Commentaire de l’article 34 de la Constitution
COMMENTAIRE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION DE 1958 « Nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Epicure » (Montaigne). La Constitution de la Ve république semble avoir trouvé la solution à ce trop-plein de normes en France déjà relevé par Montaigne, en enfermant le domaine de compétence législative dans un carcan bien déterminé, et dont la liste des matières est donnée avec une apparente précision ? l’article 34 de la constitution.
Swip ta View next page Le texte étudié est u république qui régit Une constitution peu e défi textes législatifs fond pour la vie de la soci n de la Se juridique actuel. nsemble de de permanent aise de la Se république, écrite, est composée de plusieurs textes, et plus spécifiquement d’articles numérotés. L’objet d’étude ici est l’article 34 de la constitution, relatif au domaine de la loi.
La loi peut aujourd’hui être définie comme étant une règle écrite de caractère permanent ayant une portée générale et un caractère impératif, élaborée et votée par le Parlement élu, promulguée par le Président de la République et publiée au JO. L’article 34 s’apparente ainsi a liste, à une énumération assez longue des domaines réservés au pouvoir égislatif, tels que déterminés par la constitution.
En 1958, l’idée générale qui domine dans les esprits des constituants est que la suprématie parlementaire s’est révélée totalement inefficace durant la IVe république, pire, que cette supré suprématie a causé la perte du régime et a été à l’origine de la plupart de ses disfonctionnements.
Le nouveau texte de 1958, qui instaure une nouvelle république, souhaite donner une réponse et apporter une solution à cet échec constaté u parlementarisme « dévoyé » (selon les termes du juriste Carré de Malberg) en vigueur depuis la 3e république, malgré la tentative vaine de la Ive république de rationaliser un tant soit peu le système parlementaire dans sa globalité.
L’homme politique et juriste Debré, proche du CDC, décrit parfaitement lors de son allocution devant l’assemblée générale du Conseil d’Etat, le 27 octobre 1958, la volonté des rédacteurs du nouveau texte constitutionnel : « définir le domaine de la loi, ou plutôt du Parlement » afin d’ « assurer entre le Ministère et les Assemblées ne répartition necessaires des tâches Le message est alors clair : l’intention première des rédacteurs de la constitution est d’en finir avec la toute-puissance de la loi jusqu’alors traditionnellement admise et appliquée au sein de la sphère juridique.
Déjà, avant 1958, certains textes avaient vu le jour dans cette même optique, mais jamais avant l’article 34 certaines matières n’avaient été soustraites définitivement du pouvoir législatif. Pourtant, cette « révolution » ne se fait pas, à l’époque, sans heurt au sein de la doctrine juridique.
Ainsi, René Capitant, ?minent professeur de droit, écouté, respecté, proche également de DG, estime qu’opérer une distinction nette entre les domaines relevant du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire constitue une « véritable monstruosité juridique héritée de la Ive république A l’inverse, les parlementaires de l’époq 20F 12 monstruosité juridique héritée de la Ive république A l’inverse, les parlementaires de l’époque ne se pas montrent aussi réticents, et acceptent au contraire rapidement cette nouvelle conception de la loi et du principe de répartition des compétences entre pouvoirs législatif et exécutif. Texte de ompromis et de réflexions diverses, l’article 34 est remanié plus de quinze fois entre le début des travaux de rédaction préparatoire des constituants durant Vété 1 958 et l’adoption finale par référendum du texte constitutionnel. De plus, l’article est ensuite révisé par trois fois lors des révisions constitutionnelles ayant lieu en 1 996, 2003 et 2008.
L’analyse d’un tel article se révèle d’autant plus intéressante que l’on assiste depuis quelques décennies à un véritable retour en force de la loi au point de constater une réelle inflation législative s’opérant au détriment de la qualité du contenu des textes de loi t évoluant dans le sens contraire de ce que l’article 34 semblait prévoir à l’origine. Dans un tel contexte, il serait pertinent de s’interroger sur la portée de l’article 34 de la constitution : traduit- il aujourd’hui une véritable révolution juridique appliquée à la pratique, ou s’apparente-t-il plutôt à une simple volonté des constituants restée sans suite ? Ainsi, il sera montré dans un premier temps que cet article met fin à la tradition française du légicentrisme en donnant une nouvelle définition de la loi puis il sera mis en évidence dans un second temps l’interprétation extensive de l’article 34 venant elativiser sa portée (Il). I.
La fin de la tradition légicentriste : une nouvelle définition restrictive mais variée du domaine I 30F 12 tradition légicentriste : une nouvelle définition restrictive mais variée du domaine législatif En rédigeant l’article 34, les constituants de 1 958 bousculent la tradition en introduisant une nouvelle conception de la loi en limitant son champ matériel d’action (A), mais la lecture de l’article permet de constater néanmoins l’importance et la variété des domaines qui sont accordés à la loi (3). A. L’innovation majeure de 1958 : une définition matérielle et imitée du domaine de la loi Avant 1958, conception classique qui envisage la loi selon un critère organique, définissant la loi selon l’organe et la procédure la concernant. Une loi selon avant 1 958 = tout acte adopté par le Parlement selon la procédure législative.
