Britannicus
BRITANNICUS Tragédie À Monseigneur le duc de Chevreuse Monseigneur, Vous serez peut-être étonné de voir votre nom à la tête de cet ouvrage ; et si je vous avais demandé la permission de vous l’offrir, je doute si je l’aurais obtenue. Mais ce serait être en quelque sorte ingrat que de cacher plus longtemps au monde les bontés dont vous m’avez toujours honoré.
Quelle apparence qu’un homme qui ne travaille que pour la gloire se puisse taire d’une protection aussi glori Non, Monseigneur, il 3 l’on sache que mesa s Swtp next page indifférents, que vou et que vous m’avez p t pas ouvrages, celui-ci evant un homme dont toutes les heures sont précieuses. Vous fûtes témoin avec quelle pénétration d’esprit il jugea l’économie de la pièce, et combien Vidée qu’il s’est formée d’une excellente tragédie est au-del? de tout ce que j’ai pu concevoir. Ne craignez pas, Monseigneur, que je m’engage plus avant, et que n’osant le louer en face, je m’adresse à vous pour le louer avec plus de liberté.
Je sais qu’il serait dangereux de le fatiguer de ses louanges, et j’ose dire que cette même modestie, qui vous est commune avec Britannicus du cœur et de l’esprit, qu’avec un jugement qui, ce semble, ne devrait être le ruit que de l’expérience de plusieurs années, qu’avec mille belles connaissances que vous ne sauriez cacher ? vos amis particuliers, vous ayez encore cette sage retenue que tout le monde admire en vous, c’est sans doute une vertu rare en un siècle où l’on fait vanité des moindres choses.
Mais je me laisse emporter insensiblement ? la tentation de parler de vous ; il faut qu’elle soit bien violente, puisque je n’ai pu y résister dans une lettre où je n’avais autre dessein que de vous témoigner avec combien de respect je suis, Monseigneur, Votre très humble et très obéissant serviteur, Racine. Table des matières ACTE PREMIER Scène 1 AGRIPPINE, ALBINE Scène 2 8 Scène 3 15 Scène 4 17 2 OF matières Scène 5 56 Scène 6 58 Scène 7 61 Scène 8 65 Scène 9 70 ACTE IV 71 scène 2 72 scène 3 79 3 OF faut pas s’éloigner un moment. Je veux l’attendre ici.
Les chagrins qu’il me cause M’occuperont assez tout le temps qu’il repose. Tout ce que j’ai prédit n’est que trop assuré Contre Britannicus Néron s’est déclaré. L’impatient Néron cesse de se contraindre Las de se faire aimer, il veut se faire craindre. Britannicus le gêne, Albine, et chaque jour Je sens que je deviens importune à mon tour. Acte premier, Scène 1 ALBINE Quoi vous à qui Néron doit le jour qu’il respire, Qui l’avez appelé de si loin à l’empire Vous qui, déshéritant le fils de Claudius, Avez nommé César l’heureux Domitius Tout lui parle, Madame, en faveur d’Agrippine Il vous doit son amour.
AGRIPPINE Il me le doit, Albine Tout, s’il est généreux, lui prescrit cette loi Mais tout, s’il est ingrat, lui parle contre moi. Sil est ingrat, Madame Ah toute sa conduite Marque dans son devoir une âme trop instruite. Depuis trois ans entiers, qu’a-t-il dit, qu’a-t-il fait Qui ne promette ? Rome un empereur parfait Rome, depuis deux ans, par es soins gouvernée, Au temps de ses consuls croit être retournée Il la gouverne en père.
Enfin, Néron naissant À toutes les vertus d’Auguste vieillissant. Non, non, mon intérêt ne me rend point injuste Il commence, il est vrai, par où finit Auguste Mais crains que l’avenir détruisant le assé Il ne finisse ainsi qu’Auguste a comme ise en vain ie 4 OF Domitius l’humeur triste et sauvage Il mêle avec l’orgueil qu’il a pris dans leur sang La fierté des Nérons qu’il puisa dans mon flanc.
Toujours la tyrannie a d’heureuses prémices De Rome, pour un temps, Caius fut les délices Mais sa feinte onté se tournant en fureur, Les délices de Rome en devinrent Phorreur. Que m’importe, après tout, que Néron, plus fidèle, D’une longue vertu laisse un jour le modèle Ai-je mis dans sa main le timon de l’Etat Pour le conduire au gré du peuple et du sénat Ah que de la patrie il soit, s’il veut, le père Mais qu’il songe un peu plus qu’Agrippine est sa mère.
