de valeur durable Cet alignement est menacé par les « conflits cognitifs qui peuvent intervenir entre les administrateurs et/ou les de la sélection des PAGF 8 8 lorsque, par exemple, la réalisation de profits peut entrainer des risques écologiques ou génétiques ? (March, 1991). Jensen et Meckling (1976) conseillent d’organiser le système de gouvernance en prenant en compte l’inertie de l’organisation, qui freine l’adaptation de la firme à son environnement. Roberts et al. (2006) étudient les formes de résistance au changement organisationnel engendrées par les stratégies socialement responsables. Martinet et al. 2001, 2008) observent que ce sont les actionnaires qui sont porteurs d’une vision stratégique et initiateurs du changement organisationnel. Goldstein et al. (1994) 4 soulignent que, dans l’approche cognitive, le conseil d’administration ou le comité stratégique oit être composé des administrateurs et des dirigeants les plus aptes à favoriser l’apprentissage organisationnel. Wagner et al. (1998) révèlent que ces connaissances peuvent être d’autant mieux exploitées que les administrateurs sont indépendants et que leur nombre est limité. Rajan et Zingales (2001) analysent le rôle du « capital organisationnel » dans le système de gouvernance, qui doit favoriser la coordination des ressources de la firme, en dégageant des effets de synergie.
Godard (2006) étudie l’impact de la composition du conseil d’administration ou du comté stratégique sur le processus ‘innovation de l’entreprise. Elle constate que les entreprises les plus innovantes sont dotées de comités stratégiques (qui comportent en moyenne 5,24 membres dans les grandes entreprises françaises, co PAGF q 8 (2005), puis Bournois et al. (2007) observent que les comités exécutifs exercent un rôle déterminant dans la mise en oeuvre des projets socialement responsables. Ils montrent que la diversité des origines et des identités des cadres dirigeants stimule l’apprentissage organisationnel. Eminet et Guedfl (2009) s’interrogent sur l’influence de la structure de contrôle du conseil d’administration sur la émunération du dirigeant de l’entreprise.
La mesure de l’efficience du système de gouvernance partenariale repose sur deux types différents de reporting, destinés à mesurer les performances des entreprises : le reporting financier, à caractère obligatoire, principalement destiné aux actionnaires, soumis à des règles comptables et boursières; le reporting sociétal (ou durable), ? caractère obligatoire pour les sociétés de plus de 500 salariés et volontaire pour les autres, destiné à toutes les parties prenantes, encadré par des dispositions de natures et d’origines diverses: des normes nternationales comme le référentiel GRI (Global Reporting Initiative), publié en 1999, qui proposent des principes de construction, une structure-type et des protocoles de calcul des indicateurs2 de DD, et comme le Pacte Mondial (2006) ; des normes nationales, fixées par des lois (comme la loi française NRE qui impose aux sociétés cotées la publication annuelle d’un « rapport du développement durable » ) et des guides édictés par des agences publiques (comme le guide SD 2100 AFNOR, les normes AAI SA 8000… ); des tableaux de bord proposés par des laboratoires de recherche, par des fédérations professionnelles (Académ