Commentaire

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Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me uis trouvé dans les deux cas. Cest à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : « Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m’ont onverti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains.

Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible. – O Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. – Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. – Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. » Et il versait des larmes en regardant son nègre, et en leurant il entra dans Surinam.

NTRODUCTION Amener le sujet par un exemple afin de le mettre en perspective : par exemple, la lutte des philosophes des Lumières contre l’esclavage, l’exemple de Montesquieu qui cherche avant tout convaincre, en imaginant l’argumentatio 30F 13 l’exemple de Montesquieu qui cherche avant tout à convaincre, en imaginant l’argumentation d’un esclavagiste (« De l’esclavage des nègres ») Citer le sujet Rappeler que vous allez commenter un extrait du chapitre XIX de Candide, qui porte sur le même thème : la dénonciation de l’esclavage, mais à travers un autre moyen que l’essai : le conte hilosophique Résumez brièvement le contenu anecdotique de l’extrait Candide, à sa sortie d’Eldorado – le meilleur des mondes – est durement confronté à la dure réalité du monde – et au pire des mondes : il rencontre un esclave cruellement mutilé qui lui explique l’injustice de son sort Enoncé de la problématique et annonce du plan Quels sont les différents moyens employés par Voltaire pour dénoncer l’esclavage, Quelle est leur efficacité ?

Si le texte se caractérise par le ton du simple constat, l’ironie demeure cependant omniprésente, car Fesclavage n’est pas la eule cible à laquelle s’attaque Voltaire dans cet extrait CANDIDE RENCONTRE UN NEGRE : LE TON DU CONSTAT Le constat dans le récit : la description du nègre Récit fait par un narrateur qui paraît ne pas prendre parti et donner les choses à voir telles qu’elles sont, de manière neutre e nègre est d’abord présenté à travers des détails vestimentaires, puis par des éléments de sa personne, le tout (dénuement et mutilation) étant mis sur le même plan, simplement sur le ton du constat Les détails (couleurs, quantité, matière du vêtement) augmentent l’impression de froide objectivité

Le nègre lui-même semble se livrer à un simple constat la neutralité du narrateur du fait que la situation de 4 3 neutralité du narrateur provient aussi du fait que la situation de l’esclave est exposée par l’esclave lui-même attitude d’attente calme et résignée (« J’attends mon maître soulignée par la présentation du maître par les appositions didactiques qui suivent Même ton calme et didactique pour expliquer les causes de son état : Présent de vérité générale pour énoncer les raisons qui l’ont réduit à « l’état horrible où [le] voit Candide » ; ce présent se einte aux couleurs de l’habitude (d’ailleurs, « c’est l’usage ») Parallélismes des subordonnées temporelles « Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe » Noter que l’on pourrait remplacer les subordonnées temporelles Quand ») par des subordonnées causales, ce qui serait bien exprimer la logique terrible des sévices infligés aux esclaves L’emploi des temporelles gomme toute indignation ou prise de parti : elles n’expriment qu’un simple constat, complété par ‘affirmation exempte de toute émotion – « je me suis trouvé dans les deux cas » – qui n’exprime la situation pathétique de l’esclave que comme le résultat d’un concours de circonstances ! Les propositions sont courtes comme des coups. Les verbes concrets ont une charge de violence indéniable « coupe répété deux fois.

Le ton de la neutralité pour mieux faire éprouver au lecteur la cruauté du sort fait à l’esclave Seuls les adjectifs révélant le point de vue de Candide (« ce pauvre homme « l’état horrible ») soulignent que rétat de l’esclave ne peut qu’inspirer la pitié, et font appel à la sensibilité u lecteur 3 de l’esclave ne peut qu’inspirer la pitié, et font appel à la sensibilité du lecteur La sobriété des discours (celui du narrateur et celui du nègre) met en valeur l’acceptation apparente du nègre devant son sort, mais aussi sa dignité : présenter un nègre dans une situation pathétique, qui refuse tout pathos, c’est forcer l’admiration du lecteur pour le stoïcisme de l’esclave et lui redonner sa dignité Voltaire montre ainsi un esclave noir qui offre le meilleur exemple de dignité humaine. Ce faisant, il réfute implicitement l’argument des esclavagistes qui eulent justifier l’esclavage par le fait que les nègres ne seraient pas des hommes mais des sous-hommes.

La neutralité du ton n’est donc évidemment pas marque de sécheresse du cœur de la part de Voltaire : elle est outil de dénonciation, habilement complétée par l’ironie L’IRONIE OMNIPRESENTE, OUTIL PRINCIPAL DE LA CONTESTATION es facéties voltairiennes : le jeu sur la polysémie des termes (jeu sur le double sens) Double sens à donner à « fameux » Dans l’explication du nègre, l’adjectif a un sens valorisant ; mais l’énonciation voltairienne ne peut que l’employer dans un sens épréciatif (fameux pour sa cruauté) par le nom « Vanderdendur Voltaire rappelle l’origine hollandaise de l’esclavagiste, mais on peut entendre aussi « vendeur à la dent dure » : le marchand d’esclaves est réputé pour sa cruauté et sa cupidité ; de plus « fameux » énonce la situation officielle du maître, marque la légalité de sa conduite, comme celle d’un homme de bonne réputation, un notable de la servitude et non un négrier clandestin. Emploi du mot « fétiches » pour désigner les prêtres : le nègre a compris le 6 3 négrier clandestin.