De quel nom cependant pouvons-nous appeler L’attentat que le jour vient de nous révéler Il sait, car leur amour ne peut être ignorée, Que de Britannicus Junie est adorée, Et ce même Néron, que la vertu conduit, Fait enlever Junie au milieu e la nuit Que veut-il Est-ce haine, est-ce amour qui l’inspire Cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire Ou plutôt n’est-ce point que sa malignité Punit sur eux l’appui que je leur ai prêté Vous, leur appui, Madame 3 Arrête, chère Albine, Je sais que J’ai moi seule avancé leur ruine Que du trône, où le sang l’a dû faire monter, Britannicus par moi s’est vu précipiter.
Par moi seule éloigné de Vhymen d’Octavie, Le frère de Junie abandonna la vie, Silanus, sur qui Claude avait Jeté les yeux, Et qui comptait Auguste au rang de ses aïeux. Néron jouit de tout et moi, our récompense, Il faut u’entre eux et lui le tienn fin que quelque s OF et moi, pour récompense, Il faut qu’entre eux et lui je tienne la balance, Afin que quelque jour, par une même loi, Britannicus la tienne entre mon fils et moi. Quel dessein Je m’assure un port dans la tempête. Néron m’échappera, si ce frein ne Parrête.
Mais prendre contre un fils tant de soins superflus Je le craindrais bientôt, s’il ne me craignait plus. 4 une injuste frayeur vous alarme peut être. Mais si Néron pour vous n’est plus ce qu’il doit être, Du moins son changement ne vient pas jusqu’à nous, Et ce sont des secrets entre César et vous. Quelques titres nouveaux que Rome lui défère, Néron n’en reçoit point qu’il ne donne à sa mère. Sa prodigue amitié ne se réserve rien Votre nom est dans Rome aussi saint que le sien. ? peine parle-t-on de la triste Octavie. Auguste votre aïeul honora moins Livie. Néron devant sa mère a permis le premier Qu’on portât les faisceaux couronnés de laurier. Quels effets voulez-vous de sa reconnaissance un peu moins de respect, et plus de confiance. Tous ces présents, Albine, irritent mon dé it. Je vois mes honneurs croître et tombe Non, non, le 6 toutepulssante. Des volontés de Rome alors mal assuré, Néron de sa grandeur n’était point enivré.
Ce jour, ce triste jour frappe encor ma mémoire, Où Néron fut luimême ébloui de sa gloire, Quand les ambassadeurs de 5 tant de rois divers Vinrent le reconnaitre au nom de l’univers. Sur son trône avec lui j’allais prendre ma place J’ignore quel conseil prépara ma disgrâce Quoi qu’il en soit, Néron, d’aussi loin qu’il me vit, Laissa sur son visage éclater son dépit. Mon cœur même en conçut un malheureux augure. L’ingrat, d’un faux respect colorant son injure, Se leva par avance, et courant m’embrasser, Il m’écarta du trône où je m’allais placer.
Depuis ce coup fatal, le pouvoir d’Agrippine Vers sa chute à grands pas chaque jour s’achemine. L’ombre seule m’en reste, et l’on n’implore plus Que le nom de Sénèque et l’appui de Burrhus. Ah si de ce soupçon votre âme est prévenue, Pourquoi nourrissez-vous le venin qui vous tue Daignez avec César vous éclaircir du moins. César ne me voit plus, Albine, sans témoins. En public, à mon heure, on me donne audience Sa réponse est dictée, et même son silence. Je vois deux surveillants, ses maîtres et les miens, Présider l’un ou l’autre à tous nos entretiens.
Mais je le poursuivrai d’autant plus qu’il ‘évite De son désordre, Albine, il faut que je profite. J’entends du bruit on ouvre. Allons subitement Lui 6 OF Surprenons, s’il se peut, les secrets de son âme. Mais quoi déjà Burrhus sort de chez lui 7 Acte premier, Scène 2 AGRIPPINE, BURRHUS, ALBINE BURRHUS Madame, Au nom de l’empereur j’allais vous informer D’un ordre qui d’abord a pu vous alarmer, Mais qui n’est que l’effet d’une sage conduite, Dont César a voulu que vous soyez instruite.
