Amphitryon

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AMPHITRYON Comédie ACTEURS MERCURE. LA NUIT. JUPITER, sous la forme d’Amphitryon. AMPHITRYON, général des Thébains. ALCMÈNE, femme d’Amphitryon. CLÉANTHIS, suivante d’Alcmène et femme de Sosie. SOSIE, valet d’Amphitryon. ARGATIPHONTIDAS NAUCRATES POLIDAS POSICLES capitaines thébains La scène est à Thèbe PROLOGUE or65 Sni* to View phitryon. MERCURE, sur un nuage; LA NUIT, dans un char traîné par deux chevaux. MERCURE Tout beau, charmante Nuit; daignez vous arrêter. Il est certaln secours, que de vous on désire: Et j’ai deux mots à vous dire, De la part de Jupiter. LA NUIT

Ah, ah, c’est vous, Seigneur Mercure! Qui vous eût deviné là, dans cette posture? bons chevaux, en dame nonchalante, Vous vous faites trainer partout où vous voulez. Mais de moi ce n’est pas de même; Et je ne puis vouloir, dans mon destin fatal, Aux poètes assez de mal, De leur impertinence extrême: D’avoir, par une injuste loi, Dont on veut maintenir l’usage, À chaque Dieu, dans son emploi, Donné quelque allure en partage; Et de me laisser à pied, moi, Comme un messager3 de village. Moi qui sus, comme on sait, en terre, et dans les cieux, Le fameux messager du souverain des Dieux;

Et qui, sans rien exagérer, Par tous les emplois qu’il me donne, Aurais besoin, plus que personne, D’avoir de quoi me voiturer. Une chaise roulante: voiture légère à deux roues. Un messager de village: «celui qui est commis pour porter les lettres et les hardes des particuliers» (Dictionnaire de Furetière, 1690). 2 40 Que voulez-vous faire à cela? Les poètes font à leur guise. Ce n’est pas la seule sottise, Qu’on voit faire à ces Mes PAGF OF ne vous sont pas nouvelles. Bien souvent, pour la terre, il néglige les cieux: Et vous n’ignorez pas que ce maître des Dieux

Arne à s’humaniser pour des beautés mortelles, Et sait cent tours ingénieux, pour mettre à bout les plus cruelles. Des yeux d’Alcmène il a senti les coups: Et tandis qu’au milieu des béotiques plaines, Amphitryon, son époux, Commande aux troupes thébaines, Il en a pris la forme, et reçoit là-dessous Un soulagement à ses peines, Dans la possession des plalsirs les plus doux. L’état des mariés à ses feux est propice: L hymen ne les a joints, que depuis quelques jours; Et la jeune chaleur de leurs tendres amours, A fait que Jupiter à ce bel artifice S’est avisé d’avoir recours.

Son stratagème ici se trouve salutaire: Mais, près de maint objet chéri, 75 Pareil déguisement serait pour ne rien faire; Et ce n’est pas partout un bon moyen de plaire, Que la figure d’un mari. J’admire Jupiter; et je ne comprends pas, Tous les déguisements, qui lui viennent en tête. 80 3 OF l’amoureuse ardeur, La haute qualité devient fort incommode. Jupiter, qui sans doute en plaisirs se Sait descendre du haut de sa gloire suprême,’ Et pour entrer dans tout ce qu’il lui plaît, Il sort tout à fait de lui-même, Et ce n’est plus alors Jupiter qui paraît. 95 100

Passe encor de le voir de ce sublime étage, Dans celui des hommes venir; Prendre tous les transports que leur cœur peut fournir, Et se faire à leur badinage; Si dans les changements où son humeur l’engage, À la nature humaine il s’en voulait tenir. Mais de voir Jupiter taureau, Serpent, cygne, ou quelque autre chose; Je ne trouve point cela beau, Et ne m’étonne pas, si parfois on en cause. Laissons dire tous les censeurs, 4 Guindé: au sens propre de hissé, élevé. 105 Tels changements ont leu d OF retour De celui, dont il tient la place. 120 Voilà sans doute un bel emploi,

Que le grand Jupiter m’apprête: Et l’on donne un nom fort honnête Au service qu’il veut de moi. 125 130 Pour une jeune déesse, Vous êtes bien du bon temps5! Un tel emploi n’est bassesse, Que chez les petites gens. Lorsque dans un haut rang on a l’heur de paraitre, Tout ce qu’on fait est toujours bel, et bon; Et suivant ce qu’on peut être, Les choses changent de nom. Du bon temps: «vieux jeu. » Sur de pareilles matières, Vous en savez plus que m PAGF s OF Adieu, Mercure. Mercure descend de son nuage en terre, et la Nuit passe dans son char. ACTE I, SCENE PREMIERE SOSIE 55 160 165 170 175 180 185 190 Qui va là?