Emploi du mot « fétiches » pour désigner les prêtres : le ègre a compris le rôle religieux des pasteurs hollandais et le conteur s’amuse à lui faire traduire la réalité par un mot de son environnement originel, manière de marquer le déracinement de l’esclave. Cependant, Voltaire qui voulait « écraser l’Infâme » (z l’intolérance), pratiquée selon lui par les églises et les dogmes, devait se délecter à suggérer par là l’imposture du clergé Sous le signe du décalage Le récit présente le nègre du point de vue de Candide, or celui-ci remarque d’abord la moitié de [I] habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue et seulement ensuite la mutilation Même impression de décalage entre les faits (état pitoyable de l’esclave) et sa résignation, souligné par le contraste de ton entre la question de Candide – « Est-ce M. Vanderdendur qui ta traité ainsi ? – (comme pour une question rhétorique), et la réponse dénuée de toute indignation ou de toute révolte de l’esclave, soulignée par la scansion « Oui, Monsieur » Décalage entre la situation extraordinaire dans laquelle apparaît l’esclave et la justification qu’il en donne par une généralité (voir les présents de généralité : « on nous donne « quand nous ravaillons aux sucreries ») Décalage entre le crime et le châtiment : « Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main renforcé par la subordination temporelle, qui dissimule en réalité une causalité (on coupait la main pour éviter la gangrène), mise sur le même plan que l’exercice de la loi du talion (amputation de la jambe pour punir de la tentative de fugue) Décal l’exercice de la loi du talion (amputation de la jambe pour punir de la tentative de fugue) Décalage entre la souffrance des esclaves et la satisfaction de a gourmandise des Européens, qui va plus loin que la simple critique de l’argument économique des esclavagistes : « Cest ce prix que vous mangez du sucre en Europe » : la juxtaposition entre les membres coupés et la friandise est insoutenable. Antithèse très forte douleur / douceur Décalage entre l’optimisme de la mère (lexique mélioratif « tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs ») et la réalité horrible de l’esclavage Décalage entre les discours des fétiches (tous les hommes sont frères) et le traitement qu’ils font subir aux esclaves

Décalage entre l’Optimisme et la réalité des faits soulignée par la réplique finale de Candide, qui pointe le caractère illusoire de la philosophie optimiste : « la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » En multipliant les éléments de décalage, Voltaire fait sentir à quel point l’esclavage résulte aussi d’un décalage, entre la civilisation, ses ambitions, et le sort qu’elle fait subir aux autres peuples Un nègre voltairien / Un nègre avocat Cependant, la révolte du nègre s’exprime progressivement dans son discours, grâce à l’implicite que permet l’ironie, ce qui lui onne une supériorité évidente sur les esclavagistes qui n’ont su user que de cruauté Premier sentiment d’indignation dans le raccourci provocateur de la formule « C’est à ce prix B3 (évocation du souvenir maternel, déploration – « Hélas »).

L’indignation refait surface dans la phrase suivante et la comparaison avec les animaux ; elle éclate dans l’ironie feutrée du syllogisme habile et faussement naif développé par le nègre propos du discours des « fétiches hollandais » Exposé didactique du nègre qui énonce, grâce au récit intime – ce qui donne encore plus de force à la dénonciation, les modalités u commerce triangulaire : le nègre a été séduit fallacieusement par les commerçants blancs pour quitter son Afrique natale pour l’Amérique, dans l’espoir de satisfaire à la plus émouvante des piétés filiales (« tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère ») ; mais son travail et sa souffrance ne sont destinés qu’ satisfaire les besoins des Européens (« C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe Réduit en esclavage, mutilé, il est aussi privé de ses racines : coupé de sa famille, de son pays, de sa langue (il peut se faire comprendre sans traducteur de Candide), e sa religion les fétiches hollandais ont converti »), il doit désormais parler et prier à l’européenne Est dénoncé le phénomène d’acculturation et de perte de la culture africaine (langue, religion… La fin du discours du nègre repose sur un enthymème qui formule implicitement une très lourde condamnation des églises : maJeure : « nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs « nous sommes tous cousins issus de germains » mineure : « Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible. » conclusion implicite : ou bien les pasteurs mentent, ou bien les sclavagistes ne sont pas humains La conclusion implicite : ou bien les pasteurs mentent, ou bien les esclavagistes ne sont pas humains La conclusion des deux premiers constats est si évidente que le nègre ne la formule pas, cela augmente la sobriété de son discours, sa distance apparente par rapport à la souffrance éprouvée, et par conséquent sa grandeur.