Article 34 + article 37 intégrés dans la constitution de 1958 = une révolution dans la théorie juridique par rapport à la conception traditionnelle de la loi. Jusqu’en 1958, la loi se définit selon des critères organique et procédural / à partir de 1958, loi se définit selon un critère matériel = l’acte adopté par le Parlement sans prendre en considération ici le cas particulier de la loi référendaire) selon la procédure législative (toujours critères organique et procédural), dans les domaines de compétence résultant de la constitution (ajout du critère matériel). Fin de la souveraineté du Parlement. Sa seule volonté ne lui permet plus de tout faire. Champ d’action de la loi est réduit, restreint.
Mutation très importante de la loi avec la 5e république et la rédaction de l’article 34 puisque la définition même de la loi change. Avant, loi considérée comme étant l’expression de la volonté énérale, pas de véritable limite à son champ d’in 4 2 comme étant l’expression de la volonté générale, pas de véritable limite à son champ d’intervention analogie avec l’expression de Joseph de Lolme (1741-1806) à propos de la chambre des communes, capable de « tout faire sauf changer un homme en femme ». Le Parlement pouvait, avait 1958, légiférer quand il le souhaitait, sur tout ce qu’il voulait. Aucun contrôle du domaine d’intervention de la loi.
Avec la constitution de 1958, instauration d’un statut fondamentalement différent de la 101 : la loi n’est plus que ‘expression de la volonté générale, mais l’expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution, comme l’a rappelé et précisé le Conseil constitutionnel en 1985. La loi devient infra-constitutionnelle par les restrictions matérielles établies et listées par l’article 34 de la constitution, et s’en trouve de fait limitée. La doctrine parle à l’époque d’une véritable révolution juridique, puisque l’instauration d’un tel article met fin à une tradition Incontestée de légicentrisme : la loi était au centre de tout, elle était souveraine et pouvait tout, sans aucun contrôle. Avec l’article 34, la loi est définie selon son domaine de compétence, elle n’occupe plus la place centrale du paysage juridique et n’est plus dotée d’une compétence omnipotente.
De plus, avec la dernière modification du texte constitutionnel en 2008, l’article 34 ne dit plus « la loi est votée par le Parlement organe qui comprend l’AN et le Sénat aux termes de l’article 24 de la constitution, mais « le Parlement vote la loi On appréhende différemment la loi, non plus par son mode d’élaboration selon une définition purement organique, mais par le rôle affirmé et rev 2 par son mode d’élaboration selon une définition purement rganique, mais par le rôle affirmé et revalorisé du Parlement, en y incorporant une définition matérielle, selon le contenu de la loi. B. L’importance et la variété des domaines couverts par farticle 34 Critères organiques : les mêmes pour toutes les lois.
Les lois sont lois parce qu’elles remplissent ces conditions formelles de procédure et d’organe compétent. Critère matériel ajouté par l’article 34 . pas le même objet pour toutes les lois. Longueur de la liste de l’article 34 témoigne de la variété des objets pris en charge par le domaine de la loi. Les lois peuvent varier dans leur objet : elles sont en mesure ans certains cas de définir des normes, d’autoriser, de ratifier ou de valider. Une même loi peut même combiner plusieurs objets, telle que la loi de finances, qui détermine à la fois une norme puisqu’elle fixe le barème de firnpôt sur le revenus des personnes, tout en donnant l’autorisation au gouvernement de prélever ces impôts sur les individus.
A la simple lecture de l’article 34, il est possible de constater l’incontestable variété et l’importance des domaines que l’article confère à la loi. Tous les aspects principaux de la vie politique, économique, judiciaire et démocratique de l’Etat, les droits et les ibertés de la Nation, sont ICI mentionnés et déterminés comme relevant de la seule compétence de la loi. Les constituants de 1958 ont ainsi engagé une révolution juridique en rupture avec la tradition légicentriste jusqu’alors prépondérante dans la pratique juridique et constitutionnelle française, mais n’ont cependant pas enfermé la loi dans un carcan trop restreint. Ils lui ont la 6 2 française, mais n’ont cependant pas enfermé la loi dans un carcan trop restreint.
Ils lui ont laissé une grande marge d’intervention et de compétence, en établissant une liste longue touchant ? ous les domaines principaux de la vie politique de la Nation. On comprend ainsi que le Parlement n’a jamais ressenti le besoin de mettre en application le dernier alinéa de l’article 34 précisant que « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique ». Le texte divise ensuite la compétence de la loi en deux parties : la loi a le devoir de « fixer les règles » d’une part, et celui de « déterminer les principes fondamentaux » d’autre part. Difficile en pratique de distinguer réellement ces deux devoirs relevant de la compétence législative.