Puisqu’il le veut, entrons il m’en Instruira mieux. César pour quelque temps s’est soustrait à nos yeux. Déjà par une porte au public moins connue L’un et ‘autre consul vous avaient prévenue, Madame. Mais souffrez que je retourne exprès… Non, je ne trouble point ses augustes secrets. Cependant voulez-vous qu’avec moins de contrainte Cun et l’autre une fois nous nous parlions sans feinte Burrhus pour le mensonge eut toujours trop d’horreur.
Prétendez-vous longtemps me cacher l’empereur Ne le verrai-je plus qu’à titre d’im ortune Aire donc élevé si haut votre fortune Pour m ière entre mon 8 OF mol qui sur le trône ai suivi mes ancêtres, Moi, fille, femme, sœur et mère de vos maîtres Que prétendez-vous donc Pensezvous que a voix Ait fait un empereur pour m’en imposer trois Néron n’est plus enfant n’est-il pas temps qu’il règne Jusqu’à quand voulez-vous que l’empereur vous craigne Ne saurait-il rien voir qu’il n’emprunte vos yeux Pour se conduire, enfin, n’a-t-il pas ses aiëux Qu’il choisisse, s’il veut, d’Auguste ou de Tibère, Qu’il imite, s’il peut, Germanicus mon père. Parmi tant de héros je n’ose me placer, Mais il est des vertus que je lui puis tracer.
Je puis l’instruire au moins combien sa confidence Entre un sujet et lui doit laisser de distance. 9 Je ne m’étais chargé dans cette occasion Que d’excuser César d’une seule action. Mais puisque sans vouloir que je le justifie, Vous me rendez garant du reste de sa vie, Je répondrai, Madame, avec la liberté D’un soldat qui sait mal farder la vérité. Vous m’avez de César confié la jeunesse, Je l’avoue, et je dois m’en souvenir sans cesse. Mais vous avais-je fait serment de le trahir, D’en faire un empereur qui ne sût qu’obéir Non. Ce n’est plus à vous qu’il faut que j’en réponde, Ce n’est plus votre fils, c’est le maître du monde. J’en dois compte, Madame, à l’empire romain, Qui croit voir son salut ou sa perte en ma main.
Ah si dans l’ignorance il le fallait instruire, N’avait-on que Sénèque et moi pour le séduire Pourquoi de sa conduite éloigner les flatteurs Fallait-il dans l’exil chercher des corru teurs La cour de Claudius, conduite éloigner les flatteurs Fallait-il dans rexil chercher des corrupteurs La cour de Claudius, en esclaves fertile, Pour deux que l’on cherchait en eût présenté mille, Qui tous auraient brigué l’honneur de l’avilir Dans une longue enfance ils l’auraient fait vieillir. De quoi vous plaignez-vous, Madame On vous révère Ainsi que par César, on jure par sa mère. L’empereur, l est vrai, ne vient plus chaque jour Mettre à vos pieds l’empire, et grossir votre cour. Mais le doit-il, Madame et sa reconnaissance Ne peut-elle éclater que dans sa dépendance Toujours humble, toujours le timide Néron N’ose-t-il être Auguste et César que de nom Vous le 10 dirai-je enfin Rome le justifie. Rome, à trois affranchis si longtemps asservie, À peine respirant du joug qu’elle a porté, Du règne de Néron compte sa liberté. Que dis-je la vertu semble même renaître.
Tout l’empire n’est plus la dépouille d’un maitre Le peuple au champ de Mars nomme ses magistrats, César nomme les chefs ur la foi des soldats Thraséas au sénat, Corbulon dans l’armée, Sont encore innocents, malgré leur renommée Les déserts, autrefois peuplés de sénateurs, Ne sont plus habités que par leurs délateurs. Qu’importe que César continue à nous croire, Pourvu que nos conseils ne tendent qu’à sa gloire Pourvu que dans le cours d’un règne florissant Rome soit toujours libre, et César toutpuissant Mais, Madame, Néron suffit pour se conduire. J’obéis, sans prétendre à l’honneur de l’instruire. Sur ses aieux, sans doute, il n’a qu’à se régler pour bien faire, 0 3