Heu? Ma peur, à chaque pas s’accroit8. Messieurs, ami de tout le monde. Ah! quelle audace sans seconde, De marcher à l’heure qu’il est! Que mon maître couvert de gloire, Me joue ici d’un vilain tour! Quoi! si pour son prochain il avait quelque amour, M’aurait-il fait partir par une nuit si noire? Et pour me renvoyer annoncer son retour, Et le détail de sa victoire, Ne pouvait-il pas bien attendre qu’il fût jour? Sosie, à quelle servitude Tes jours sont-ils assujettis! Notre sort est beaucoup plus rude Chez les grands, que chez aison, et ma frayeur s’évade.

Il me faudrait, pour l’ambassade, Le grammairien Vaugelas autorise la prononciation s’accrait pour s’accroit; le mot peut donc rimer avec le verbe est trois vers plus bas. 7 195 200 205 210 215 220 225 230 Quelque discours prémédité. Je dois aux yeux d’Alcmene un portrait militaire Du grand combat qui met nos ennemis à bas: Mais comment diantre le faire, Si je ne m’y trouvai pas? N’importe, parlons-en, et d’estoc, et de taille9, Comme oculaire témoin: Combien de gens font-ils des récits de bataille, Dont ils se sont tenus loin?

Pour louer mon rôle sans OF assurément; Mais bien plus tard que son cœur ne souhaite. Ah! Mais quel est l’état, où la guerre l’a mis? Que dit-il? que fait-ll? Contente un peu mon âme. Il dit moins qu’il ne fait, Madame, Et fait trembler les ennemis. Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses? Que font les révoltés? dis-moi, quel est leur sort? Ils n’ont pu résister, Madame, à notre effort: Nous les avons taillés en pièces, Mis Ptérélas leur chef à mort; Pris Télèbe d’assaut, et déjà dans le port 9 Et d’estoc et de taille: l’estoc est la pointe de l’épée, la taille en est le tranchant.

L’expression signifie ici hardiment, d’où l’effet comique puisqu’il va raconter un combat. IO «Occasian se dit aussi des rencontres de la guerre» (Dictionnaire de Furetière, 1690). Tout retentit de nos prouesses. 235 240 245 250 255 260 8 OF prières, Tous les ordres donnés, on donne le signal. Les ennemis pensant nous tailler des croupières 1 1, Firent trols pelotons de leurs gens à cheval: Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée, Et vous allez voir comme quoi. Voilà notre avant-garde, à bien faire animée; Là les archers de Créon, notre roi; Et voici le corps d’armée,

Qui d’abord… Attendez, le corps d’armée a peur. J’entends quelque bruit, ce me semble. 2600n fait un peu de bruit. SCÈNE II MERCURE, SOSIE. MERCURE, sous la forme de sosie. Sous ce minois, qui lui ressemble, Chassons de ces lieux ce causeur; Dont l’abord importun troublerait la douceur, Que nos amants goûtent ensemble. Tailler des croupières: «obliger à fuir» (Dictionnaire de Furetière, 1690). 265 Mon cœur tant sot peu se rassure; Et je pense que ce n’est rien. Crainte pourtant de sinistre aventure, Allons chez nous achever l’entretien. PAGF q OF 285 Ah! par ma foi, j’avais raison!

Cest fait de moi, chétive créature. Je vois devant notre maison, Certain homme, dont l’encolure12 Ne me présage rien de bon. Pour faire semblant d’assurance, Je veux chanter un peu d’ici. Il chante; et lorsque Mercure parle, sa voix s’affaiblit peu à peu. 290 12 Qui donc est ce coquin, qui prend tant de licence, Que de chanter, et m’étourdir ainsi? Veut-il qu’à l’étriller, ma main un peu s’applique? Liencolure: l’apparence. 10 Cet homme, assurément, n’aime pas la musique. 295 Depuis plus d’une semaine, Je n’ai trouvé personne à qui rom re les os. La vertu de mon bras13 s repos;