Réforme constitutionnelle de 2008 a enrichi l’énumération de l’article 34 en y insérant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » et en ajoutant que la loi doit fixer les règles relatives au régime électoral des assemblées locales et parlementaires, mais aussi des « instances représentatives des Français établis hors de France » ainsi que des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Le régime électoral est donc pleinement déterminé et assuré par la loi, venant s’ajouter aux domaines divers et variés déjà soumis à la compétence législative. La réforme de 2008 affirme ainsi clairement la définition de la loi selon un critère matériel, celui de son contenu.
De même, la révision de 2008 instaure une base constitutionnelle aux finances publiques en ajoutant la notion de « loi de programmation » des finances publiques qui « déterminent les objectifs de l’action de « loi de programmation » des finances publiques qui « déterminent les objectifs de l’action de l’Etat remplaçant ainsi la mention antérieure plus restrictive de « lois de programme ? caractère économique et social b. De plus, on peut noter à titre complémentaire dans le cadre de ce ommentaire que les compétences législatives du Parlement ne se cantonnent pas à l’article 34. Celui-ci est complété ou rappelé tout au long de la constitution : lois organiques (art 46), art 36, 37, 53…
Sans même aborder les autres articles de la constitution qui accordent en réalité une place de choix à la compétence législative, il est intéressant de confronter le sens de cet article et sa signification théorique telle que présentée dans la première partie avec la pratique et l’interprétation offerte par les juges constitutionnels. Il. une interprétation extensive de l’article 34 dans la pratique égislative et constitutionnelle On s’aperçoit que la révolution juridique annoncée par les commentateurs de 1 958 n’a pas eu lieu, les juges constitutionnels interprétant de manière large l’article 34 (A), favorisant alors l’apparition d’une véritable inflation législative constatée récemment, au détriment de la loi elle-même (B). A.
Un contrôle de constitutionnalité favorable à une application étendue de l’article 34 Il existe en France une tendance naturelle à préférer le recours à la loi pour encadrer les éléments de la vie courante. Les juges eux-mêmes par leur jurisprudence et par le contrôle de onstitutionnalité désormais exercé sur les lois, se laissent souvent aller à cette même tendance, privilégiant ainsi une interprétation extensive, dans la rati ue, des dispo même tendance, privilégiant ainsi une interprétation extensive, dans la pratique, des dispositions de Particle 34. Même si les juges se doivent effectivement en théorie de vérifier la qualité des lois et de faire respecter l’article 34, ils participent au phénomène d’expansion législative de ces dernières décennies.
A la lecture même de l’article 34, il est possible de comprendre que le constituant lui-même, en 1958, n’a pas souhaité voir le omaine législatif figé dans un carcan de règles et de dispositions décrites très précisément. Ils ont au contraire manifesté leur intention, dans leur choix rédactionnel, de voir l’article 34 pouvoir évoluer facilement et sans réelle contrainte avec la pratique législative et constitutionnelle. La présence d’un dernier alinéa précise ainsi que « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique Cette disposition, bien que le recours à son usage ne s’est jamais concrétisé dans la pratique jusqu’à aujourd’hui, conclut éanmoins Farticle sur une possibilité d’ouverture, de dynamisme dans la lecture et dans la compréhension pratique de l’article.
Les juges constitutionnels ont ainsi toujours, à cet effet, privilégié une interprétation ouverte et extensive de l’article, en faveur du législateur et de son champ de compétence. Cette interprétation des juges a eu pour conséquence de faire empiéter le domaine législatif sur celui du pouvoir réglementaire, défini à l’article 37 de la constitution « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire Les limites xactes de la compétence réglementaire sont, aux termes de cet article, soumises au respec limites exactes de la compétence réglementaire sont, aux termes de cet article, soumises au respect de l’article 34 et ? son interprétation.
Alors que les constituants de 1958 voulaient mettre fin à la pratique des décrets-lois très (trop) largement usitée sous la Ive république, les ordonnances, qui devaient alors être vues comme l’exception, dépassent aujourd’hui en nombre les lois. Cette dérive a de ce fait conduit les juges à opérer un réel retour à la lettre de l’article 34 en imposant une interprétation lus stricte (théorie de l’incompétence négative). Cependant, force est de constater que les limites définies par les rédacteurs initiaux de l’article 34 sont par définition et du fait de leur volonté, suffisamment larges pour que le législateur ait toujours la possibilité d’étendre son domaine de compétence au-delà de celui qui lui a été initialement et textuellement attribué par la liste de l’article 34.
De plus, dans la pratique, le conseil constitutionnel a effacé la distinction établie par Particle 34 entre les domaines pour lesquels « la loi fixe les règles » et ceux pour lesquels la loi « détermine les rincipes fondamentaux » Le juge constitutionnel a ainsi voulu mettre en évidence l’homogénéité de l’intervention législative et étendre du même coup le champ d’action de la loi. Dans une décision du 2 juillet 1965, le conseil constitutionnel décide que le domaine de la loi est « déterminé non seulement par l’article 34 mais aussi par d’autres dispositions de la constitution, notamment ses articles 72 et 74 Cette déclaration montre très clairement la volonté du juge constitutionnel de favoriser et d’étendre le domaine de compétence du législateur au-del 0 2